LETTRE OUVERTE Conseil d’Association UE - Algérie du 24 Avril 2007

02/05/2007
Communiqué

ATTN.
S.E. Dr Frank-Walter Steinmeier, Ministre des Affaires étrangères de la République Fédérale d’Allemagne
Ministres des Affaires étrangères des Etats membres de l’Union européenne
M. Javier Solana, Haut Représentant de l’UE pour la PESC
Mme. Benita Ferrero Waldner, Commissaire aux Affaires étrangères
M. Hans Gert Pöttering, Président du Parlement Européen

Excellences, Mesdames, Messieurs,

A quelques jours du prochain Conseil d’association Union européenne - Algérie, le 24 avril 2007, les organisations signataires souhaitent attirer votre attention sur plusieurs préoccupations concernant la situation des droits humains en Algérie, et vous appeler à les soulever auprès des autorités algériennes en vertu de l’article 2 de l’Accord d’association liant l’UE à l’Algérie, ainsi que des lignes directrices de l’UE sur les défenseurs des droits de l’Homme et sur la torture.

1.Déni du droit à la vérité et à la justice : la Charte pour la paix et la réconciliation nationale

La Charte pour la paix et la réconciliation nationale est entrée en vigueur avec la mise en oeuvre de ses textes d’application (ordonnance 06-01 et les 3 décrets présidentiels) le 27 février 20061.

Cette Charte fournit une amnistie généralisée aux membres des forces de sécurité, des milices armées par l’Etat et des groupes armés terroristes2 responsables de crimes au regard de la législation pénale algérienne, du droit international et d’autres graves atteintes aux droits humains et qui n’ont, à ce jour, pas fait l’objet d’enquêtes.

Les dispositions législatives officialisent un déni du droit à la vérité et à la justice des victimes des violations et de leurs familles. Elles pénalisent en outre l’exercice du droit à la liberté d’expression des victimes et des défenseurs des droits de l’Homme, en prévoyant de punir, par des peines allant jusqu’à 5 années d’emprisonnement, tout travail de recherche de la vérité et de justice (article 46 du décret d’application). Enfin, elles interdisent tout recours en justice sur ces crimes devant les juridictions algériennes.

Cette loi s’étend aux crimes de disparition forcée et autres crimes contre l’humanité commis en Algérie, en contravention des obligations de l’Algérie au regard du droit international d’enquêter sur les crimes, d’établir les responsabilités et de fournir des réparations judiciaires aux victimes.

Plusieurs Procédures spéciales des Nations unies ont condamné à plusieurs reprises cette loi. Ainsi, le Rapporteur spécial sur l’indépendance des juges et des avocats, conjointement avec le Rapporteur Spécial sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires, et le Président Rapporteur du Groupe de travail sur les disparitions forcées ou involontaires, ont dénoncé les provisions prévoyant l’amnistie ainsi que celles pénalisant les défenseurs des droits de l’Homme et les familles de victimes. Ils rappellent notamment « qu’aucun plan de paix, même soutenu par un processus démocratique, ne peut ignorer le droit à la vérité et à la pleine réparation des victimes de violations graves des droits de l’homme. »

Ils soulignent en outre, s’agissant des disparitions forcées, que « la disparition est un délit continu tant que le sort de la victime ou le lieu où elle se trouve ne sont pas établis clairement. (...) que les auteurs de faits de disparition forcée ne peuvent pas bénéficier de lois d’amnistie spéciales et que l’existence de circonstances atténuantes ne peut être invoquée que dans les cas où l’auteur a contribué à l’éclaircissement de l’affaire. », ce qui n’est pas le cas ici.3

Les organisations signataires demandent instamment à l’Union européenne d’intervenir, notamment en vertu des lignes directrices sur la torture et celles sur les défenseurs des droits de l’Homme, afin d’enjoindre les autorités algériennes à
abroger l’ordonnance 06-01 et les décrets présidentiels du 27 février 2006 ;
autoriser le Groupe de travail sur les disparitions forcées à entreprendre une mission d’enquête en Algérie, comme il en a réitéré la demande en 2006.

2.Entraves à la liberté d’information et d’expression et tentative de musellement des défenseurs des droits humains

Même s’il n’a pas été fait recours à l’article 46 du décret d’application de la Charte qui prévoit des sanctions pouvant aller jusqu’à 5 ans d’emprisonnement pour quiconque continuera de parler ou d’écrire "en exploitant les blessures de la tragédie nationale" dans le but de nuire à l’image de l’Algérie et à la bonne réputation de ses agents, les autorités algériennes n’ont pas hésité à interdire à Alger et ce, au lendemain de la signature par l’Algérie de la Convention sur les disparitions forcées, la tenue du séminaire pour « la Vérité, la Paix et la Conciliation » qui portait notamment sur cette question et qui devait se tenir les 8 et 9 février 2007. Plusieurs experts internationaux et représentants d’ONG internationales se sont vus refuser par plusieurs représentations diplomatiques algériennes la délivrance de visa pour participer à cette rencontre.

