Condamnation arbitraire d’un défenseur des droits de l’Homme

05/01/2002
Communiqué

L’Observatoire a été informé que M. Mohamed Smain, responsable de la section de Relizane de la Ligue Algérienne pour la Défense des Droits de l’Homme (LADDH) a été condamné ce 5 janvier 2002 à 2 mois de prison ferme, 5000 dinars d’amende et 10 000 dinars de dommages et intérêts à verser à chacun des neuf plaignants.

M. Smain avait été appelé à comparaître le 29 décembre 2001 devant le tribunal de Rélizane (une ville située à l’Ouest de l’Algérie, près d’Oran). Il était poursuivi pour diffamation, sur la base d’une plainte déposée par Hadj Fergane, ainsi que huit ex-membres d’une milice dite de légitime défense. Cette plainte avait été introduite après que M. Smain eut alerté la presse algérienne, le 3 février 2001, sur la découverte et l’exhumation de charniers par les services de gendarmerie et la milice de Fergane (ex-maire de Rélizane). Lors de l’audience, à laquelle l’Observatoire avait mandaté un observateur, le Procureur de la République avait requis un an de prison - sans préciser s’il demandait une peine ferme ou avec sursis - et 5000 dinars d’amende contre lui. M. Smain a déclaré à l’Observatoire son intention d’interjeter appel de la décision prononcée aujourd’hui.

De 1994 à 1998, deux maires, El Hadj Fergane, maire de Rélizane surnommé " le chérif " et Hadj Abed, maire de Jdiouia, ont constitué une milice composée de membres de leurs familles et d’anciens combattants de la guerre de libération. Cette milice, que la population nomme " les cagoulés " a été responsable durant des années de plusieurs dizaines d’enlèvements, suivis de disparitions, d’extorsion de fonds et d’expéditions punitives contre les familles réputées proches des membres du FIS ou des groupes armés. En avril 1998, les deux maires ainsi que plusieurs autres miliciens ont été arrêtés et relâchés trois jours après malgré leur inculpation de crimes graves (enlèvements, assassinats et extorsions de fonds). Leur procès ne s’est toujours pas tenu.

L’Observatoire dénonce avec la plus grande fermeté cette condamnation arbitraire, qui sanctionne l’exercice par un défenseur des droits humains de son droit à "promouvoir la protection et la réalisation des droits de l’Homme et des libertés fondamentales ", conformément à la Déclaration des Nations unies sur les défenseurs des droits de l’Homme. Les activités de M. Smain à Oran et Relizane en faveur des familles de disparus et son action pour que la vérité soit faite sur les violations perpétrées en Algérie sont reconnues au niveau international et national et lui valent d’être la cible des autorités. Il a aidé plusieurs ONG internationales lors de leurs missions d’enquête en Algérie courant 2000.

L’Observatoire rappelle que la condamnation de ce jour vient s’ajouter à toute une série d’actes de harcèlement dont est l’objet M. Smain. Il avait été arrêté par la police des frontières le 23 février 2001 à son arrivée à l’aéroport d’Oran alors qu’il revenait d’un voyage à Paris, à l’occasion duquel il avait rencontré divers responsables d’organisations internationales de défense des droits de l’Homme. Pendant son séjour en France, M. Smain avait appris qu’un mandat d’arrêt avait été lancé contre lui. Remis en liberté peu après, il fut toutefois placé sous contrôle judiciaire et privé de ses pièces d’identité, documents de voyage, ainsi que son permis de conduire. Jusqu’à ce jour, ses papiers ne lui ont pas été rendus, ce qui constitue une atteinte grave à sa liberté de mouvement et à l’exercice de ses activités professionnelles.

Ce procès, dont l’audience du 29 décembre s’est poursuivie cinq heures durant sous haute surveillance de la sécurité militaire et de la police, a donné lieu à l’audition de nombreux témoins et victimes qui se sont pour la première fois exprimés sur les violations des droits de l’Homme - exécutions extrajudiciaires, sommaires et arbitraires, disparitions, torture, pillages, etc. - perpétrées par Fergane et sa milice depuis 1993. De telle sorte que, de facto, le procès est davantage apparu comme celui des miliciens et des autorités dont elles avaient le soutient, que comme celui de M. Smain. Pour cette raison, l’Observatoire souligne que, en dépit du verdict inique qui en est issu, ce procès a néanmoins constitué une étape sans précédent dans la recherche de la vérité sur les atrocités perpétrées en Algérie depuis près d’une décennie.

L’Observatoire exprime son entière solidarité à M. Smain.

L’Observatoire saisit immédiatement la Représentante spéciale du secrétaire général des Nations unies sur les défenseurs des droits de l’Homme.

L’Observatoire demande aux autorités algériennes de :
 veiller à ce que la justice s’exerce en toute indépendance et impartialité lors du procès en appel de M. Smain afin que le verdict rendu ce jour soit annulé, et que soit levée toutes les accusations dont est arbitrairement l’objet M. Smain.
 mettre un terme à toute forme de violence et de représailles à l’encontre des défenseurs des droits de l’Homme et de leurs proches.
 se conformer aux dispositions de la Déclaration sur les défenseurs des droits de l’Homme adoptée par l’Assemblée générale des Nations unies le 9 décembre 1998 "sur le droit et la responsabilité des individus groupes et organes de la société de promouvoir et protéger les droits de l’Homme et les libertés fondamentales universellement reconnus "et plus particulièrement à son article Ier qui dispose que "chacun a le droit, individuellement ou en association avec d’autres, de promouvoir la protection et la réalisation des droits de l’Homme et des libertés fondamentales ".
 se conformer plus généralement aux dispositions de la Déclaration universelle des droits de l’Homme et des instruments régionaux et internationaux relatifs aux droits de l’Homme.

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