Cahiers d'études sur la Méditerranée orientale et le monde turco-iranien, n° 18, juillet-décembre 1994
ANATOMIE D'UNE CRISE : LE POIDS DES TENSIONS ENTRE REGIONS AU TADJIKISTAN
Guissou JAHANGIRI
La question de la définition du Tadjikistan est au coeur de la crise politique et sociale tadjike des années 1990, avant même tout débat de type idéologique opposant des partis démocrates ou islamistes à un régime communiste. C'est bien sûr la question de l'indépendance nationale face à la Russie qui ouvre la crise, les partis d'opposition se construisant d'abord autour d'une affirmation nationaliste.... et qui la ferme, le conflit n'étant résolu que par le recours à l'intervention externe des forces de la CEI qui relativise, tant sur le plan stratégique que sur le plan économique, la portée de l'indépendance "accordée" à la République tadjike. Mais c'est aussi, et surtout, autour de la question de la cohérence interne de cette république que tout va se nouer. La confrontation va très rapidement se polariser selon des oppositions entre les groupes originaires de différentes régions de la république, tant dans les expressions politiques que dans la mobilisation des forces armées ou dans les lignes de partage des massacres perpétrés. Ces tensions s'ancrent dans une fragilité globale de la construction de la nation tadjike et dans de fortes diversités internes qui datent de l'origine de celle-ci et qu'il importe de rappeler pour mettre en perspective les événements de ces dernières années.
L'histoire de la constitution de l'entité tadjike est très récente. Cette république date de 1929, quand, cinq ans après son statut de république autonome soviétique à l'intérieur de l'Ouzbékistan, elle devient une république de l'Union. Mais ce processus a été douloureux et porteur de contradictions. En effet, le principal critère utilisé pour réunir les divers peuplements à l'intérieur des frontières du Tadjikistan a été l'usage de la langue persane ; d'où des différends sérieux avec les ouzbékophones pour déterminer le pourcentage des persanophones dans des villes importantes telles que Samarcande, Boukhara et Khoudjand. Au moment du tracé des frontières tadjikes, sur une population tadjike estimée à 1 240 000, (les Tadjiks des Républiques du Turkestan et de Boukhara), 800 000 sont restés
