" Donnez des preuves concrètes de votre indignation ! "

14/05/1998
Rapport

La FIDH appelle sollennellement les dirigeants turcs à adopter des mesures radicales pour protéger les défenseurs des droits de l’Homme.

Une délégation de la FIDH, composée de Patrick BAUDOUIN, Président, et de Saadeddine ZMERLI, Vice-Président, a rendu visite à Akin BIRDAL, Vice-Président de la FIDH et Président de l’Association Turque des Droits de l’Homme, qui a été victime d’un attentat le 12 mai dernier à Ankara. A l’occasion d’une conférence de presse organisée par la FIDH, dans la matinée du 18 mai 1998, avec ses affiliées l’Association Turque des Droits de l’Homme et la Fondation Turque des Droits de l’Homme, le Président de la FIDH a rendu publique la lettre ouverte suivante, adressée au Président de la République et au Premier Ministre de la République de Turquie.


MONSIEUR DEMIREL
PRESIDENT DE LA REPUBLIQUE

MONSIEUR YILMAZ
PREMIER MINISTRE

REPUBLIQUE DE TURQUIE

Ankara, le 18 mai 1998

Monsieur le Président de la République,

Monsieur le Premier Ministre,

C’est avec consternation que nous avons appris l’attentat dont Monsieur Akin BIRDAL, Président de l’Association Turque des Droits de l’Homme (IHD) et Vice-Président de la Fédération Internationale des Ligues des Droits de l’Homme (FIDH) a été victime le 12 mai 1998-.

Ses jours, si l’on en croit les médecins, ne sont plus aujourd’hui en danger et nous nous en réjouissons. Pour autant, le 12 mai restera dans nos mémoires comme l’un de ces jours noirs qui suscitent l’inquiétude la plus vive et appellent la vigilance car ils mettent en danger la démocratie.

C’est en effet sa seule qualité de défenseur des droits de l’Homme qui a valu à Akin BIRDAL d’être, au siège même de l’IHD, pris pour cible, combien symbolique, de ceux qui ont résolument choisi le camp de la violence et de la terreur. Ceux-là sont les pires ennemis de la démocratie et des libertés. Qu’ils se trouvent en Algérie, en Colombie, au Rwanda ou en Birmanie, leurs méthodes sont les mêmes pour éliminer les défenseurs des droits de l’Homme et les condamner au silence.

En cette année anniversaire de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme, le Haut Commissaire aux Droits de l’Homme des Nations-Unies a jugé prioritaire la défense des militants des droits de l’Homme. La Commission des Droits de l’Homme des Nations-Unies a d’ailleurs adopté le 3 avril dernier la Déclaration sur la protection des défenseurs des droits de l’Homme. Parce que ceux-ci sont les premiers et les derniers remparts des libertés fondamentales.

Akin BIRDAL, en fondant il y a douze ans l’IHD, dont il est depuis 1992 le Président, et qui a été unanimement porté à la Vice-Présidence de la FIDH en novembre 1997 par plus de deux-cents défenseurs des droits de l’Homme d’une centaine de pays, ne s’est jamais départi de ses convictions et de son engagement.

Les menaces, les actions judiciaires en tous genres, les interpellations, les condamnations pour ses discours pacifistes, n’ont pas eu raison de son ardeur à être en première ligne pour défendre les droits élémentaires reconnus à tout citoyen d’une démocratie.

Les libertés aujourd’hui conquises dans ce pays lui sont dues pour partie, comme elles le sont à ceux, nombreux et anonymes, qui, en Turquie, se sont battus pacifiquement pour les partager avec d’autres, au prix souvent de plusieurs années de leur liberté, parfois de leur vie. Akin BIRDAL était depuis longtemps, en raison de son combat pour les droits de l’Homme, de son opiniâtreté à vouloir en toutes circonstances les défendre, en raison aussi de ses discours pour la paix dans ce pays, l’objet de menaces de moins en moins voilées.

Les aveux allégués, révélés par la grande presse quotidienne, de l’un des leaders du PKK arrêté en Irak du Nord par les forces turques, ont exposé plus encore ceux nommément visés dans ses déclarations spectaculaires et au nombre desquels figurait Akin BIRDAL. Le démenti immédiatement apporté aux accusations ainsi divulguées par l’ensemble des personnes mises en cause et particulièrement par Akin BIRDAL, n’ont pas dissipé la menace devenue plus précise que jamais d’attenter à sa vie.

Akin BIRDAL, comme d’autres dans la même situation que lui, s’est vu contraint de réclamer une protection qui ne lui a pas été accordée.

La FIDH et d’autres ONG internationales sont intervenues auprès de vous et de vos prédécesseurs à maintes reprises ces dernières années pour vous demander de tout mettre en oeuvre afin que les auteurs de violations des droits de l’Homme, et notamment des trop nombreux attentats ou exécutions du type de celui dont a été victime Akin BIRDAL, soient recherchés, arrêtés et sanctionnés.

A ce jour, aucune mesure concrète n’a été prise. L’impunité des auteurs de tels forfaits demeure la règle ; elle encourage davantage les attentats et les exactions à l’encontre des défenseurs des droits de l’Homme. Ce qui s’est passé le 12 mai en constitue la tragique illustration.

Pour que des actes aussi répréhensibles ne se reproduisent plus, et parce que les condamner comme vous l’avez fait ne suffit pas, la FIDH vous demande aujourd’hui solennellement de donner des preuves concrètes de votre indignation.

Il est de votre responsabilité de veiller à ce que les auteurs de l’attentat du 12 mai soient activement recherchés, arrêtés et traduits en justice dans les plus brefs délais.

Il vous incombe aujourd’hui de prendre enfin l’initiative de mesures radicales, afin de garantir de façon effective et immédiate la sécurité et la liberté d’action des défenseurs des droits de l’Homme en Turquie.

A cet égard, et sans attendre la session d’automne de l’Assemblée Générale des Nations-Unies, la FIDH vous demande de manifester immédiatement l’adhésion de la Turquie à la Déclaration des Nations-Unies pour la protection des Défenseurs des Droits de l’Homme. La FIDH vous demande en outre d’adopter dès à présent l’ensemble des mesures - législatives ou réglementaires -, et de donner toutes les instructions nécessaires, en vue de la mise en oeuvre et du respect de toutes les dispositions de cette Déclaration.

Cette adhésion et l’adoption de ces mesures constitueront en la circonstance la preuve de la volonté des dirigeants de la Turquie de faire de ce pays un Etat de droit respectueux des libertés fondamentales.

Faute de ce faire, les simples déclarations d’intention seraient, aux yeux de notre organisation mais aussi de la communauté internationale, attentives à la détermination des autorités turques face à la gravité de la situation présente, dépourvues de toute crédibilité.

Veuillez agréer, Monsieur le Président de la République, Monsieur le Premier Ministre, l’expression de notre haute considération.

Patrick BAUDOUIN

Président

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