Discours d’ouverture du 38ème Congrès mondial de la FIDH

24/05/2013
Communiqué

Discours d’ouverture du 38ème Congrès mondial de la FIDH
Istanbul, le 25 mai 2013

Souhayr Belhassen, Présidente de la FIDH

Monsieur Bachir Attalay, Vice Premier ministre,
Madame Fatou Bensouda, Procureure, et Monsieur le juge Song, Président de la Cour pénale internationale,
Monsieur Stavros Lambinidis, Représentant spécial de l’Union européenne pour les droits humains,
Madame la Présidente et Monsieur le Président de l’Association et de la Foundation turques des droits humains (IHD et IFTV),
Madame la Prix Nobel de la paix, chère Shirin
Chèr-e-s ami-e-s défenseur-e-s des droits humains de Turquie et du monde entier,

Je suis fière de nous retrouver tous réunis ici et très heureuse de vous souhaiter la bienvenue au 38ème congrès de la FIDH, en particulier à vous qui avez voyagé de très loin, de pays en guerre, de pays fermés, pour rejoindre le congrès de votre fédération, à l’invitation de nos collègues turcs, l’IHD et la Fondation turque des droits humains.

Nous sommes aujourd’hui près de cinq cents participants, originaires de plus de cent vingt pays, représentant cent cinquante six associations nationales et régionales de défense des droits humains. Une centaine de nos collègues turcs nous ont rejoints.

Une équipe de quarante interprètes, venus de nombreux pays, se mobilise bénévolement pour nous permettre de nous entendre en sept langues, dont le kurde.

Une douzaine de partenaires financiers ont accepté de nous suivre une nouvelle fois ou de nous rejoindre en soutenant l’organisation de notre Congrès. Certains sont avec nous ici, d’autres ont été empêchés à l’instar de notre ami le Président Diouf, Secrétaire général de l’OIF. A tous, j’exprime notre profonde reconnaissance.

Notre réunion constitue un événement sans précédent à Istanbul. C’est un moment d’échanges extraordinaires qui nous attend au regard des expériences réunies dans cette salle, de la grande diversité de nos combats de terrain et sur la scène internationale, mais surtout surtout de notre dénominateur commun : le combat pacifique, quotidien, courageux et obstiné pour la réalisation concrète des normes universelles des droits humains.

Mais aujourd’hui encore, hélas, défendre les droits humains universels, que l’on soit défenseur-e, femme, journaliste, avocat, syndicaliste, homosexuel, indigène, paysan, migrant, c’est prendre des risques parfois vitaux, dans près de cent pays !

La FIDH est frappée au cœur, et j’ai le regret de ne pouvoir vous annoncer aujourd’hui la libération des membres de notre Bureau international, Alès Bialiatski, arbitrairement détenu à Minsk, ni Nabeel Rajab, arbitrairement détenu à Manama.

Comme restent détenus quatorze autres militantes et militants de la FIDH, en Syrie, en Iran, en Thaïlande, en Ouzbekistan. Et ici même en Turquie, où après la libération récente de huit militants de l’IHD dont nous nous sommes félicités, nous restons très préoccupés par ce que nous considérons être des violations systématiques et récurrentes de la liberté d’expression.

Parmi les nombreux cas d’avocats ou de journalistes dont nous avons saisi le gouvernement et dont nous espérons la libération prochaine, nous avons attiré votre attention tout particulièrement, Monsieur le Vice premier ministre, sur le cas du vice président de la section de Dyarbakir de l’IHD, Muharrem Erbey.

Monsieur le Vice premier Ministre, son cas vous est bien connu, nous en avons encore parlé récemment. Vous connaissez notre espoir de voir Muharrem Erbey libéré sans délai. C’est la demande pressante que je réitère en cet instant au gouvernement de votre pays.

Qu’il entende notre message : c’est à tous les défenseur-e-s des droits humains détenus arbitrairement que nous avons décidé de dédier notre 38ème Congrès !

Nos collègues qui, au Cambodge, au Congo, en Colombie, au Honduras, sont morts ces derniers mois lâchement assassinés, ne peuvent malheureusement plus nous entendre.

Mais ceux qui sont arbitrairement détenus, du fond de leur cellule, eux, le peuvent : votre activité non violente est légitime ! C’est l’honneur de vos pays que vous incarnez ! Depuis Istanbul nous vous disons : nous sommes avec vous, demain vous serez avec nous !

Cher-e-s ami-e-s,

Par notre diversité, notre pluralité, nos singularités, nous tous, réunis dans cette salle, incarnons l’universalité des droits humains : nous démontrons combien cette aspiration à la liberté, à la justice, à la dignité, à l’égalité, est vivante et concrète !

Par le seul fait de notre présence ici, nous récusons la critique : non, l’universalité, ce n’est pas l’unicité, ce n’est pas la domination, ce n’est pas l’harmonisation ! Et non, l’universalité, ce n’est pas non plus la simple addition des particularismes !

L’universalité des droits humains, dans les faits, c’est le pluralisme ! L’universalité y plonge ses racines, elle en permet l’épanouissement.

Nous le constatons partout à travers le monde, les périodes de transition politique posent des défis singuliers à l’effectivité des droits universels. Partout, l’instrumentalisation politique de la différence devient l’ABC de la captation et de la conservation du pouvoir. C’est aussi de cela qu’il s’agit ici.

