Algérie – L’escalade de la répression menace la survie de la société civile indépendante

22/02/2022
Communiqué
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RYAD KRAMDI / AFP

22 février 2022 — À la date du troisième anniversaire du mouvement de protestation pro-démocratie « Hirak », les organisations soussignées expriment leur vive inquiétude face à l’intensification dangereuse des manœuvres répressives pour museler le mouvement citoyen pacifique et étouffer les voix de la société civile en Algérie. Les arrestations des défenseurs des droits humains Zaki Hannache et Faleh Hammoudi respectivement le 18 et 19 février – ce dernier ayant été condamné le 20 février à trois ans d’emprisonnement en première instance – sont les derniers exemples de ces manœuvres répressives.

Les signataires appellent le gouvernement algérien à mettre fin de toute urgence à la criminalisation systématique de l’activisme pacifique, du journalisme indépendant, du syndicalisme autonome et de la dissidence, et à la libération immédiate de tous les individus emprisonnés arbitrairement.

Alors que le nombre de prisonnier.ère.s d’opinion a atteint un nouveau record (340 [1] au 9 février 2022, dont sept femmes [2]), la multiplication de lourdes poursuites arbitraires pour terrorisme et les actions en justice sans précédent contre des organisations civiles et politiques sont particulièrement préoccupantes. Depuis le 28 janvier [3], au moins 46 prisonnier. ère.s d’opinion ont entamé une grève de la faim pour protester contre leur détention arbitraire. Dans ce qui semble être une action de représailles, cinq d’entre eux ont été agressé.e.s physiquement [4] tandis qu’au moins 23 ont été transféré.e.s arbitrairement dans d’autres prisons.

Les autorités tentent d’étouffer ce qu’il reste encore d’espace civique, menaçant le multipartisme et la survie même de la société civile dans toutes ses composantes. En réponse à cette nouvelle vague répressive, 12 organisations algériennes, européennes et internationales ont renouvelé leur volonté de mobilisation collective pour la défense des droits humains en Algérie à travers la création d’un groupe de travail dédié le 11 février 2022.

Alors que la possibilité de poursuites judiciaires en Suisse contre le général Khaled Nezzar pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité semble se concrétiser, nos organisations soulignent l’urgence de lutter contre le manque d’indépendance de la justice algérienne. Ce manque d’indépendance a contribué à une longue histoire d’impunité qui rappelle tristement les années 90, avec près de 8000 disparitions forcées du fait des agents de l’État [5].

Signataires

1. AfricanDefenders (Réseau panafricain des défenseurs des droits humains)
2. Article 19
3. Centre Justitia pour la protection juridique des droits de l’Homme en Algérie
4. Collectif Action-détenus
5. Collectif des Familles de Disparus en Algérie (CFDA)
6. Confédération Française Démocratique du Travail (CFDT)
7. Confédération Générale Autonome des Travailleurs en Algérie (CGATA)
8. Confédération Générale Italienne du Travail (CGIL)
9. Confédération générale du travail (CGT, France)
10. Confédération Syndicale des Commissions Ouvrières (CCOO, Espagne)
11. Euromed Droits
12. Fédération Internationale des ligues des Droits de l’Homme (FIDH)
13. Free Algeria
14. Internationale de Services Publics (ISP)
15. Institut du Caire pour les Études des Droits de l’Homme
16. Ligue Algérienne de Défense des Droits de l’Homme (LADDH)
17. L’Union syndicale - Solidaires
18. MENA Rights Group
19. Organisation Mondiale Contre la Torture (OMCT)
20. Riposte Internationale
21. Syndicat National Autonome des Personnels de l’Administration Publique (SNAPAP)
22. Union Internationale des Travailleur-euses de l’Alimentation, de l’agriculture, de l’hôtellerie-restauration, du catering, du tabac et des branches connexes (UITA)

En savoir plus sur l’évolution récente des droits humains en Algérie

• Utilisation abusive des mesures antiterroristes pour réprimer la dissidence pacifique

