VIOLENCES CONTRE LES FEMMES : L’ÉTAT DES LIEUX EN 2001

Note préparée par la Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme (FIDH)à l’intention de Madame Radikha Coomaraswamy, Rapporteuse spéciale de la Commission des droits de l’Homme sur les violences à
l’égard des femmes, ses causes et ses conséquences

Cette note a été préparée à partir d’informations recueillies dans le pays et auprès de sources officielles algériennes (en particulier de l’Institut national de la Santé Publique), en vue de la préparation du rapport de la Rapporteuse spéciale à la 58ème session de la Commission des droits de l’Homme des Nations Unies (mars 2002).

1- La violence ordinaire

· L’état des lieux ne peut qu’être partiel, les sources étant disséminées et ne se recoupant pas toujours. Néanmoins, l’ampleur du phénomène peut être extrapolé à partir des données recueillies par les hôpitaux et les commissariats de police. Selon des informations recueillies auprès de l’hôpital Mustapha d’Alger, on peut estimer à quelque 9000 le nombre de femmes battues qui se rendent chaque année à l’hôpital pour faire soigner leurs blessures (estimation faite à partir du nombre de femmes reçues durant les 9 premiers mois de 2001 à l’hôpital Mustapha : 960 cas y ont été examinés. Or il existe en Algérie 15 CHU et 15 services de santé publique à l’intérieur des hôpitaux ordinaires). Toujours selon les données recueilles à l’hôpital Mustapha, 75% des agressions ont lieu au domicile de la victime et, dans près des ¾ des cas, il s’agit d’un tabassage à coups de poing et de pieds. La moitié des lésions constatées sont des ecchymoses, mais il y a également des hématomes, des fractures et des brûlures. 82% des cas nécessitent des soins légers mais 11% nécessitent des sutures. Les ¾ des femmes venues se faire soigner à l’hôpital Mustapha n’en sont pas à leur première expérience et 53% d’entre elles sont des femmes au foyer. Quant au profil de l’agresseur, il s’agit le plus souvent de l’époux. 53% des agresseurs sont des hommes de 35 à 45 ans et près du quart sont des cadres moyens. Les ¾ des agresseurs n’ont jamais été condamnés alors que la plupart d’entre eux sont des récidivistes en matières de coups et blessures. Si sur le plan médical, la prise en charge est correcte, il n’y a aucune prise en charge psychologique des femmes agressées.

· Des statistiques partielles existent également pour la ville d’Oran. Une enquête menée du 1er au 15 février 2000 en milieu hospitalier a permis d’évaluer à 520 pour 100 000 le nombre de femmes battues. Cette statistique permet de constater que la prévalence de la violence contre les femmes est supérieure à celle de toutes les autres pathologies.
· Ces statistiques peuvent être complétées par celles fournies par la direction générale de la sûreté nationale (équivalent de la gendarmerie). La DGSN a constaté que la violence " ordinaire " (crimes terroristes et exactions des forces de l’ordre exclus) à l’égard des femmes et des enfants a augmenté au cours des dernières années. Au 2e trimestre 2001, la DGSN a reçu 1439 femmes victimes de violences, dont 50 ont été victimes de violences sexuelles. 12% des agresseurs étaient les époux, 3% les frères, 2% les fils, 1% les pères et 3% les amants.
· Enfin, l’association SOS femmes en détresse a fourni des données tirées des appels téléphoniques reçus par son centre d’écoute d’Alger. Sur 399 appels de femmes en situation de détresse reçus en 2000, 36% ont concerné les violences conjugales, 26% les violences familiales, 2% le viol, 2% l’inceste, 2% d’autres violences sexuelles et 4% la répudiation.

2- La violence terroriste

Depuis 1995, l’Algérie a connu le phénomène des enlèvements de femmes et de jeunes filles par les groupes armés ou les viols collectifs avant assassinat lors des grands massacres des années 1995-97. Le décompte exact des femmes violées et tuées dans ces circonstances n’a pas été effectué. Leur nombre se monte vraisemblablement à plusieurs milliers. Cependant, en 2000, les services de sécurité ont avancé le chiffre de 2029 femmes survivantes qui ont été violées par des groupes terroristes.
Force est de constater que, jusqu’à présent, il n’y a pratiquement eu aucune prise en charge de ces victimes qui, pour la plupart, ont eu du mal à faire reconnaître les viols dont elles ont été l’objet. Pire, des associations et des médecins ayant demandé que ces femmes soient officiellement considérées comme des vitimes du terrorisme, ce qui leur donnerait droit à une indemnité, ont vu leur demande rester sans réponse.

3- La violence induite par la législation

La législation discriminatoire de l’Algérie vis-à-vis des femmes a des conséquences concrètes sur leur vie quotidienne. On n’en citera que quelques-unes.
· L’inégalité devant l’héritage prive chaque année des milliers de femmes d’une partie des patrimoines familiaux qui devraient leur revenir de droit.
· Le ministère de la justice estime que, depuis qu’en 1984 le Code de la famille a décrété que le logement familial revenait à l’homme en cas de divorce ou de répudiation, même quand la femme avait la garde des enfants, 12 000 femmes ont été expulsées de leur foyer à la suite d’un divorce.
· L’interdiction de l’interruption de grossesse, sauf si la santé physique ou mentale de la mère est menacée précise le Code de la santé, fait du problème des filles mères un des principaux drames sociaux de l’Algérie d’aujourd’hui. Et, même dans le cas où la santé de la mère est menacée, le corps médical hospitalier est très réticent à pratiquer des IVG. Or, l’enfant né hors mariage n’a aucun statut légal en Algérie. L’interruption de grossesse n’est pas autorisée en cas de viol, sauf s’il s’agit d’un viol commis dans le cadre de la violence terroriste. Outre l’autorisation donnée dans ce cas par l’autorité publique, une fatwa a également autorisé l’avortement en cas de viol terroriste.

4- Comment expliquer l’importance des violences à l’égard des femmes ?

L’ensemble des spécialistes consultés (médecins, psychologues et psychiatres, juristes, responsables d’associations) s’accordent à affirmer que la tolérance sociale à l’égard de cette forme de violence est le premier facteur de sa banalisation. La maltraitance domestique, en particulier sur les femmes, est très largement acceptée par la société algérienne. Selon plusieurs médecins consultés, très souvent, l’époux frappe sa femme sans motif précis. Ils ont également souligné le fait que, quand une femme battue ayant consulté une structure hospitalière obtient un certificat médical de moins de 15 jours d’arrêt de travail, la justice n’en tient en général pas compte, estimant qu’il s’agit là d’une affaire bénigne. Quant à la police, elle décourage le plus souvent les femmes qui se rendent dans ses locaux de porter plainte contre un mari ou un fils (" c’est honteux ", " il ne faut pas ", etc.).

L’acceptation sociale de cette violence, légitimée par une législation qui consacre sur tous les plans le privilège de masculinité, peut expliquer sa recrudescence au cours des derniers mois. Plusieurs expéditions punitives d’une rare brutalité ont eu lieu contre des femmes accusées de " débauche " ou de " prendre le travail des hommes ".

Devant cette situation, les autorités ne prennent aucune mesure significative. Aucune initiative n’a été prise ni sur le plan législatif, ni sur le plan pénal, ni en matière de prise en charge pour tenter de mettre fin à ce phénomène. Une réforme du Code pénal est toutefois en chantier, qui pourrait faciliter la possibilité pour les associations de se porter partie civile dans des affaires de viol ou de violences sexuelles.

Lire la suite