Transition post-conflit, transition vers la démocratie, transition post-révolutionnaire : les mots caractérisent mal ces situations, en laissant croire que la route du pire vers le meilleur est linéaire et balisée. La réalité est bien différente, faite d’incertitude, d’aléas, et de risques de retour en arrière.

Les droits humains universels représentent un objectif la transition autant qu’un indicateur de son état.

A l’occasion de notre Forum, nous mettrons l’accent sur la nécessaire réussite des réformes institutionnelles : réforme de la justice, de la police, réorganisation de l’Etat au service des citoyennes et des citoyens, exigence d’un Etat garant de l’intérêt général et non gardien des intérêts particuliers d’un clan ou d’un parti, fut-il majoritaire à l’issue d’élections libres.

Renforcer l’indépendance de la justice pour préserver l’avenir, sanctionner et réparer les crimes du passé pour pouvoir tourner la page, réprimer et prévenir enfin la perpétration des crimes internationaux. Comment ne pas évoquer ici les crimes abominables et impunis perpétrés en Syrie ?
Nos expériences croisées nous permettront d’approfondir l’analyse des obstacles à la réalisation de ces objectifs qui sont des clés de la réussite des transitions. Nous poursuivrons avec nos collègues turcs et arméniens la réflexion commune exemplaire de notre dernier congrès, à Erevan en 2010, qui a abouti à une motion adoptée par les ligues du monde entier.

Nous aborderons également les causes économiques et sociales des crises et parmi elles le défi de la responsabilité des acteurs économiques, Etats, entreprises multinationales, investisseurs. Les dernières années de crise ont amplement démontré le profond mépris de ces acteurs pour les peuples et leurs droits, ou dans le meilleur des cas, leur incapacité à assumer effectivement leur rôle : pour les Etats, de protéger les droits humains, pour les multinationales et les investisseurs de les respecter !

Encore faut-il que durant les phases de transition on puisse garantir les libertés fondamentales : liberté d’expression, liberté de pensée, de conscience et de religion ; les droits des femmes, dont le rôle majeur est largement sous-estimé sinon marginalisé ; les droits des minorités, trop souvent sacrifiées à l’hégémonie de la majorité.

Le débat entre les partisans de la liberté d’expression et ceux de la liberté de religion ne saurait être réduit, comme c’est trop souvent le cas, à une opposition entre religieux et séculiers. Cette réduction souvent perverse est source de conflit. Elle fait l’impasse sur les efforts de dialogue et de tolérance entrepris, en particulier, par les acteurs de la société civile au nom des normes universelles des droits humains.

L’approche par les droits est source d’inclusion. Elle permet de réconcilier respect de liberté de pensée, de conscience et de religion, et respect de la liberté d’expression. N’oublions pas nos expériences les plus récentes : la violation de la liberté d’expression appelle l’autoritarisme et ouvre le chemin du pire. La conquête de la liberté d’expression a fait tomber des dictatures et permis le respect des libertés dans des sociétés pluralistes.

La tentation hégémonique des vainqueurs, qu’ils tiennent leur victoire de la supériorité des armes ou des élections, appelle plus que jamais en période de transition, l’émergence d’une société civile forte et vibrante, susceptible de jouer pleinement son rôle de contre-pouvoir indépendant.
C’est un énorme défi lorsque, la dictature tombant, des décennies d’aculturation, d’accaparement des biens et des services publics, et la destruction systématique du tissu associatif indépendant, dévoilent les énormes besoins de formation, d’échanges, de renforcement des capacités. Des besoins si difficiles à satisfaire lorsque l’urgence du quotidien, la crainte de retour en arrière mobilise toutes les énergies. Pouvoir agir dans un environnement juridique sécurisant, forger les alliances nécessaires à la durabilité, consolider les ponts entre les anciens et les plus jeunes, apprivoiser les nouvelles technologies dans l’intérêt général : nous débattrons aussi de ces enjeux majeurs.

Cher-e-s ami-e-s,
Vous comprenez les raisons de la tenue de notre Congrès en Turquie, où ces problématiques se posent avec acuité. La FIDH et ses ligues turques ont saisi les plus hautes autorités de huit défis nous paraissant essentiels pour la transition démocratique en Turquie : garantir la liberté d’expression ; assurer une lutte contre la violence politique respectueuse des droits humains ; libérer les personnes détenues arbitrairement ; et assurer aux victimes des violations les droits à la justice, à la vérité et à la réparation, ainsi que des garanties de non-répétition. Dans le contexte exceptionnel de la mise en œuvre du cessez le feu avec le PKK, l’adhésion de la Turquie au Statut de Rome représenterait un geste à la hauteur de cet enjeu : la consolidation de la paix et la préservation de l’avenir.

L’expérience turque alimentera je l’espère notre réflexion concernant la nécessité du dialogue et de l’équilibre à trouver au sein de la société, pour le respect des droits de chacun malgré des conceptions différentes.

Liberté, justice, dignité, égalité : le slogan de notre congrès résume les quatre exigences indivisibles d’une transition réussie. Il résume notre engagement à y contribuer, ensemble, résolument.

Cher-e-s amies,

Au nom de la FIDH, de l’IHD et de la Fondation turque des droits humains, je déclare ouvert le 38ème Congrès mondial de la FIDH.

Je vous remercie.

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