LETTRE OUVERTE AUX MEMBRES DU PARLEMENT EUROPEEN

25/05/2002
Communiqué

Le Réseau Euro-Méditerranéen des Droits de l’Homme et la Fédération Internationale des
Droits de l’Homme demandent au Parlement européen d’avoir un réel débat sur la situation des
droits de l’Homme en Algérie dans le cadre de la procédure d’avis conforme sur l’Accord
d’Association

Le Réseau Euro-Méditerranéen des Droits de l’Homme et la Fédération Internationale des Droits de
l’Homme tiennent à faire part de leur inquiétude face à la hâte avec laquelle le Parlement européen
s’apprête à ratifier l’accord d’association entre l’Union européenne et l’Algérie. En effet, il est prévu
que le rapport soit discuté cette semaine pour la première fois en Commission affaires étrangères, voté
la semaine prochaine en Commission et approuvé début juillet en plénière.
Nos organisations demandent au Parlement européen de prendre la clause droits de l’Homme inclue
dans cet Accord au sérieux et de reporter l’adoption du rapport, afin de prendre le temps d’organiser un
réel débat sur la question des droits de l’Homme dans ce pays. Nous demandons à la Commission
affaires étrangères d’inviter des représentants de la société civile algérienne à l’une de ses prochaines
réunions, et ceci avant que toute décision soit prise. En outre, le Parlement devrait en tout cas adopter
un rapport exigeant une sérieuse amélioration de la situation et la mise en place d’un mécanisme
permettant l’évaluation et le suivi de la mise en œuvre de la clause droits de l’homme, notamment en
demandant la création d’un groupe de travail conjoint UE-Algérie sur les droits de l’Homme qui
devrait faire des rapports réguliers au Conseil sur les progrès en la matière.
Nous espérons que le Parlement continuera à soutenir la cause des droits de l’Homme en Algérie,
comme il l’a fait dans le passé, et respectera les engagements qu’il a pris dernièrement. En effet, le
Parlement européen a clairement posé le respect des droits de l’Homme comme une condition sine qua
non pour la ratification de tout accord d’association en adoptant le 25 avril dernier le rapport de Mme
Rosa Díez González :
« 4. Le Parlement européen demande que les exigences en matière de démocratisation ainsi que
de respect et de protection des droits de l’homme qui sont imposées aux pays tiers partenaires de
l’Union priment sans exception les intérêts légitimes, d’ordre économique, commercial ou autre,
de l’Union elle-même et de chacun de ses États membres. […]
Éléments pour un code de conduite interinstitutionnel pour les relations extérieures de l’Union
en matière de droits de l’homme : […]
d) Tout pays tiers qui souhaite conclure tout type d’accord d’association avec l’Union
européenne devrait […] prouver aussi qu’il applique de manière satisfaisante les normes en
matière de droits de l’homme et qu’il n’est pas tenu pour responsable de manquement à ces droits
ni de violation grave et persistante de ceux-ci […] »
Par conséquent, le Réseau Euro-Méditerranéen des Droits de l’Homme et la Fédération internationale
des Droits de l’Homme appellent le Parlement européen à ne pas décevoir les attentes que ses
engagements ont fait naître, surtout dans une période où la situation des droits de l’Homme en Algérie
ne cesse de se dégrader.
Ainsi a-t-on appris le 20 mai 2002 que Mr. Khelil Abderrahmane, responsable du Comité SOSDisparus
et membre de la ligue algérienne de défense des droits de l’Homme (LADDH), a été placé
sous mandat de dépôt par le Procureur de Bir Mourad Raïs à Alger pour "incitation à attroupement
non-armé" en vertu de l’article 100 du Code pénal algérien. Le 26 mai, il a été condamné à 6 mois
d’emprisonnement avec sursis pour la seule réelle raison d’avoir mené une enquête sur les arrestations
d’étudiants par les forces de sécurité, en lien avec une visite du président Bouteflika, lors de la journée
nationale des étudiants (18 mai 2002) à l’Université de Bouzaréah. Après le procès et la condamnation
de Mohamed Hadj Smaïn membre de la LADDH à Relizane, puis celle de Larbi Tahar à Labiod Sidi
Cheikh, c’est au tour de Khelil Abdehamane, déjà interpellé nominativement à diverses reprises dans
ses missions pour la LADDH, de faire les frais de la politique répressive du pouvoir. Par ailleurs, les
arrestations massives d’étudiants qui ont eu lieu peuvent être considérées comme une énième atteinte
aux droits et libertés des citoyens.
D’une manière plus générale, des violations graves des droits de l’Homme sont toujours en cours en
Algérie et la quête de vérité par rapport aux exactions passées est largement bloquée :
1) Les disparitions forcées ou involontaires.
