Lettre ouverte au Premier ministre turc

18/06/2003
Communiqué

Monsieur le Premier ministre,

La Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme (FIDH) s’inquiète fortement des mesures récentes décidées par le gouvernement turc concernant l’enseignement de l’histoire tragique des années 1915-1916, au cours desquelles le gouvernement « jeune turc » avait planifié et perpétré la déportation et l’extermination de l’ensemble des populations arméniennes d’Anatolie.

Le décret du 14 avril 2003 promulgué par M. Huseyin Celik, ministre de l’Education nationale, expose les mesures à mettre en oeuvre dans les écoles primaires, secondaires et lycées destinées « à combattre les allégations de génocide » des Arméniens mais également des Grecs pontiques et des Assyriens. Ce décret fait suite à une série de circulaires qui avaient été distribuées aux recteurs et doyens d’universités dont l’objectif était d’orienter les travaux des chercheurs et de façonner les cours des enseignants avec la version officielle de l’histoire de « la déportation des Arméniens ».

La FIDH condamne cette tentative de négation de faits historiques établis de manière formelle et universelle, qualifiés et reconnus comme le premier génocide du 20ème siècle, au sens de la Convention pour la prévention et la répression de crime de génocide, adoptée par l’Assemblée générale de l’ONU, le 9 décembre 1948, et jugés en 1919 par les juridictions mêmes de l’empire ottoman. Les premières victimes de cette politique de négation seront les citoyens turcs eux-mêmes, leurs droits et leurs libertés. Ainsi, la FIDH a appris avec inquiétude l’arrestation et le jugement en comparution immédiate le 30 mai dernier, dans la province de Kilis, de six enseignants qui avaient osé demandé avec insistance au sous-préfet d’Elbely des détails sur la procédure de mise en application de ces mesures. Ceci constitue une violation du droit fondamental à la liberté d’expression, garanti notamment par l’article 19 du Pacte international sur les droits civils et politiques ratifié par la Turquie.

Ces mesures vont clairement à l’encontre de la Recommandation du Comité des ministres du Conseil de l’Europe relative à l’enseignement de l’histoire en Europe du 31 octobre 2001 qui demandait aux Etats membres de « prendre toutes les mesures éducatives nécessaires permettant de prévenir la répétion ou la négation des événements dévastateurs ayant marqué ce siècle, à savoir l’Holocauste, les génocides ou autres crimes contre l’humanité, les épurations ethniques, les violations massives des droits de l’Homme (...) »

Le 5 juin dernier, le Parlement européen a adopté une résolution sur la demande d’adhésion de la Turquie à l’Union européenne dans laquelle il s’est inquiété « des récentes circulaires du ministère turc de l’éducation nationale intimant aux écoles primaires et secondaires du pays de prendre part à une campagne négationniste à propos de l’oppression des minorités au cours de l’histoire de la Turquie, en particulier à l’égard de la communauté arménienne ».

La FIDH joint sa voix à celle du Parlement européen et demande aux autorités turquess de retirer ces mesures dans les plus brefs délais et de garantir en toutes circonstances le droit à la liberté d’expression.

Surtout, la FIDH demande au gouvernement turc actuel la reconnaissance du génocide commis envers les Arméniens en 1915-17, conformément à la résolution du Parlement européen du 18 juin 1987, qui soulignait « que la démocratie ne peut être implantée solidement dans un pays qu’à condition que celui - ci reconnaisse et enrichisse son histoire de sa diversité ethnique et culturelle ».

Nous vous prions de croire, Monsieur le Premier ministre, en l’assurance de notre haute considération.

Sidiki Kaba

Président

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