Le rapport du " Panel " des Nations-Unies : Une analyse partielle, un chèque en blanc aux violations des droits de l’Homme

18/09/1998
Communiqué

La FIDH ayant pris connaissance du rapport du Panel d’experts mandatés par le Secrétaire Général de l’ONU déplore l’analyse partielle effectuée. Elle considère que les conclusions qui en sont tirées consituent un chèque en blanc au régime, dont les agents se rendent coupables de violations systématiques des droits de l’Homme dans leur lutte contre le terrorisme.

Le Panel condamne catégoriquement le terrorisme et l’idéologie fanatique développée pour en justifier l’usage. C’était bien la moindre des choses, et personne, à l’exception des terroristes eux-mêmes, ne lui en fera le reproche.

Il est en revanche particulièrement préoccupant que le Panel n’ait pas su prendre la mesure de la réalité des méthodes et des pratiques mises en oeuvre systématiquement par les autorités et leurs agents, directs ou indirects, pour lutter contre ce fléau : exécutions sommaires, torture systématique, disparitions forcées, détentions arbitraires, procès iniques - voire, la question est posée, responsabilité dans les massacres eux-mêmes ; ces violations flagrantes des libertés fondamentales avaient été remarquablement relevées pourtant par un autre organe des Nations-Unies, le Comité des Droits de l’Homme, en juillet dernier, à l’issue d’un examen complet de la situation avec les représentants du gouvernement algérien.

Il ne s’agit évidemment pas de mettre sur le même plan les violations des droits de l’Homme imputables aux autorités et les actes barbares des terroristes, de souligner la responsabilité des uns pour exonérer les autres. Il s’agit là d’un faux problème, et le débat sur cette question a trop servi à altérer l’appréhension de la réalité des faits.

Il est ainsi tout à fait choquant de minimiser, comme le fait le Panel, l’ampleur des violations imputables aux autorités, comme s’il y avait deux catégories de victimes, les " bonnes " et les " mauvaises ". Les victimes sont égales dans la douleur de l’assassinat terroriste, sous le chalumeau de la torture comme sous n’importe quelle exaction quel qu’en soit l’auteur. Prétendre le contraire, ainsi que l’insinue le rapport, quelle insulte aux mères des " enlevés " ! Leurs proches, victimes de disparitions forcées à grande échelle - si le chiffre de 2000 cas est une certitude, certaines sources fiables évaluent désormais leur nombre à 18 000 - méritent la même compassion.

Il est également choquant d’accréditer l’idée, sous tendue dans le rapport, selon laquelle la lutte contre le terrorisme légitime le recours à toutes les méthodes : les violations massives, par les autorités, des droits de l’Homme - qu’ils soient civils, politiques, mais aussi économiques et sociaux - constituent assurément le moyen le plus sûr, à terme, de gonfler les rangs et d’accréditer les thèses de ceux qu’elles entendent combattre. Outre le fait qu’une telle pratique est parfaitement contraire aux principes universels dont on célèbre cette année le cinquantenaire, l’expérience a par ailleurs suffisamment démontré, de la Turquie à la Colombie ou au Pérou, leur caractère parfaitement scandaleux et vain.

Enfin, le rapport du Panel passe à côté de la principale question, et qui demeure, depuis la session du Comité des Droits de l’Homme, pleinement soulevée : celle des responsabilités, de toutes les responsabilités.

Il est évidemment indispensable que les auteurs d’actes terroristes, quels qu’ils soient, répondent des crimes contre l’humanité qu’ils ont commis ; il s’agit d’une responsabilité criminelle relevant de la justice pénale, une justice respectueuse du droit à l’intégrité physique et du droit à un procès équitable. On attend toujours, en Algérie, qu’une telle justice intervienne.

Mais il est tout aussi essentiel que l’Etat et ses agents soient tenus comptables, au regard des engagements internationaux qu’ils ont la responsabilité première de respecter et mettre en oeuvre - y compris et surtout dans leur lutte contre le terrorisme -, des violations massives des droits de l’Homme dont ils se sont rendus coupables.

La responsabilité pénale des terroristes ne doit en aucun cas occulter la responsabilité internationale de l’Etat : si la lutte contre le terrorisme est essentielle, elle ne devient légitime que dans le respect des principes universels que précisément les terroristes rejettent.

Sauf à préconiser l’édification d’une société de l’arbitraire -sécuritaire et économique-, comme seule alternative à tout projet fanatique, c’est dans ce sens que les autorités algériennes restent devoir faire toutes leurs preuves.

En deux mois d’intervalle, deux diagnostics radicalement différents de la situation algérienne ont été dressés par l’ONU : celui de personnalités politiques qui se sont rendues en Algérie pour une mission " d’information ", et qui ont reconnu n’avoir ni le mandat, ni le temps, ni l’expertise pour y évaluer la situation des droits de l’Homme ; et celui d’un organe de dix-huit experts indépendants, le Comité des Droits de l’Homme, dont le mandat est précisément de se livrer à une telle analyse. Il s’en est magistralement acquitté, mais depuis Genève.

Alors que les massacres se poursuivent, que les mères de disparus manifestent chaque semaine depuis deux mois pour obtenir des nouvelles de leurs proches enlevés par les services de sécurité, les nombreuses questions soulevées par le Comité des droits de l’Homme continuent d’appeler des réponses de la part des autorités, des engagements précis et surtout des actes effectifs.

A défaut, la revendication d’une enquête internationale, sur place, d’experts indépendants, portant précisément sur la situation des droits de l’Homme et ayant les moyens de leur investigation, reste plus que jamais d’actualité.

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