En avril 1997, les organisations de défense des droits de l’Homme avaient estimé le nombre de
personnes disparues depuis 1992 suite à des enlèvements ou des arrestations par les forces de sécurité
à au moins deux mille. Tous les témoignages et dossiers, ainsi que les rencontres avec les familles de
disparus, établies en Europe ou venues spécialement d’Algérie, confirment l’ampleur du phénomène et
permettent de dire que plus de 3000 personnes sont aujourd’hui portées disparues en Algérie, le
nombre effectif étant probablement supérieur.
Des dossiers déjà accumulés, il ressort notamment que la responsabilité des forces de sécurité peut être
établie de diverses manières et que toutes les forces de sécurité, régulières ou non, ont participé aux
arrestations, assez souvent en commun.
2) Les groupes de Légitime défense.
Dès 1993, mais surtout à partir de 1994, des groupes de civils, dont certains se désignent sous le nom
de " patriotes " ont participé à la lutte anti-terroriste au nom de la légitime défense. De 1993 jusqu’au
mois de janvier 1997, ces milices ont agi en dehors de tout cadre légal. Depuis, une loi sur les Groupes
de Légitime Défense (GLD) encadre en théorie leur action. Si le principe de la légitime défense ne peut
être totalement exclu dans des cas extrêmes, ces milices ne se contentent pas de jouer un rôle défensif.
Elles participent activement aux " ratissages " et autres opérations militaires dans un rayon d’action
qui dépasse de loin leur localité d’origine. Agissant parfois de manière coordonnée avec les forces
armées, elles opèrent aussi seules, de nuit, parfois sans signe les distinguant des groupes terroristes.
Il semble ainsi acquis que des milices aient participé à des arrestations ayant donné lieu par la suite à
des disparitions forcées, se sont rendus coupables d’exécutions extrajudiciaires ou de racket. En 1998,
deux exemples ont pu être connus, celui des exactions commises par la milice de Relizane, à l’ouest
du pays, dirigée par deux élus et celui du jeune Ouali Hamza, tué par un autre élu, responsable d’une
milice en Kabylie.
3) Les restrictions des libertés et des droits : des lois en contradiction avec les normes
internationales.
Depuis 1992, plusieurs textes de loi et décrets ont été adoptés ou promulgués et sont toujours en
vigueur1. S’ajoutant à des pratiques officielles situées elles hors de tout cadre juridique ou légal,
l’application de ces lois et décrets a abouti à des violations de grande ampleur des droits de l’Homme :
arrestations arbitraires, détentions au secret dans des centres non officiels, y compris pour des périodes
de longue durée, pratique généralisée de la torture et de mauvais traitements, exécutions sommaires
par des éléments des forces de sécurité ou des milices privées, disparitions, non respect des délais de
garde à vue et de détention préventive, atteintes graves au droit à un procès équitable, atteintes au droit
d’association, de manifestation et à la liberté de la presse, ...
Enfin il est important de rappeler que les autorités algériennes continuent de refuser l’accès à leur
territoire aux différents rapporteurs spéciaux des Nations Unies, ceux-ci n’ayant jamais pu se rendre
dans ce pays malgré leur demande réitérée. En outre, les ONG internationales se voient de nouveau
refuser l’accès depuis l’année 2000.
En conséquence, le REMDH et la FIDH appellent le Parlement européen à reporter le vote sur l’avis
conforme de l’accord d’association afin de laisser place à un réel débat sur la situation des droits de
l’Homme en Algérie, et à prendre une position ferme sur la mise en oeuvre de la clause droits de
l’Homme. Il en va de la crédibilité du Parlement et de son engagement en faveur des droits de
l’Homme dans le monde, et en particulier en Algérie. Il en va aussi et surtout des espoirs de la société
civile algérienne.
Nos organisations se tiennent bien sûr à la disposition du Parlement européen pour participer à un tel
débat et pour toutes informations complémentaires.
Nous vous prions d’agréer, Madame la députée, Monsieur le député, l’expression de nos salutations
distinguées.

Marc Schade-Poulsen Directeur exécutif du REMDH
Driss El-Yazami Secrétaire Général de la FIDH

1 Trois textes juridiques sont particulièrement préoccupants :
1-Le décret sur l’état d’urgence du 9 février 1992
2-Le décret-loi contre le terrorisme et la subversion du 30 septembre 1992 et l’intégration en 1995 de ses
principales dispositions dans le Code Pénal et le Code de Procédure Pénale
3-Le décret exécutif 05/92 du 24 octobre 1992, qui a remanié la loi du 12 décembre 1989, portant statut de
la magistrature

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