Lettre Ouverte au Président de la République Fédérale de Yougoslavie, Monsieur Vojislav Kostunica

09/04/2001
Communiqué

Monsieur le Président de la République,

Un pas très important vient d’être franchi avec l’arrestation de Slobodan Milosevic et son incarcération à Belgrade : il faut s’en féliciter. Le président déchu de RFY, devra répondre, devant les juridictions serbes, des crimes et délits, dont le peuple serbe a été victime.

De ces quelques 10 années d’un pouvoir autoritaire, ne subsistent que des images et des mots de haine et de violence, de souffrances, mais aussi le deuil et la misère dans lesquels les populations civiles de l’ex Yougoslavie ont été plongées, sans partage, de Vukovar à Pristina, en passant notamment par Mostar, Foca, Omarska, Sarajevo et Srebrenica... C’est dire si, au delà du peuple serbe, qui a dû subir les conséquences d’une politique de pillage de l’Etat serbe et des sanctions économiques que la communauté internationale s’est vu contrainte d’appliquer à la République Fédérale de Yougoslavie, les autres populations civiles de l’ex Yougoslavie ont eu à souffrir, elles aussi, de ces guerres menées pour assouvir une soif effrénée de pouvoir et un idéal politique de purification ethnique.

Il vous reste un geste à accomplir, symbolique, entre tous, de votre volonté de faire en sorte que la RFY réintègre totalement une communauté internationale qui partage ces mêmes valeurs universelles qui constituent les fondements d’une vraie démocratie et d’un état de droit. Lorsque peu de temps après votre investiture, vous avez demandé que la RFY, désormais débarrassée de celui qui l’avait bannie du monde et plongée dans les guerres, soit à nouveau admise à siéger aux Nations Unies, vous marquiez votre adhésion à ces valeurs universelles que les Nations Unies ont pour vocation de préserver et de promouvoir.

Lorsque la guerre faisait rage en 1993, le Conseil de sécurité des Nations Unies a décidé de créer un tribunal ad hoc, pour notamment juger ceux coupables des crimes de guerre et contre l’humanité, commis depuis 1991 dans l’ex Yougoslavie et par ce travail de justice indispensable, prévenir d’autres conflits et aider à la restauration de la paix.

Contrairement à Nuremberg, qui était l’expression, en dépit des immenses apports qu’il a favorisé pour le droit international humanitaire, d’une justice des vainqueurs, le Tribunal pénal international pour l’ex Yougoslavie est la première juridiction internationale, dont l’existence a été ardemment voulue par la communauté des nations. Ce tribunal, comme la création de la CPI dont vous avez proposé la ratification du statut, quelques jours après votre prise de fonctions, sont des avancées majeures dans la lutte contre l’impunité, et pour l’enrichissement de la justice internationale et du droit pénal international dont elle se nourrit.

C’est parce que les crimes dont connaît cette justice là ne sont pas ordinaires, mais de ceux qui portent atteinte aux droits de l’humanité toute entière et violent les règles universelles dans lesquelles elle se reconnaît, que la communauté internationale a voulu que le Tribunal pénal international pour l’Ex Yougoslavie, appelé à en juger les auteurs principaux, prime sur les juridictions nationales. Ce principe de primauté est inscrit dans la résolution 827, adoptée le 25 mai 1993 par le Conseil de Sécurité, comme dans le statut qui régit cette juridiction. Loin d’entamer la souveraineté des Etats, il traduit bien au contraire la volonté de la communauté internationale de voir et d’entendre cette fois la justice rendue, non plus simplement au nom de tel ou tel peuple, mais au nom de l’humanité entière.

Nous ne doutons pas que votre attachement aux valeurs démocratiques et à l’état de droit - bafoués par votre prédécesseur - que vous avez proclamé tout au long de votre campagne électorale, vous persuadera d’apporter, comme s’y sont obligés tous les Etats membres des Nations Unies, votre pleine coopération au TPIY et de livrer Slobodan Milosevic à la Haye, pour qu’il y réponde des crimes de guerre et contre l’humanité dont il est, à ce jour et dont il pourrait être, demain, accusé. Simplement parce qu’agir différemment serait replacer, autrement, mais encore une fois, la RFY en marge de la communauté internationale et l’isoler à nouveau.

De leur coopération effective avec le TPIY, la RFY et la Serbie, sortiront grandies, traduisant leur foi en des valeurs universelles dont on a voulu les priver, dix années durant ; le peuple serbe, les témoins, et les victimes, de quelque nationalité qu’ils soient, les femmes et les hommes qui depuis plusieurs années ont œuvré pour que progresse la justice internationale et que cesse l’impunité, vous sauront gré d’avoir eu le courage politique, en dépit de résistances internes qui pourraient persister, de permettre que justice soit enfin rendue, au nom de tous.

Croyez, Monsieur le Président, en l’assurance de ma très haute considération

Sidiki Kaba
Président

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