Russie : depuis l’invasion de l’Ukraine, la répression contre la société civile s’intensifie

07/03/2022
Déclaration
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Paris-Genève, le 4 mars 2022. Selon l’Observatoire pour la protection des défenseurs des droits humains (Organisation mondiale contre la torture -OMCT et Fédération internationale pour les droits humains -FIDH), la répression contre les organisations de la société civile, les défenseur.e.s des droits et les manifestant.e.s pacifiques s’est considérablement intensifiée depuis l’invasion de l’Ukraine. La censure des médias et les arrestations arbitraires à grande échelle de manifestant.e.s anti-guerre font partie des mesures déployées par les autorités pour isoler encore davantage les voix indépendantes qui dénoncent la guerre d’agression illégale menée par la Russie en Ukraine.

Les autorités russes ne veulent pas que les citoyen.ne.s connaissent la vérité et s’opposent à l’« opération spéciale » menée par leur gouvernement. Pourtant, les quelques voix, organisations et médias indépendants, qui continue d’exister en Russie après une décennie de répression implacable, continuent inlassablement de mettre des mots sur les faits : la Russie mène une guerre en Ukraine.

Depuis le début de l’invasion, le 24 février 2022, des manifestations anti-guerre ont été organisées tous les jours, partout dans le pays. Le 4 mars 2022, au moins 7 692 manifestant.e.s pacifiques avaient été arrêté.e.s dans 121 villes russes, selon OVD-Info. OVD-Info est une ONG médiatique indépendante de défense des droits humains qui a été la cible des autorités en représailles de son travail de documentation des violations des droits à la liberté d’expression, de réunion, du droit à ne pas être arrêté.e arbitrairement et d’autres droits humains en Russie.

Le 26 février 2022, Roskomnadzor, le régulateur russe des médias, a transmis une notification aux médias, leur intimant l’ordre de supprimer tout contenu décrivant l’attaque contre l’Ukraine comme une « agression », une « invasion » ou une « guerre ». Tout média qui ne respecterait pas cet ordres’expose à une amende pouvant aller jusqu’à 5 millions de roubles (environ 53 200 euros) et au blocage de son site. Roskomnadzor a accusé plusieurs médias indépendants de « diffuser des informations mensongères, peu fiables et ayant un impact sur la société » sur les décès de civils et les attaques de la Russie contre les villes ukrainiennes. Le gendarme des télécommunications russe a par ailleurs indiqué que des informations fiables étaient disponibles dans les « organes d’information officiels russes », c’est-à-dire les médias contrôlés par l’État.

Quelques heures après la publication de la notification de Roskomnador, la rédaction du média en ligneProspekt Mira indiquait avoir reçu l’ordre de supprimer tout contenu sur les bombardements de villes ukrainiennes. L’accès à six médias en ligne a été bloqué le 28 février. Roskomnadzor a engagé des procédures contre au moins dix médias, dont Radio Echo de Moscou, le site d’information populaire Mediazona, Dozhd TV et le journal d’investigation Novaya Gazeta. Au 2 mars 2022, au moins 11 journalistes avaient été arbitrairement arrêtés pour leur travail de reportage sur la guerre, notamment alors qu’ils couvraient des manifestations anti-guerre. Le 3 mars 2022, l’Echo de Moscou a été fermé. L’accès aux réseaux sociaux, notamment Facebook et Twitter, a également été restreint, de même que l’accès à plusieurs sites Internet de RFE/RL, aux sites russes de la BBC et de la Deutsche Welle.

Le 4 mars 2022, le parlement russe adoptait un projet de loi criminalisant la diffusion de« désinformation » sur les opérations militaires russes « dans le but de prévenir que le discrédit soit jeté sur les forces armées de la Fédération de Russie alors même qu’elles sont engagées dans des opérations visant à protéger les intérêts du pays et de ses citoyens ». Ce projet de loi fera l’objet d’un article spécifique du code pénal russe. Les personnes reconnues coupables de « désinformation » encourent jusqu’à trois ans d’emprisonnement, jusqu’à 10 ans si l’infraction est commise à titre officiel, et jusqu’à 15 ans si la diffusion de la « désinformation » entraîne des « conséquences graves ». En outre, le projet de loi prévoit des peines d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à trois ans pour toute personne reconnue coupable de « lancer des appels contre l’utilisation des troupes russes pour protéger les intérêts de la Russie », « de discréditer cette utilisation » et « d’appeler à des sanctions contre la Russie ».

Le jour du vote sur le projet de loi, les bureaux moscovite de Memorial International et du Human Rights Center Memorial (HRC Memorial), deux organisations figurant sur la liste des « agents étrangers »(et dissoutes en décembre 2021 pour violation présumée de la loi sur les « agents étrangers »), étaient perquisitionnés par les forces de l’ordre. Les bureaux de l’ONG de défense des droits des migrant.e.s et des réfugié.e.s Civic Assistance Committee- également qualifiée « d’agent étranger » en vertu de la loi sur les « agents étrangers » - ont également été visés par des perquisitions. Au moment où nous publions cette déclaration, les perquisitions étaient en cours. Les raisons de ces perquisitions, ainsi que l’organisme chargé de les mener, restaient inconnues. Les avocats et les représentants légaux des organisations n’ont pas été autorisés à entrer dans les bâtiments. En outre, les portes et fenêtres du HRC Memorial ont été recouvertes de carton depuis l’intérieur du bâtiment afin d’empêcher les journalistes, les membres du personnel et les passants d’observer comment étaient menées les perquisitions.

L’Observatoire pour la protection des défenseurs des droits Humains (OMCT-FIDH) condamne fermement l’intensification de la répression à l’encontre des défenseur.e.s des droits humains, des médias indépendants et des organisations de la société civile et exprime sa plus vive inquiétude face aux violations flagrantes des droits à la liberté d’expression, d’information et de réunion perpétrées par les autorités russes. L’Observatoire condamne les arrestations arbitraires et le harcèlement judiciaire dont sont victimes les défenseur.e.s des droits humains et les journalistes, ainsi que la censure imposée aux médias indépendants présents dans le pays par le régulateur russe des médias.

L’Observatoire exhorte les autorités à mettre fin immédiatement à tous les actes de harcèlement, y compris au niveau judiciaire, perpétrés à l’encontre de toutes et tous les défenseur.e ;s des droits humains, les manifestant.e.s pacifiques, les journalistes indépendant.e.s et les médias. L’Observatoire appelle également les autorités à garantir, en toutes circonstances, les droits à la liberté d’expression, de réunion et d’association, tels que consacrés par le droit international des droits humains, et notamment par les articles 19, 21 et 22 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Enfin, l’Observatoire demande instamment aux autorités russes d’abroger immédiatement le nouveau projet de loi susmentionné et de revenir sur toutes les mesures restrictives déployées par Roskomnadzor.

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