L’Observatoire-REMDH : Lettre ouverte conjointe aux autorités- Graves préoccupations au sujet des restrictions à la liberté de mouvement des juges Hisham Bastawissi et Ashraf El-Baroudi.

07/02/2008
Communiqué

REMDH - L’OBSERVATOIRE POUR LA PROTECTION DES DEFENSEURS DES DROITS DE L’HOMME (OMCT-FIDH)

LETTRE OUVERTE

À l’attention de M. Mohammad Hosni Mubarak
Président de la République arabe d’Égypte

Par fax : +202 390 1998

Excellence,

L’Observatoire pour la protection de défenseurs des droits de l’Homme, un programme conjoint de la Fédération internationale des droits de l’Homme (FIDH) et de l’Organisation mondiale contre la torture (OMCT), ainsi que le Réseau euro-méditerranéen des droits de l’Homme (REMDH) font part de leurs préoccupations les plus vives au sujet de l’interdiction de voyager qui a été imposée à M. Hisham Bastawissi, vice-président de la Cour de cassation égyptienne, et M. Ashraf El-Baroudi, juge à la Cour d’appel d’Alexandrie.

M. Bastawissi et M. El-Baroudi ont été invités à assister à une réunion sur l’indépendance de la justice dans la région Euro-méditerranéenne organisée par le REMDH à Bruxelles du 9 au 11 février 2008. Cet évènement inclut un séminaire public qui se tiendra au Parlement européen le lundi 11 février, auquel ces deux juges sont censés participer et s’adresser.

Conformément à la loi égyptienne qui interdit aux juges de voyager à l’étranger sans autorisation préalable, Mr. Bastawissi a déposé une demande auprès du Conseil supérieur de la magistrature (CSM). Le 5 février 2008, le CSM a rejeté la demande, sans fournir de raison, l’empêchant ainsi de quitter le pays. Dans le cas de M. El Baroudy, sa demande a été transmise au juge en charge du département de l’administration de la Cour d’appel d’Alexandrie il y a deux semaines, et est restée sans réponse à ce jour. Du fait de cette situation, les deux juges ne pourront sans doute se rendre en Belgique.

Nous condamnons fermement cette entrave à la liberté de mouvement de M. Bastawissi et M. El Baroudi, en violation flagrante de l’article 12.2 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques qui dispose que « toute personne est libre de quitter n’importe quel pays, y compris le sien ». Interdire à ces deux juges d’assister à une réunion sur l’indépendance du pouvoir judiciaire constitue aussi une violation claire de leur liberté d’expression consacré par le Principe 8 des Principes fondamentaux relatif à l’indépendance de la magistrature (ONU, 1985) : « Selon la Déclaration universelle des droits de l’homme, les magistrats jouissent, comme les autres citoyens, de la liberté d’expression, de croyance, d’association et d’assemblée ; toutefois, dans l’exercice de ces droits, ils doivent toujours se conduire de manière à préserver la dignité de leur charge et l’impartialité et l’indépendance de la magistrature ».

Nous rappelons que des défenseurs des droits de l’Homme égyptiens et d’autres acteurs, notamment des membres du pouvoir judiciaire, qui dénoncent le manque d’indépendance du pouvoir judiciaire ont été particulièrement visés au cours de ces dernières années. En 2006, deux juges, dont M. Bastawissi, ont fait l’objet d’une procédure disciplinaire – donnant lieu dans le cas de M. Bastawissi à un blâme - à la suite de leur appel en faveur de l’indépendance du pouvoir judiciaire et de leurs protestations contre la fraude électorale au cours des élections parlementaires de 2005. Nous rappelons aussi que le Parlement européen, dans sa résolution récente sur la situation en Égypte du 17 janvier 2008, a souligné « l’importance qu’il y a à garantir et à renforcer l’indépendance du pouvoir judiciaire en modifiant ou en abrogeant toutes les dispositions juridiques qui enfreignent ou ne garantissent pas suffisamment son indépendance ;(…) la nécessité du respect et de la protection de la liberté d’expression et d’association des magistrats, conformément aux articles 8 et 9 des principes fondamentaux des Nations unies relatifs à l’indépendance de la magistrature ».

De manière plus générale, nous déplorons le climat général d’hostilité à l’égard des défenseurs des droits de l’Homme en Egypte, qui sont régulièrement confrontés à des entraves à leur liberté d’expression, de réunion pacifique et d’association, et font face à un harcèlement administratif et judiciaire.

Nous rappelons en outre que selon la Déclaration des Nations unies sur les défenseurs des droits de l’Homme adoptée par l’assemblée générale de l’ONU le 9 décembre 1998, « Chacun a le droit, individuellement ou en association avec d’autres, de promouvoir la protection et la réalisation des droits de l’Homme et des libertés fondamentales aux niveaux national et international » (article 1). De plus, l’article 8.2 de la déclaration garantit « le droit, individuellement ou en association avec d’autres, de soumettre aux organes et institutions de l’Etat, ainsi qu’aux organismes s’occupant des affaires publiques, des critiques et propositions touchant l’amélioration de leur fonctionnement, et de signaler tout aspect de leur travail qui risque d’entraver ou empêcher la promotion, la protection et la réalisation des droits de l’Homme et des libertés fondamentales ».

En conséquence, nous appelons les autorités égyptiennes à :
 Lever immédiatement toute restriction à l’encontre de la liberté de mouvement de Messieurs Bastawissi et El-Baroudi afin de leur permettre de se rendre en Belgique et d’y accomplir leur mission,

 Respecter les libertés fondamentales des juges, notamment leur liberté de mouvement, d’expression et d’association ;

 Mettre un terme à toutes les formes de harcèlement et de restrictions à l’encontre des défenseurs des droits de l’Homme en Égypte.

 Se conformer aux dispositions de la Déclaration de l’ONU sur les défenseurs des droits de l’Homme.

 Garantir en toute circonstance l’indépendance du pouvoir judiciaire et permettre au Rapporteur spécial des Nations unies sur l’Indépendance des juges et des avocats de se rendre en Égypte pour y effectuer une visite à ce sujet,

 Garantir en toute circonstance le respect des droits de l’Homme et des libertés fondamentales en conformité avec les normes et instruments internationaux relatifs aux droits de l’Homme ratifiés par l’Égypte.

Dans l’espoir que vous tiendrez compte de nos commentaires,

Veuillez recevoir, Monsieur le Président, l’expression de nos salutations respectueuses.

Souhayr BELHASSEN, Président de la FIDH

Eric SOTTAS, Directeur de l’OMCT

Kamel JENDOUBI, Président du REMDH

En copie

· Premier ministre M. Ahmed Mahmoud Mohamed Nazif, fax : + 202 735 6449 / 7958016
· Ministre de l’Intérieur, General Habib Ibrahim Habib El Adly, fax : +202 579 2031 / 794 5529
· Ministre de la Justice, M. Mamdoh Mohi E-din Mari, fax : +202 795 8103
· Conseil national des droits de l’Homme, fax : + 202 5747497 / 5747670
· Ambassade d’Égypte à Bruxelles, fax : +32 2 675.58.88
· Mission permanente d’Égypte auprès des Nations unies à Genève, fax : +41 22 738 44 15.

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