Entre mai et août 2021, les autorités ont provoqué la fermeture quasi-totale de l’espace public, à travers des arrestations massives et le recours illégal à la force à l’encontre des manifestant.e.s, journalistes et défenseur.e.s des droits humains. Depuis, nombre d’entre eux ont été arrêté.e.s et poursuivi.e.s sur la base d’accusations terroristes définies de manière vague et très large. Au moins 59 personnes - activistes pacifiques, défenseur.e.s des droits, journalistes, avocat.e.s - ont été poursuivies arbitrairement pour des accusations terroristes en vertu de l’article 87 bis du Code pénal définissant les actes terroristes - définition élargie en juin 2021. Au moins 44 personnes restent indéfiniment en détention provisoire [6], comme Kamira Nait Sid, défenseure des droits amazighs, arrêtée le 25 août 2021 ; Slimane Bouhafs, réfugié et activiste chrétien amazigh, enlevé à Tunis et retourné de force en Algérie également le 25 août 2021 et l’avocat des droits humains Abderraouf Arslane, arrêté le 26 mai 2021. Dans une communication du 27 décembre 2021, cinq des Procédures Spéciales des Nations unies ont adressé une communication au gouvernement algérien dans laquelle ils ont averti que l’article 87 bis du Code pénal « [portait] atteinte aux droits de réunion pacifique et à la liberté d’expression, et [imposait] également des sanctions disproportionnées pour des actes qui ne devraient pas être traités par la législation antiterroriste ».

• Des actions en justice sans précédent contre des organisations civiles et politiques

Par ailleurs, les poursuites judiciaires sans précédent engagées contre des organisations de la société civile et des partis politiques - notamment les membres du Pacte de l’Alternative Démocratique (PAD) [7] - témoignent de la détermination des autorités à renforcer la répression de tout activisme indépendant et organisé, et à supprimer les droits à la liberté d’expression, d’association et de réunion pacifique.

Le 20 janvier 2022, le Conseil d’Etat a suspendu temporairement les activités du Parti Socialiste des Travailleurs (PST) et ordonné la fermeture de ses locaux pour « activité illégale ». Le même jour, le Conseil d’État a rejeté une requête similaire du Ministère de l’Intérieur visant à suspendre l’Union pour le Changement et le Progrès (UCP) ; il lui reste encore à statuer sur une requête de dissolution de l’UCP. Le 5 janvier, le Rassemblement pour la Culture et la Démocratie (RCD) a reçu une mise en demeure du Ministère de l’Intérieur lui enjoignant de cesser d’organiser des réunions dans ses locaux sans autorisation, sous peine de poursuites judiciaires, faisait référence à une réunion de lancement du « front populaire contre la répression » hébergée par le RCD le 24 décembre 2021. Au moins neuf membres du RCD ont été condamnés à des peines de prison, placés sous contrôle judiciaire ou en détention provisoire depuis septembre 2021. Le 13 octobre 2021, le tribunal administratif d’Alger a aussi ordonné la dissolution de l’association Rassemblement Actions Jeunesse (RAJ), au motif que ses activités seraient contraires à son objet social. Onze membres du RAJ ont été poursuivis en justice depuis 2019.

Les militant.e.s politiques et activistes de la société civile ont également été particulièrement visé.e.s. Neuf membres de la Ligue algérienne pour la Défense des Droits de l’Homme (LADDH) sont actuellement poursuivis en justice, parmi lesquels trois d’entre eux sont en détention provisoire depuis plusieurs mois. Le 13 janvier, Nasreddine Hamitouche et Hichem Khiat, du Rassemblement des Jeunes pour l’Algérie (Rassemblement des Jeunes pour l’Algérie - RJPA), ont été placés sous contrôle judiciaire. Le 9 janvier 2022, Fethi Ghares, coordinateur national du Mouvement démocratique et social (MDS) a été condamné à deux ans de prison pour avoir critiqué les autorités. Le 14 novembre 2021, Nacer Meghnine, président de l’association de jeunesse SOS Culture Bab el Oued, a été condamné à un an de prison pour « distribution et possession de publications afin de porter atteinte à l’unité nationale » et « incitation à un rassemblement non armé ».

• Arrestations et condamnations arbitraires continues sur la base d’accusations formulées de manière vague et très large

Parallèlement à ces deux développements notables, les arrestations et condamnations arbitraires utilisant des accusations définies de manière vague et très large telles que « atteinte à l’unité nationale », « offense à corps constitués » ou « incitation à un rassemblement non armé » se sont poursuivies sans répit. Selon des sources fiables, au moins 27 activistes et journalistes ont été condamné.e.s à des peines de prison en janvier 2022, tels que le militant Mustapha Guira, condamné à trois ans de prison le 23 janvier, alors qu’il est en détention provisoire depuis le 29 avril 2021 pour une autre affaire terroriste ; l’activiste Bouziza Boumediene, condamné à trois ans de prison le 30 janvier ; et du journaliste et blogueur Merzoug Touati, condamné à un an de prison le 1er janvier. Parmi les 33 personnes arrêtées en janvier 2022, figurent le journaliste Abdelkrim Zeghileche, arrêté pour des accusations de terrorisme le 24 janvier, ainsi que la défenseure des droits des travailleur.se.s Dalila Touat, arrêtée à nouveau le 31 janvier 2022. Tous deux étaient déjà victimes de harcèlement judiciaire.

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