Lettre conjointe de la société civile au Parlement slovaque

08/11/2021
Communiqué
en es fr

Nous vous écrivons au nom de 110 organisations pour vous faire part de notre profonde inquiétude concernant les menaces qui pèsent actuellement sur la santé et les droits reproductifs des femmes en Slovaquie.

En ce moment, le Parlement débat d’un projet de loi qui, s’il était adopté, imposerait de nouveaux obstacles à l’accès à des soins légaux en matière d’avortement, ce qui nuirait à la santé et au bien-être des femmes et saperait leur prise de décision et leur vie privée. Il entraverait également de manière significative l’accès à des informations médicalement exactes sur l’avortement. Si elle est adoptée, la législation aura un effet dissuasif dangereux sur l’offre de soins légaux en matière d’avortement en Slovaquie, mettant en danger la vie et la santé des femmes, et renforçant la stigmatisation néfaste de l’avortement. Les propositions législatives visent à prolonger la période d’attente obligatoire actuellement requise avant d’avoir accès à l’avortement sur demande, et à obliger les femmes à indiquer les raisons pour lesquelles elles souhaitent avorter et à fournir d’autres informations privées lorsqu’elles demandent un avortement. Ces informations seraient ensuite transmises au Centre national d’information sur la santé. Les propositions visent également à restreindre les informations que les professionnels de la santé peuvent fournir publiquement sur les soins liés à l’avortement, et à renforcer le caractère dissuasif des informations que les médecins sont déjà tenus de fournir.

Nos organisations sont profondément préoccupées par ces propositions. Si elles sont adoptées, chacune de ces propositions contreviendra aux directives internationales de santé publique, aux meilleures pratiques cliniques et aux obligations internationales de la Slovaquie en matière de droits humains.

L’Organisation mondiale de la santé (OMS) a souligné que les pays devraient veiller à ce que les décisions des femmes d’accéder à des soins d’avortement légaux soient respectées et que les soins d’avortement soient "dispensés d’une manière qui respecte la dignité de la femme, garantit son droit à l’intimité et est sensible à ses besoins et perspectives". Les mécanismes internationaux des droits de l’homme ont souligné que les États doivent garantir la disponibilité, l’accessibilité et la qualité des services d’avortement conformément aux directives de l’OMS. Ils ont appelé les États, y compris la Slovaquie, à supprimer les obstacles à un avortement sûr et légal, notamment les périodes d’attente obligatoires, les conseils obligatoires et biaisés, et le manque de confidentialité et de vie privée. Les organes conventionnels des Nations unies ont estimé que le refus d’accès à l’avortement pouvait constituer une violation de plusieurs droits de l’homme, notamment le droit de ne pas subir de traitement cruel, inhumain ou dégradant et le droit à la santé. En outre, la Cour européenne des droits de l’homme a estimé que les États ont "une obligation positive de créer un cadre procédural permettant à une femme enceinte d’exercer son droit d’accès à l’avortement légal".

L’allongement des délais obligatoires dans la fourniture de soins d’avortement sûrs : L’augmentation proposée de la période d’attente obligatoire de 48 à 96 heures et son application à tous les avortements, sauf lorsque la santé ou la vie de la femme est en danger immédiat, augmenterait considérablement les délais d’accès des femmes aux soins d’avortement, mettant ainsi leur santé et leur vie en danger.

L’OMS a souligné que " les périodes d’attente obligatoires peuvent avoir pour effet de retarder les soins, ce qui peut compromettre la capacité des femmes à accéder à des services d’avortement sûrs et légaux. "

L’OMS a souligné qu’"une fois que la décision [d’avorter] est prise par la femme, l’avortement devrait être fourni dès que possible" et sans délai. Les délais d’attente obligatoires entraînent également des discriminations et des inégalités sociales car ils augmentent les coûts financiers et personnels liés à l’obtention d’un avortement légal en exigeant au moins une visite supplémentaire chez un médecin avant l’avortement.

