Le 24 août, Kaddour Chouicha, figure importante du mouvement de défense des droits humains, vice-président de la Ligue algérienne de défense des droits de l’Homme (LADDH) et président de la section d’Oran au sein de la Ligue a été arrêté à l’aéroport d’Oran avec sa femme. Après un interrogatoire de deux heures sur les raisons de son voyage, sa destination et ses liens avec les mécanismes des Nations unies relatifs aux droits de l’Homme, Kaddour Chouicha s’est vu interdire de prendre son avion. Son nom avait été ajouté sur une liste de personnes visées par une interdiction de voyager, ce dont il n’avait pas été informé. Cette interdiction survient au moment où Kaddour Chouicha se préparait à voyager afin de préparer, avec d’autres, des réunions avec les rapporteurs spéciaux des Nations unis et de mettre en évidence les restrictions continues à la liberté de travail des syndicats et associations. Il voyageait avec sa femme, qui participait à des réunions du Conseil des droits de l’homme le 31 août, en amont de la session officielle de l’Examen périodique universel du Conseil, qui doit se tenir en novembre. Cette interdiction de voyager est très certainement une mesure de représailles à la suite de sa participation à une publication conjointe qui a mis en exergue l’érosion de l’espace civique et la répression violente des défenseur·es des droits humains et des militant·es du mouvement Hirak par les autorités algériennes. Cette répression accrue passe par des agressions physiques, des arrestations arbitraires, des mauvais traitements et des cas de torture pendant les détentions, ainsi que par le harcèlement judiciaire de manifestant·es pacifiques, de membres de mouvement de défense des droits humains, de syndicalistes et de journalistes.
Les organisations soussignées craignent que cet incident, survenu au moment de la visite du président français en Algérie, ne soit une preuve supplémentaire de la complaisance dont font preuve les dirigeants européens face à l’escalade des violations des droits humains en Algérie, en échange d’une garantie d’approvisionnement en énergie pour l’Europe. Les organisations considèrent que cette approche sélective et incohérente du soutien apporté aux normes internationales relatives aux droits humains ne fait qu’alimenter l’instabilité et favoriser le développement de groupes extrémistes violents. En outre, la stratégie reposant sur la recherche de compromis avec des régimes autoritaires pourrait entraver le processus de démocratisation au sud de la Méditerranée, et accroître le nombre de jeunes immigrants aspirant désespérément au changement.
Il convient de rappeler que les autorités algériennes ont un long passif en matière de harcèlement à l’encontre de Kaddour Chouicha. Le 12 mars 2021, lui et son fils ont été violemment battus par la police à Oran (un des officiers de police avait alors tenté de l’étrangler). Le 29 avril 2021, les défenseur·es des droits humains Kaddour Chouicha, Jamila Loukil, Said Boudour et 12 autres militant·es pacifiques ont été poursuivi·es pour accusation de terrorisme. Le Procureur a retenu les charges de « complot portant atteinte à la sécurité de l’État visant à inciter les citoyens à prendre les armes contre l’autorité de l’État ou à porter atteinte à l’intégrité du territoire national, propagande d’origine ou d’inspiration étrangère susceptible de nuire aux intérêts nationaux et participation à une organisation terroriste ou subversive agissant en Algérie ou à l’étranger » conformément aux articles 77, 78, 87 bis 3, 87 bis 6, 87 bis 12 et 96 du Code pénal. La liste des chefs d’accusation démontre bien l’association, délibérément injuste, faite par les autorités algériennes entre les activités pacifiques et légitimes des défenseur·es des droits humains d’une part et les crimes terroristes d’autre part. Ce lien permet la condamnation des défenseur·es des droits humains à de longues peines de prison pouvant aller jusqu’à 20 ans.
Dans ce contexte, les organisations soussignées demandent que :
1. les procédures spéciales de Nations unies et le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme (HCDH) fassent immédiatement et publiquement part aux autorités algériennes de leurs préoccupations vis-à-vis de la situation du défenseur des droits humains Kaddour Chouicha et des représailles dont il est la cible permanente ;
2. les instances internationales et les organisations internationales et régionales indépendantes de défense des droits humains agissent pour que la société civile algérienne puisse fonctionner librement et sans faire l’objet de représailles ou de répression, notamment la Ligue algérienne pour la défense des droits de l’homme ;
3. les autorités algériennes lèvent de toute urgence toutes les mesures d’interdiction de voyager et les charges retenues contre le défenseur des droits humains Kaddour Chouicha, qui est pris pour cible en raison de son travail légitime et pacifique en matière de défense des droits humains et de sa participation à des manifestations pacifiques ;
4. les autorités algériennes garantissent aux défenseur·es des droits humains la possibilité de mener leurs activités légitimes de défense des droits humains sans restriction ni crainte de représailles, et ce en toute circonstance. Les manifestant·es pacifiques ne doivent pas être pénalisé·es, notamment par le biais de chefs d’accusation de terrorisme infondés afin de les emprisonner ;
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5. les autorités algériennes révisent les dispositions du Code pénal qui risquent d’incriminer indûment le travail de défense des droits humains, notamment les articles 87 bis et 96, conformément au Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) et à la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples (CADHP), ratifiés par l’Algérie.
