Les entreprises opérant au Bélarus et en Russie ne doivent pas contribuer aux violations du droit international

Sergey Bobok / AFP

L’agression de la Russie et du Bélarus et le conflit en cours en Ukraine créent d’énormes risques juridiques, économiques et de réputation pour les entreprises opérant en Russie et au Bélarus, qui pourraient se retrouver liées à de graves violations du droit international. La situation exige que les entreprises fassent preuve d’une extrême diligence et, si nécessaire, qu’elles retirent ou gèlent certains de leurs investissements. La Fédération internationale pour les droits humains (FIDH) exhorte également les gouvernements à renforcer les sanctions économiques sur les secteurs stratégiques.

Contexte

Le 24 février 2022, le président russe, Vladimir Poutine, a annoncé le début d’une "opération militaire spéciale" en Ukraine, donnant le coup d’envoi d’une attaque armée à grande échelle contre les principales villes ukrainiennes, dont la capitale, Kyiv, Kharkiv, Kherson, Mariupol et Kramatorsk. Certaines de ces attaques ont été lancées depuis le territoire bélarusse, avec la participation des forces armées bélarusses.

Le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits humains a indiqué qu’entre le 24 février et le 1er mars, il avait "enregistré 752 victimes civiles en Ukraine : 227 morts et 525 blessé.e.s", principalement "en raison de l’utilisation d’armes explosives ayant une large zone d’impact, notamment des tirs d’artillerie lourde et de systèmes de roquettes à lancements multiples, et des frappes aériennes", et que les chiffres réels devraient être "considérablement plus élevés ". Les organisations défense des droits humains ont également documenté l’utilisation de munitions à fragmentation par les forces russes, ce qui constitue une violation grave du droit international humanitaire. Selon le Haut Commissariat aux Réfugiés, un million de personnes ont fui le pays en seulement une semaine et d’innombrables autres sont déplacées à l’intérieur du pays. De nombreux acteurs internationaux, dont le Secrétaire général des Nations unies António Guterres, 69 expert.es des procédures spéciales des Nations unies et la Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, se sont fait l’écho d’appels vigoureux condamnant l’invasion russe. L’Assemblée générale des Nations unies a condamné "l’agression de la Russie contre l’Ukraine" et a exigé que Moscou "retire sans condition toutes ses forces militaires du territoire de l’Ukraine à l’intérieur de ses frontières internationalement reconnues."

La FIDH et son organisation membre en Ukraine, le Center for Civil Liberties (CCL) ont condamné l’invasion russe d’acte d’agression - un crime interdit par le droit international. Tant l’attaque que la reconnaissance par la Russie des soi-disant républiques populaires de Donetsk et de Louhansk constituent des violations de l’article 2(4) de la Charte des Nations unies interdisant la menace et l’usage de la force contre l’intégrité territoriale de l’Ukraine. La FIDH et le CCL ont en outre reconnu qu’un conflit armé international était en cours en Ukraine, certaines parties du territoire ukrainien, dont la Crimée, étant déjà sous occupation russe.

Le Procureur de la Cour pénale internationale (CPI), dont le Bureau examine la situation en Ukraine depuis 2014, a déterminé qu’il y a "une base raisonnable pour croire que les deux crimes de guerre et les crimes contre l’humanité allégués ont été commis en Ukraine au cours des années passées." Compte tenu de l’expansion du conflit ces derniers jours, le Procureur a en outre déclaré que l’enquête "engloberait également tout nouveau crime présumé relevant de la compétence [de la CPI] [...] commis par toute partie au conflit sur toute partie du territoire de l’Ukraine." [1]

Les entreprises doivent mettre en œuvre des processus de diligence raisonnable renforcés et procéder à des désinvestissements lorsque cela est nécessaire.

Les risques juridiques, économiques et de réputation pour les entreprises qui opèrent ou investissent en Russie et au Bélarus sont énormes. Les risques sont particulièrement élevés pour les entreprises qui investissent ou s’associent à des entreprises d’État ou à des entités liées au régime de Vladimir Poutine, qui pourraient se retrouver à aider, encourager ou faciliter indirectement les violations du droit international par la Russie.

Dans les zones de conflit et à haut risque comme la Russie et le Bélarus, les entreprises doivent respecter les droits humains internationalement reconnus, ainsi que les normes du droit humanitaire international et du droit pénal international. Les entreprises opérant dans ces États doivent mener un processus de diligence raisonnable approfondi, solide et renforcé, tant en ce qui concerne leurs opérations que l’ensemble de leur chaîne d’approvisionnement, afin d’éviter de contribuer à des violations des droits humains ou du droit humanitaire.

Les contextes affectés par des conflits ou à haut risque sont complexes et englobent une variété d’acteurs, de moteurs et de motivations. Il est donc essentiel pour les entreprises d’avoir une compréhension approfondie du conflit et d’intégrer l’analyse du conflit dans leurs évaluations des risques et des impacts. Les entreprises doivent également mettre en place des mesures solides et efficaces pour prévenir et traiter les impacts négatifs potentiels et réels sur les droits humains, ainsi que des mécanismes et des procédures pour fournir ou coopérer à la fourniture d’un recours. Cette diligence raisonnable renforcée doit se fonder sur la consultation et l’engagement de parties prenantes externes, notamment d’expert.e.s nationaux.les et locaux.les, et des communautés locales.

Les entreprises doivent également cesser toute activité ou couper les liens financiers qui pourraient contribuer directement ou indirectement aux crimes en cours commis par les autorités russes et bélarusses ou cesser toute activité pour laquelle elles ne peuvent pas mettre en œuvre efficacement des mesures visant à prévenir ou à traiter les impacts négatifs. À cet égard, la forte dépendance économique de la Russie à l’égard des entreprises publiques dans les secteurs de l’énergie, ainsi que les liens politiques profonds entre certaines élites économiques et Vladimir Poutine, devraient également amener les entreprises à reconsidérer leurs activités avec ces entités si elles ne veulent pas se retrouver à financer les efforts de guerre de la Russie.

À cet égard, la FIDH salue la décision de nombreuses entreprises de mettre fin à leurs relations avec des entités telles que les entreprises publiques russes Rosneft ou Gazprom en se retirant de projets. La FIDH rappelle également que les entreprises qui choisissent le désengagement doivent le faire de manière responsable, c’est-à-dire avec une évaluation, une atténuation et une remédiation des impacts négatifs potentiels résultant de leur désengagement, notamment des impacts sur les travailleur.ses et les populations locales.

Les États doivent renforcer les sanctions

Les États ont répondu à l’agression de la Russie et du Bélarus par des mesures économiques fortes, qui incluent la fermeture de l’espace aérien aux avions russes, l’exclusion de certaines banques russes du réseau financier SWIFT, et la restriction de la capacité de la Russie à accéder à ses réserves de devises étrangères.

La FIDH a appelé les États à mieux cibler les sanctions visant l’économie russe et dans ce contexte s’est fait écho à la Déclaration de Kyiv faite par 40 organisations et dirigeant.es de la société civile ukrainienne, qui appellent à ce que soient ciblés les secteurs pétrolier et gazier de la Russie afin de couper les revenus que Poutine utilise pour financer sa machine de guerre. Si la production de pétrole et de gaz pourrait être autorisée pour des raisons humanitaires, nous appelons à ce que les revenus et les taxes liés à cette exploitation soient gelés sur des comptes séquestres.

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