Les délais d’attente obligatoires portent également atteinte à l’autonomie et à la capacité de décision des femmes. L’OMS a clairement indiqué que les périodes d’attente obligatoires "dévalorisent les femmes en tant que décideurs compétents" et a précisé que les périodes d’attente médicalement inutiles devraient être supprimées pour "garantir que les soins liés à l’avortement sont dispensés d’une manière qui respecte les femmes en tant que décideurs". Les mécanismes internationaux des droits de l’homme ont demandé à plusieurs reprises à la Slovaquie de supprimer les périodes d’attente obligatoires avant l’accès aux soins liés à l’avortement.

Restriction de l’accès à des informations médicalement exactes sur l’avortement : L’interdiction proposée de la "publicité sur la nécessité ou la disponibilité" des soins liés à l’avortement limiterait la capacité des médecins et des établissements de santé à fournir des informations factuelles sur l’avortement et sur les lieux où les femmes peuvent accéder à un avortement légal. La législation aurait un effet dissuasif sur la fourniture de telles informations par les prestataires médicaux, ce qui entraînerait de nouvelles restrictions de l’accès des femmes aux informations sur les soins d’avortement légaux et porterait ainsi atteinte à leur droit à l’information et mettrait en danger leur santé et leur sécurité.

En plus de restreindre la capacité des médecins à fournir publiquement des informations médicalement exactes sur l’avortement, les propositions visent à renforcer le caractère dissuasif des informations que les médecins sont déjà tenus de fournir aux femmes souhaitant avorter. Les mécanismes internationaux de défense des droits de l’homme ont souligné que les restrictions légales à l’information factuelle sur la santé sexuelle et reproductive, y compris l’avortement sûr et légal, sont en contradiction avec l’obligation des États de garantir le droit des femmes au meilleur état de santé possible. Ils ont clairement indiqué que "de telles restrictions entravent l’accès à l’information et aux services et peuvent alimenter la stigmatisation et la discrimination" et ont appelé les États à "veiller à ce que des informations précises et fondées sur des données probantes concernant l’avortement et sa disponibilité légale soient accessibles au public". De même, l’OMS a souligné l’importance de garantir l’accès à des informations factuelles sur l’avortement et le droit à des soins de santé génésique légaux.

Les mécanismes internationaux des droits de l’homme et l’OMS ont également souligné l’obligation des États de veiller à ce que les femmes puissent accéder à des informations de bonne qualité sur la santé sexuelle et reproductive, qui soient scientifiquement et médicalement exactes, et de s’abstenir de "censurer, retenir ou déformer intentionnellement" ces informations. À cette fin, le Comité des droits de l’enfant des Nations unies a récemment exhorté la Slovaquie à veiller à ce que "les professionnels de la santé fournissent des informations médicalement exactes et non stigmatisantes sur l’avortement."

Obliger les femmes à indiquer les raisons de l’avortement : Obliger les femmes souhaitant avorter à exposer les raisons de leur décision, qui est souvent une question très personnelle et privée, pourrait dissuader les femmes de chercher à se faire soigner dans le système de santé officiel. Les mécanismes internationaux de défense des droits de l’homme ont déjà exhorté la Slovaquie à "garantir la confidentialité des données personnelles des femmes et des jeunes filles souhaitant avorter, notamment en supprimant l’obligation de communiquer les données personnelles de ces femmes et jeunes filles au Centre national d’information sur la santé".

Si elle est adoptée, cette législation sera en totale contradiction avec les directives internationales de santé publique et les meilleures pratiques cliniques. Elle compromettra le respect par la Slovaquie des obligations qui lui incombent en vertu des traités internationaux relatifs aux droits humains, à savoir garantir les droits des femmes à la santé, à la vie privée, à l’information, à ne pas subir de traitements inhumains ou dégradants, ainsi que les principes de non-discrimination et d’égalité dans la jouissance des droits. En outre, l’adoption de ces propositions sera contraire au principe juridique international fondamental de non-rétrogression. Dans son examen de la Slovaquie en 2019, le Comité des droits économiques, sociaux et culturels des Nations unies a explicitement demandé à l’État de s’abstenir de toute rétrogression en ce qui concerne les droits des femmes en matière de santé sexuelle et reproductive.

Nous appelons tous les membres du Parlement à rejeter ces propositions législatives régressives et néfastes concernant l’accès aux soins liés à l’avortement et à s’abstenir de toute nouvelle tentative de restreindre et de violer les droits reproductifs des femmes en Slovaquie.

Lire la suite