Le silence irresponsable de la communauté internationale sur les violations des droits humains en Égypte

29/01/2015
Communiqué
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par Karim Lahidji, président de la FIDH

Le 25 janvier 2011, à la faveur d’un soulèvement populaire, Hosni Moubarak était destitué après 30 ans de présidence autoritaire. L’espoir naissait alors de voir les revendications des millions de manifestants entendues et l’avènement d’un État de droit démocratique, respectueux des libertés individuelles et collectives.

Quatre ans plus tard, le constat est amer. La mal nommée « révolution » s’avère en définitive un maintien du régime voir son durcissement. C’est ainsi que la semaine dernière plus de 20 manifestants ont trouvé la mort lors de la commémoration du 4ème anniversaire de la révolution.

Si les têtes ont changé, l’armée demeure au cœur d’un pouvoir sans partage. Toute forme de critique ou d’opposition mène quasi irrémédiablement à la prison. Des milliers de partisans des Frères musulmans y croupissent, des centaines d’entre eux ayant même été condamnés à la peine capitale à l’issue de procès iniques. La justice est aujourd’hui l’outil de répression privilégié. Elle n’épargne pas la jeunesse contestataire y compris celles et ceux qui étaient au premier rang des manifestations Place Tahrir en 2011. Yara Sallam, Sana Seif, Alaa Abdelfattah et tant d’autres défenseurs des droits humains, blogueurs, journalistes, activistes pro-démocratie sont aujourd’hui condamnés et détenus pour avoir revendiqué le respect des libertés d’expression et de manifestation pacifique.

La critique coûte cher aujourd’hui en Égypte et rien ne semble présager une amélioration. Depuis l’arrivée au pouvoir en juin 2014 du président Abdelfattah Sissi, chaque mois le régime livre son lot de décrets présidentiels, de projets de lois ou d’amendements législatifs visant à renforcer un arsenal juridique déjà fortement répressif. Sous couvert d’assurer l’ordre public et de lutte contre le terrorisme dont l’Égypte se présente comme l’une des têtes de pont y compris sur la scène régionale, les autorités égyptiennes grignotent progressivement l’espace des libertés et font peser une menace accrue sur la société civile indépendante. Soumises un temps à un ultimatum pour s’enregistrer sous une loi sur les associations aux dispositions très restrictives, les organisations indépendantes des droits humains se démènent pour qu’un texte plus répressif encore présenté par le gouvernement ne soit pas voté. Son adoption verrait grossir le rang des ONG qui ont déjà fermé leurs portes ou quitté le pays fuyant les menaces. Autre épée de Damoclès, un projet de loi sur les entités terroristes définies comme des individus, organisations ou autres qui « nuisent à l’unité nationale » ou « enfreignent l’ordre public ». Ce projet qui prévoit notamment des peines lorsque ces entités « prônent par quelque moyen que ce soit la suspension d’une loi (…) » constituerait, s’il était adopté, une nouvelle menace sérieuse pour les organisations de la société civile effectuant des actions de plaidoyer contre l’arsenal législatif liberticide en vigueur en Égypte. L’amalgame est le maître mot et les campagnes de dénigrement orchestrées de concert avec plusieurs médias pro-gouvernementaux visant à présenter les activistes pro-démocratie et autres défenseurs des droits humains comme des trublions nuisant à l’intérêt du pays voir parfois comme des agents étrangers, les exposent considérablement.

Pourtant, la réprobation de la communauté internationale se fait pour le moins discrète. Les discours prononcés par les dirigeants y compris européens à l’issue de rencontres avec les plus hautes autorités égyptiennes sont en complet décalage avec cette réalité. Les propos vantant la coopération bilatérale et la confiance qui les lient au partenaire égyptien et intégrant au mieux un appel au renforcement du processus démocratique en Égypte suscitent l’écœurement.

Cette mansuétude résulte sans aucun doute de l’image d’une Égypte rempart contre le terrorisme et garante de la stabilité régionale mais également pour certains, d’une Égypte repoussant la « menace de l’islam politique » et de ce fait, considérée comme protectrice de libertés individuelles et des droits des femmes. Or, non seulement les libertés sont bafouées mais l’égalité est loin d’être acquise et les violences contre les femmes se poursuivent à une grande échelle. Les auteurs de violences sexuelles et sexo-spécifiques continuent de bénéficier le plus souvent d’une totale impunité, notamment lorsqu’il s’agit de représentants des forces de l’ordre. La multiplication des arrestations, des violences et des intimidations à l’encontre de personnes LGBT sont également l’illustration flagrante d’un régime discriminatoire.

Le silence de la communauté internationale ne peut plus durer. Il est de la responsabilité des États de condamner fermement les graves violations des droits humains commises par les autorités égyptiennes. Il est peut être encore temps d’infléchir les positions autoritaires du régime pour donner raison aux femmes et aux hommes qui ont eu le courage de s’opposer aux balles, place Tahrir, pour la liberté, , contre le totalitarisme et pour la démocratie.

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