Paris, Kiev, 24 février 2025. Aujourd’hui marque le troisième anniversaire de l’invasion à grande échelle de l’Ukraine par la Russie. Cette escalade délibérée et injustifiée, a marqué le début de la phase la plus dévastatrice de la guerre russo-ukrainienne qui dure depuis 11 ans. Contrairement aux déclarations erronées et dangereuses de l’actuelle administration des États-Unis, 141 États membres des Nations unies (Onu), y compris les États-Unis, ont déploré en des termes véhéments, dès mars 2022, « l’agression de la Fédération de Russie contre l’Ukraine en violation de l’article 2 (4) de la [Charte de l’Onu] ».
Les organisations internationales et de la société civile, y compris les membres de la FIDH en Ukraine, CCL et KHPG, ont documenté plus de 90 000 cas de violences pouvant constituer des crimes internationaux. Ceux-ci incluent des détentions arbitraires, des disparitions forcées, le déplacement forcé de civil·es – y compris des milliers d’enfants – des exécutions sommaires, le meurtre de prisonnier·es de guerre, ainsi que l’utilisation systématique et généralisée de la torture et de traitements inhumains, souvent dans le cadre d’une campagne de persécution contre toute personne perçue comme opposante à l’invasion Russe.
Beaucoup de ces atrocités se sont produites et continuent de se produire dans des lieux de détention situés dans les territoires ukrainiens occupés par la Russie, ainsi qu’à l’intérieur même de la Russie. Des milliers de civil·es ukrainien·nes et de prisonnier·es de guerre sont détenu·es dans les mêmes installations, souvent dans des conditions inhumaines, avec un accès limité à la nourriture, à l’eau, aux soins médicaux ou au contact avec le monde extérieur. Ils et elles sont fréquemment soumis·es à des passages à tabac, à des décharges électriques, à des violences sexuelles et basées sur le genre, ainsi qu’à d’autres formes de tortures physique et psychologique, incluant abus verbaux et humiliations. Avec près de 20 % du territoire ukrainien actuellement sous occupation russe, ces graves violations des droits humains et l’impunité dans ces zones risquent de perdurer au-delà de la cessation des hostilités, si elles demeurent sous le contrôle effectif de la Russie. Sans une pression internationale soutenue, celles et ceux injustement détenu·es dans les installations russes risquent de ne jamais être libéré·es.
À mesure que les négociations de paix approchent, le droit international doit guider toute solution. Celle-ci doit avoir pour première priorité les droits humains des Ukrainien·nes sous occupation ainsi que des détenu·es civil·es et militaires. Les droits des victimes à la vérité, à la justice et à des réparations doivent aussi être garantis. Aucune mesure ne doit légitimer les violations des normes impératives du droit international, telles que l’interdiction fondamentale de l’annexion de territoire, évitant ainsi de récompenser l’agression.
« Les Ukrainien·nes veulent la paix, mais la paix viendra-t-elle dans les territoires et pour les personnes qui resteront sous l’occupation russe si la Russie est autorisée à conserver les territoires qu’elle a annexés ? L’expérience montre que non », déclare Oleksandra Matviichuk, vice-présidente de la FIDH et directrice du CCL. « Depuis 2014, j’ai interviewé des centaines de victimes de l’occupation russe, qui ont décrit avoir été forcées de renoncer à leur langue et à leur identité ukrainiennes. Toute solution de paix qui abandonnerait des territoires à la Russie serait une russification forcée et n’encouragerait que davantage d’agressions à travers le monde. »
Pour Yevhen Zakharov, directeur du KHPG, « le KHPG, le CCL et leurs partenaires de la société civile ont documenté près de 600 cas de torture contre des civil·es détenu·es qui ont réussi à regagner l’Ukraine, tandis que des milliers d’autres restent dans les prisons russes. Des rapports indiquent que presque tou·tes les prisonnier·es de guerre détenu·es subissent un traitement similaire. Toute paix doit garantir la libération immédiate de tous ces prisonnier·es, sans sacrifier la justice à la facilité. »
En solidarité avec le peuple ukrainien, la FIDH et ses organisations membres appellent les États et les institutions internationales à :
– donner la priorité à la prise en compte des violations graves des droits humains, y compris celles qui constituent des crimes internationaux, qui se produisent dans les territoires occupés ukrainiens et dans les lieux de détention maintenus par les autorités russes ou leurs intermédiaires ; l’ampleur de ces atrocités doit être un rappel permanent du prix à payer pour l’acceptation de l’annexion illégale par la Russie des territoires ukrainiens ;
– placer les peuples au centre de toute négociation de paix en appelant à la libération immédiate et au rapatriement de tou·tes les prisonnier·es de guerre détenu·es par toutes les parties au conflit armé, ainsi que de tou·tes les civil·es ukrainien·nes détenu·es par la Russie ;
– renforcer tous les efforts visant à établir le sort et le lieu de détention de toutes les personnes disparues des deux côtés du conflit et, dans la mesure du possible, permettre leur réunification avec leurs proches ;
– garantir la justice en soutenant tous les efforts judiciaires en cours au niveau national et international, y compris les enquêtes menées par la Cour pénale internationale (CPI), les enquêtes en cours fondées sur la compétence extraterritoriale, et vers l’établissement d’un Tribunal spécial pour le crime d’agression contre l’Ukraine par un accord entre le Conseil de l’Europe et l’Ukraine.
Bien qu’il soit difficile de voir les contours de ce mécanisme à ce stade, la FIDH et les organisations soussignées encouragent particulièrement les États à :
– s’assurer qu’un tel mécanisme soit établi par le biais d’un processus de consultation significatif avec la société civile en Ukraine ;
– permettre la participation des victimes et de leurs représentant·es dans les procédures, conformément aux dispositions actuelles du Statut de Rome de la CPI ;
– insister pour qu’un tel tribunal prévoie une coopération significative et une complémentarité avec la CPI ;
– veiller à ce que le statut du mécanisme prévoie une coopération solide entre les États pour l’arrestation et la remise des suspect·es ; à cet égard, des efforts accrus doivent être déployés par les États pour ratifier la Convention de La Haye-Ljubljana sur l’entraide judiciaire en matière pénale ;
– prendre toutes les mesures nécessaires pour modifier les dispositions du Statut de Rome concernant le crime d’agression, en accordant généralement à la CPI la compétence sur ce crime, afin d’assurer la responsabilité de tout acte d’agression commis à l’avenir.