Lettre à la Troïka européenne

28/11/2001
Rapport

A l’intention :
des Ministres des Affaires étrangères des quinze Etats membres
de Monsieur Javier Solana, Haut représentant pour la PESC
de Monsieur Chris Patten, Commissaire aux relations extérieures

Monsieur le Haut Représentant de l’Union européenne,
Monsieur le Commissaire européen,
Mesdames et Messieurs les Ministres des Affaires étrangères,

Re : Troïka UE / Algérie du 5 décembre

Nous vous écrivons dans la perspective de la prochaine rencontre entre la Troïka européenne et les autorités algériennes afin de porter à votre attention des éléments qui, de notre point de vue, devraient impérativement figurer à l’ordre du jour de la réunion.

La politique de Concorde civile, adoptée par référendum en septembre 1999, n’a pas permis de mettre un terme au conflit en Algérie, et les violations flagrantes, massives et systématiques perpétrées depuis dix ans n’ont toujours pas fait l’objet d’enquêtes sérieuses. Ceci est notamment vrai s’agissant des milliers de cas de disparitions forcées, lesquels n’ont pas fait l’objet d’enquêtes sérieuses, en dépit des recommandations du Comité des droits de l’Homme des Nations Unies de 1998 allant en ce sens.

A cet égard, les autorités prétendent avoir ouvert 48 bureaux régionaux pour recevoir les plaintes des familles de disparus. En réalité, ces bureaux n’ont eu d’existence réelle que dans les grandes villes et des pressions importantes ont été exercées à l’encontre des familles qui sont venues déposer des dossiers auprès de ces bureaux. Les bureaux en question ont néanmoins recueilli 4880 dossiers de disparitions.

Les cas recensés par ces bureaux n’ont pas fait l’objet d’enquêtes sérieuses ; en effet, ces bureaux dépendent du Ministère de l’Intérieur, lequel est impliqué dans la plupart des cas de disparitions. Les modalités de ces soi-disant enquêtes n’ont donc pas été conformes à l’article 13 de la Déclaration des Nations Unies sur la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées de 1992, qui consacre " le droit de dénoncer les faits devant une autorité de l’Etat compétente et indépendante, laquelle procède immédiatement et impartialement à une enquête approfondie".

L’Algérie est toujours régie par le décret sur l’état d’urgence du 9 février 1992 et par une législation d’exception qui bride la vie politique et la libre expression de la société, réduisant le prétendu pluralisme de la société algérienne à un pluralisme de façade. Les syndicats autonomes subissent d’importantes restrictions et la liberté de la presse est placée sous la contrainte économique de l’État qui dispose de monopoles (papier, publicité, entreprises d’impression). Les champs d’expression sociale, culturelle et politique (médias, associations, syndicats, partis, etc.) sont étroitement contrôlés et entravés par les autorités.

Dix ans après l’interruption des élections, la société algérienne est muselée, isolée du monde et appauvrie. Sur une population de 30 millions d’habitants, l’Algérie compte près de 7 millions de personnes qui vivent au-dessous du seuil de pauvreté et près de 14 millions de personnes sont plongées dans la précarité. Pourtant, l’Algérie ne manque ni de ressources ni de potentialités. Grâce à une hausse importante des prix du pétrole, l’Algérie disposerait actuellement d’importantes réserves de change, soit 18 milliards de dollars, et son excédent budgétaire ne cesse d’augmenter. De plus, les programmes d’ajustement structurel conclus avec les institutions de Bretton Woods en 1994 et 1995 ont abouti au rétablissement des équilibres macroéconomiques et financiers .

Depuis le mois d’avril 2001, dès que le niveau de violence politique et la pression sécuritaire ont diminué, les Algériens sont descendus dans la rue, en Kabylie d’abord, puis dans de nombreuses régions du pays, réclamant le respect de leurs droits économiques, sociaux et culturels. Toutefois, les autorités cherchent à contenir les revendications sociales dans des bornes exclusivement linguistiques en instrumentalisant la question de la langue (Kabylie).

Enfin, les femmes sont tout particulièrement touchées par les violations des droits fondamentaux et maintenues dans une situation d’infériorité. La FIDH vient de transmettre un état des lieux sur les violences contre les femmes en Algérie à la rapporteuse spéciale des Nations Unies sur la violence contre les femmes, que vous trouverez ci-joint.

Au regard de ce tableau, la FIDH demande à l’Union européenne de saisir l’opportunité de la rencontre du 5 décembre pour soulever en particulier les questions suivantes :
1. Les rapporteurs des Nations Unies sur les exécutions sommaires, la violence contre les femmes, la torture, et le Groupe de travail sur les disparitions forcées ont demandé à visiter l’Algérie. Or, ils n’ont toujours pas été invités par les autorités algériennes. La FIDH estime essentiel que la coopération de l’Algérie avec ces mécanismes onusiens soit abordée de manière prioritaire lors des discussions du 5 décembre.
2. Notre organisation s’est rendue en Algérie en mai/juin 2000 ; depuis, elle a demandé à trois reprises au gouvernement algérien de pouvoir se rendre à nouveau en Algérie (février, avril et août 2001) ; nous n’avons jusqu’à présent pas reçu de réponse à ces demandes. La FIDH espère que la question de la coopération des autorités algériennes avec les organisations non-gouvernementales internationales de défense des droits de l’Homme sera également abordée le 5 décembre.

Je vous remercie de l’attention que vous porterez à la présente et vous prie d’agréer, Monsieur le Haut Représentant de l’Union européenne, Monsieur le Commissaire européen, Mesdames et Messieurs les Ministres des Affaires étrangères, l’expression de ma très haute considération

Sidiki Kaba
Président

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