Éléments de contexte :
Les autorités algériennes font une utilisation abusive de la lutte antiterroriste comme outil de représailles contre les défenseur·es des droits humains :
Le décret exécutif n° 21-384 du 7 octobre 2021 fixe les modalités d’inscription sur la liste nationale des personnes et entités terroristes, en vertu desquelles les entités ou personnes inscrites peuvent être soumises à de sévères restrictions (interdiction de voyager, gel des avoirs, interdiction d’exercer des activités politiques, syndicales ou publiques). Selon le décret, le processus d’inscription sur la liste repose uniquement sur une enquête préliminaire et indépendante menée par des organes de sécurité, sans contrôle judiciaire ni réglementation législative. Sur cette base, une commission présidée par le ministre de l’Intérieur et composée de plusieurs autres ministres et chefs d’organes de sécurité décide de l’inscription et de la radiation des individus et entités sur la liste. L’absence d’examen indépendant va à l’encontre des normes internationales qui exigent une enquête indépendante avant d’imposer une sanction.
Le 27 décembre 2021, les procédures spéciales des Nations unies ont prévenu que la législation antiterroriste portait atteinte aux droits fondamentaux et imposait des peines disproportionnées pour des actes qui ne devraient pas être visés par la législation antiterroriste. Elles ont souligné que les procédures d’inscription sur la liste nationale des personnes et entités terroristes n’étaient pas conformes aux normes internationales relatives aux droits humains et se sont déclarées « [inquiètes] que ce cadre législatif puisse être susceptible de donner lieu à des abus et permettre la prise de décisions arbitraires ».
Entre avril et octobre 2021, le Cairo Institute for Human Rights Studies (CIHRS) a recensé au moins 59 cas de personnes poursuivies pour des accusations infondées de terrorisme. Nous les mentionnons à titre d’exemple, mais la liste n’est pas exhaustive.
1. Le 29 avril 2021, les défenseur·es des droits humains (DDH) Kaddour Chouicha, Jamila Loukil et Said Boudour, ainsi que 12 autres militant·es pacifiques, ont été poursuivi·es pour des accusations liées au terrorisme.
2. La manifestante Hakima Bahri a été arrêtée le 21 mai 2021 pour « participation à une organisation terroriste ».
3. Le 26 mai 2021, l’avocat des droits humains Abderraouf Arslane, membre du Collectif pour la défense des détenus du Hirak, a été arrêté et poursuivi pour participation à une organisation terroriste (articles 87 bis 2 et 87 bis 3 du Code pénal).
4. Les militantes Fatima Boudouda et Moufida Kharchi sont en détention préventive depuis le 21 mai 2021 pour des accusations liées au terrorisme.
5. Le syndicaliste Ramzi Derder et trois autres militants, Aissam Messadia, Okba Toulmit et Oussama Medaci, ont été arrêtés à Batna les 27 et 30 juin 2021 pour accusations liées au terrorisme.
6. Le 24 août 2021, la défenseure des droits des minorités Kamira Nait Sidive a été enlevée avant d’être poursuivie pour plusieurs chefs d’inculpation liés au terrorisme
7. Le militant amazigh chrétien Slimane Bouhafs, réfugié algérien, a été renvoyé de force de Tunis le 25 août 2021 afin d’être traduit en justice pour « participation à une organisation terroriste ».
8. Quinze militant·es amazigh·es et le journaliste Mohamed Mouloudj ont été arrêté·es entre le 2 et le 14 septembre 2021 et poursuivi·es pour terrorisme.
9. L’ancien policier Zahir Moulaoui a été arrêté le 5 octobre 2021 et accusé de « participation à une organisation terroriste » ainsi que d’« apologie du terrorisme ».
10. Le défenseur des droits humains Mohad Gasmi a été condamné à trois ans de prison le 9 juin 2022 pour « apologie du terrorisme » après avoir publié des messages critiques sur les réseaux sociaux. Il a également été condamné à trois ans de prison le 15 juin 2022 pour « divulgation d’information confidentielle sans intention de trahison ou d’espionnage » (article 67 du Code pénal) en raison de ses voyages à l’étranger pour participer à des conférences sur l’environnement et d’échanges de mails sur l’exploitation du gaz de schiste dans le sud de l’Algérie.
11. Le 12 septembre 2021, le journaliste Hassan Bouras a été placé en détention préventive pour huit délits et accusations pénales liées au terrorisme. M. Bouras risque la peine de mort en raison de publications en ligne portant sur la crise de l’oxygène pendant la pandémie de Covid-19, ainsi que sur le meurtre du militant du Hirak Djamel Bensmail, lynché par la foule le 11 août 2021.
12. Le 10 novembre 2021, le militant Bouabdellah Bouachria a été condamné à neuf ans de prison pour divers chefs d’accusation, notamment pour « apologie du terrorisme ».
13. Le 18 février 2022, le défenseur des droits humains Zaki Hannache a été arrêté pour « apologie du terrorisme », « atteinte à l’unité nationale », « réception de fonds portant atteinte à l’unité nationale », « publication et diffusion de publications susceptibles de nuire à l’intérêt national » et « diffusion de fausses nouvelles », en raison de son travail en matière de défense des droits humains dans lequel il recense les poursuites et arrestations arbitraires à l’encontre de participants au Hirak ou fait état de la situation liée à l’exercice des libertés civiles et politiques depuis 2019 (la rapporteuse spéciale sur les défenseurs et défenseuses des droits humains est responsable de la communication sur cette affaire). Il a été libéré le 30 mars 2022, mais le Procureur n’a pas abandonné les poursuites, l’affaire reste donc pendante.