Les défenseurs qui luttent contre l’impunité des auteurs de violations des droits de l’Homme et qui, dans ce cadre ont critiqué l’adoption du projet de Charte pour la paix et la réconciliation nationale, et de ses textes d’application entrés en vigueur le 28 février 2006 ont été pris pour cible par les autorités). Ainsi, le 12 mai 2006, Me Amine Sidhoum, avocat membre de SOS Disparu(e)s, a été menacé par un représentant de la délégation algérienne, lors de la 39ème session de la Commission africaine des droits de l’Homme et des peuples (CADHP), pour le dissuader de s’exprimer devant la Commission. Me Sidhoum fait l’objet, depuis plusieurs mois, de poursuites judiciaires pour "introduction d’objets non autorisés à la prison", tout comme Me Hassiba Boumerdassi, avocate membre du Collectif des familles de disparu(e)s en Algérie (CFDA). Leur procès a été reporté pour la troisième fois, le 21 avril 2007.4

Dans son rapport remis en mars 2007 au Conseil des droits de l’Homme, la Représentante spéciale du SG des Nations unies sur les défenseurs des droits de l’Homme, Mme Hina Jilani, rapporte les nombreux cas sur lesquels elle est intervenue et exprime sa préoccupation sur la situation des défenseurs des droits de l’Homme en Algérie, en particulier ceux travaillant sur les disparitions forcées. Elle enjoint les autorités algériennes à mettre en oeuvre pleinement la déclaration des Nations unies sur les défenseurs des droits de l’Homme.5 Cette préoccupation est notamment reprise par le Groupe de travail sur les disparitions forcées, le Rapporteur sur l’indépendance des juges et des avocats, le Rapporteur sur les exécutions sommaires.

En outre, et en dépit de la grâce accordée à tous les journalistes condamnés pour "insultes graves envers des représentants officiels de l’Etat", "offense envers le président de la République" et "injures, diffamation et insultes visant les institutions de l’Etat", le 5 juillet 20066, des journalistes continuent d’être poursuivis et condamnés à des peines de prison pour « diffamation », peines d’emprisonnement prévues par le code de la presse algérien.

Dans son rapport remis en mars 2007 au Conseil des droits de l’Homme, le Rapporteur Spécial des Nations Unies sur la liberté d’expression et d’opinion, M. Ambeyi Ligabo, revient sur les allégations qu’il a envoyées tout au long de l’année aux autorités algériennes faisiant montre de sa préoccupation sur la liberté d’expression en Algérie. Il condamne en particulier la pénalisation de la diffamation, qui en vertu du droit international, est rigoureusement interdite.7

Les organisations signataires appellent donc l’Union européenne, notamment en vertu des lignes directrices de l’UE sur la protection des défenseurs des droits de l’Homme, et de la Déclaration sur les défenseurs des droits de l’Homme des Nations unies, de prier instamment le gouvernement algérien à
garantir la liberté d’action des défenseurs des droits de l’Homme
lever toutes les formes d’entraves à la liberté de penser, d’expression, de réunion et de rassemblement pacifique.

3.Violations graves des droits humains dans le cadre de lutte contre le terrorisme : détention arbitraire et crainte des tortures

Nos organisations condamnent vivement les attentats qui ont eu lieu à Alger, le 11 avril 2007 et qui ont occasionné la mort de près de 40 personnes et ont fait plus de 200 blessés. Elles appellent les autorités algériennes dans le cadre des enquêtes et poursuites qui seront menées à la suite de ces événements tragiques, à se conformer scrupuleusement à leurs obligations internationales en matière de respect des droits humains.

La lutte contre pareils crimes odieux relève de l’impérieux devoir des Etats. Toutefois, cette lutte doit se faire dans le respect des droits humains et des libertés fondamentales.

Quelle que soit la motivation de ses auteurs - politique, religieuse ou sociale - , le terrorisme a pour effet et parfois comme objectif ultime d’annihiler les principes de démocratie, de liberté et d’humanité. L’expérience démontre, hélas, combien déroger à ces valeurs pour combattre ceux qui cherchent précisément à les détruire revient à leur prêter main forte et à les conforter dans leur aversion des normes universelles qui fondent l’organisation de nos sociétés.

