La Commission des Droits de l’Homme doit agir maintenant

06/04/1998
Communiqué
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Fédération Internationale des Droits de l’Homme, Human Rights Watch et Reporters Sans Frontières

Bien que la moitié de la session annuelle de la Commission des Droits de l’Homme se soit déjà déroulée, rien n’a encore été fait concernant la situation des droits de l’Homme en Algérie, une des crises des droits de l’Homme les plus graves à laquelle doit faire face la communauté internationale aujourd’hui. Les Etats membres de la Commission doivent prendre de toute urgence l’initiative de déposer un projet de résolution qui établisse un mécanisme d’investigation de la situation des droits de l’Homme en Algérie. Il serait totalement inacceptable que la Commission autorise l’Algérie à avoir le dernier mot dans son rejet de toute investigation en matière de droits de l’Homme. Cela non seulement, récompenserait l’intransigeance de l’Algérie, mais avertirait également les autres Etats que de telles déclaration d’impunité ne provoquent aucune réaction du plus important organe international consacré aux droits de l’homme.

Parmi les 53 Etats membres de la Commission, de nombreux gouvernements ont déclaré que si cette session finissait sans une ferme expression de préoccupation concernant la situation des droits de l’Homme en Algérie et un engagement public du gouvernement algérien de permettre une mission d’investigation par le Rapporteur spécial sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires et par le Rapporteur spécial sur la torture, elle ne serait pas crédible. En réalité, l’Algérie a fermé ses portes et n’a aucune intention de les ouvrir. De nombreux gouvernements ont indiqué qu’ils se sentiraient contraints de voter en faveur d’une résolution sur l’Algérie si celle-ci était proposée. Mais aucun gouvernement ne semble vouloir en déposer une. Nos quatre organisations appellent les gouvernements membres de la Commission, et plus particulièrement l’Union européenne qui se réunit aujourd’hui à Bruxelles, à donner des ordres à leurs délégations pour qu’elles proposent de toute urgence une telle résolution.

Dans son allocution à la Commission datant du 18 mars et dans ses interventions successives, le Ministre algérien des Affaires étrangères, Ahmad Attaf, a en réalité renié l’accord de principe fait par l’Algérie à la délégation de la troïka européenne, à des représentants d’autres gouvernements, au Haut Commissaire aux droits de l’Homme des Nations Unies et aux rapporteurs spéciaux eux-mêmes de finaliser lors de la Commission les modalités de la visite des rapporteurs spéciaux et d’en arrêter les dates. De plus, le Ministre des Affaires étrangères a exprimé le même refus lors de sa rencontre avec Klaus Kinkel, (Ministre des Affaires étrangères Allemand) et d’autres responsables politiques. L’Assistant au Secrétaire d’Etat américain, Martin Indyk, qui a rencontré Attaf et d’autres hauts responsables algériens le 14 mars, à Alger, a tenté de persuader le Gouvernement de coopérer avec les mécanismes de la Commission et avec les organisations internationales de défense des droits de l’Homme et est lui aussi revenu les mains vides.

Les Etats-Unis ont alors engagé des consultations avec les autres gouvernements concernant l’Algérie. L’ambassadeur américain, Bill Richardson, dans son discours à la Commission du 25 mars, a parlé de " l’extrême nécessité d’une vérification crédible et indépendante des faits". Les Etats-Unis et leurs allliés européens espéraient que de telles remarques et l’engagement de consultations persuaderaient l’Algérie de déférer à la demande qui lui a été adressée, de permettre la visite des Rapporteurs spéciaux et des ONG internationales. Selon nous, ce n’est pas la bonne méthode pour aborder la terrible situation des droits de l’Homme qui prévaut en Algérie. Et pourtant, le gouvernement algérien est allé jusqu’à refuser ouvertement cette visite. Quant aux autres groupes régionaux, ils sont restés majoritairement silencieux et semblent se satisfaire de laisser l’initiative au groupe occidental.

Pendant ce temps, en Algérie, les massacres et tueries de civils, la torture dans les centres de détention des forces de sécurité, les disparitions forcées et les autres crimes graves continuent sans répit ; le gouvernement algérien n’a mené aucune enquête sérieuse ou crédible sur les faits et les responsables n’ont pas été mis en accusation. Comme nous l’avons souligné dans notre intervention conjointe devant la Commission, cette dernière a les pouvoirs de traiter les violences et les violations des droits de l’Homme qui continuent de survenir en Algérie, avec ou sans la coopération du gouvernement algérien. En premier lieu, la Commission devrait nommer un Rapporteur spécial sur la situation des droits de l’Homme en Algérie. Compte tenu de la durée et de l’ampleur de la crise, il est particulièrement important d’assurer un contrôle international continu de la situation pour exprimer au peuple algérien l’investissement de la communauté internationale, et pour fournir des informations et des recommandations qui permettront au gouvernement et à la communanuté internationale de s’attaquer à la crise de manière efficace.

Il est encore temps d’agir pour la Commission , mais il faut engager ce processus immédiatement. L’Algérie affiche aujoud’hui son impunité devant la Commission. Face à ce comportement intransigeant, les Etats membres de l’Union européenne ne peuvent plus se cacher derrière la façade de l’unité de l’organisation et derrière l’opposition à toute initiative de la Commission, exprimée essentiellement par la France, pour justifier son silence à Genève cette semaine, pendant que les délégations de banques et d’entreprises se rendent à Alger pour discuter des possibilités de faire des affaires. L’Union européenne, les Etats-Unis, le Canada ne peuvent plus prétendre que ce qui reste du " dialogue politique " avec les autorités algériennes justifie leur inaction devant la Commission. Ne pas proposer l’adoption d’une résolution sur l’Algérie à la Commission des droits de l’Homme mettrait en lumière la subordination complète de la politique des droits de l’Homme à toute autre considération politique.

Nous demandons par conséquent à tous les gouvernements membres de la Commission et aux autres gouvernements qui y assistent comme observateurs et qui participent à la politique des groupes régionaux, ainsi qu’à la réunion qui se tient aujourd’hui à Bruxelles, d’assumer leurs responsabilités et d’agir dès maintenant concernant la crise des droits de l’Homme en Algérie. Toute autre solution mettrait en danger la crédibilité de la Commission et des mécanismes de protection des droits de l’Homme des Nations Unies.

Mercredi 15 avril, à Genève, Pierre Sané, Directeur exécutif d’Amnesty International, Patrick Baudouin, Président de la Fédération Internationale des Droits de l’Homme (FIDH), Robert Ménard, Directeur exécutif de Reporters Sans Frontières , et Johanna Weschler, représentante de Human Rights Watch auprès des Nations Unies, tiendront une réunion conjointe pour les délégués et les journalistes dans la Salle XXIII du Palais des Nations.

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