En Algérie, plusieurs détenus suspectés d’activités liées au terrorisme continuent d’être maintenus dans des lieux de détention secrets, sous contrôle policier, sans avoir la possibilité de communiquer avec leurs familles et l’extérieur avec les risques de mauvais traitements que cela entraîne. Nos organisations s’inquiètent en outre de la recrudescence des cas de disparition de personnes et en particulier, de personnes suspectées d’activités ou d’appartenance à un groupe terroriste. Au cours des derniers mois, plusieurs personnes ont ainsi été portées disparues pendant plusieurs semaines voire plusieurs mois. Il s’est avéré par la suite que la plupart d’entre elles, avaient été arrêtées et maintenues au secret pour la plupart d’entre eux, à la caserne Antar à Alger.

Enfin, plusieurs personnes suspectées d’avoir participé à des activités terroristes ou d’appartenance à des groupes terroristes, arrêtées et détenues dans des Etats-membres de l’Union européenne, et notamment au Royaume Uni, ont fait l’objet d’extradition vers l’Algérie où elles ont été remises entre les mains des services de sécurité, ce qui fait craindre pour leur intégrité physique et psychologique.

Ces craintes sont renforcées par le fait que plusieurs témoignages de personnes interrogées, arrêtées et détenues, soupçonnées d’activités terroristes font état de pratiques de torture systématique à leur encontre du fait des personnes en charge des interrogatoires et du personnel des lieux de détention. En outre, la majorité des allégations de torture faites en 2005 et au cours des années précédentes n’ont pas fait l’objet d’investigations.

Les organisations signataires demandent à l’Union européenne d’intervenir en application des lignes directrices de l’UE sur la Torture, en appelant l’Algérie à
l’arrêt immédiat des pratiques de torture et de mauvais traitements ;
ratifier le Protocole additionnel facultatif à la Convention contre la torture
autoriser le Rapporteur spécial sur la torture qui en a réitéré la demande à maintes reprises depuis 1997 ainsi que le Rapporteur spécial sur la promotion et la protection des droits de l’homme et des libertés fondamentales dans la lutte anti-terroriste qui en a fait la demande en 2006, à se rendre en Algérie dans les meilleurs délais.

4. Préoccupations quant au traitement réservé aux migrants.

Bien que l’Algérie ait ratifié la Convention de Genève de 1951 relative aux statuts des réfugiés ainsi que la Convention sur la protection des droits de travailleurs migrants, nos organisations déplorent le non-respect de ces instruments internationaux et l’absence de leur mise en oeuvre.

De nombreux cas de mauvais traitements de migrants notamment sub-sahariens par les forces de sécurité algériennes à l’occasion de reconduites musclées à la frontière ont été rapportés à nos organisations. Nos organisations rappellent aux autorités algériennes mais également à l’UE dans le cadre notamment de leur coopération dans la lutte contre la migration illégale, leur devoir d’assurer la primauté des normes universelles des droits des migrants.

Kofi Annan, dans son rapport sur les migrations et le développement, a rappelé combien les droits de l’Homme ont un caractère primordial dans l’élaboration des politiques migratoires. Il précise en outre que le droit des Etats « de décider qui entre sur leur territoire et y séjourne » reste soumis « au respect des obligations conventionnelles et de celles qui découlent du droit international coutumier »8.

Nos organisations appellent en outre, les Etats membres de l’Union européenne qui ne l’ont pas encore fait à ratifier dans les meilleurs délais, la Convention sur la protection des droits de travailleurs migrants.

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  • Co-signataires

    1. Le 27 février 2006, le cabinet algérien au complet réuni sous la Présidence d’Abdelaziz Bouteflika, a approuvé le « Décret de mise en œuvre de la Charte pour la paix et la réconciliation nationale » du Président Bouteflika, charte que les électeurs algériens ont adopté lors d’un référendum le 29 septembre 2005.

    2.Voir les articles 44 et 45 du texte de la Charte, dans le chapitre intitulé « Mesures de mise en oeuvre de la reconnaissance du peuple algérien envers les artisans de la sauvegarde de la République algérienne démocratique et populaire ».

    3.Voir notamment E/CN.4/2006/52/Add.1 paras 10-13, E/CN.4/2006/56 paras 55-78.

    4.Voir notamment le Rapport Annuel 2006 de l’Observatoire pour la protection des défenseurs des droits de l’Homme (FIDH/OMCT).

    5.E/CN.4/2006/95/Add.1, paras 8-15.

    6.Le fait que cette grâce ne concerne que les journalistes condamnés “définitivement


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