Visite du Commissaire européen aux droits de l’Homme en Tchétchénie

28/02/2007
Communiqué

A l’occasion de la visite en Tchétchénie de M. Thomas Hammarberg, Commissaire du Conseil de l’Europe chargé des droits de l’Homme, la FIDH réitère sa profonde préoccupation quant aux violations massives des droits de l’Homme perpétrées en toute impunité dans cette république.

La FIDH et le Centre des droits de l’Homme « Mémorial » ont publié en novembre 2006 un rapport conjoint intitulé « Tortures en Tchétchénie : « normalisation » du cauchemar » qui, à l’appui de nombreux témoignages de victimes, décrit en détails les pratiques d’enlèvement, de tortures, de prises d’otages, de détention dans les prisons illégales et d’exécutions sommaires qui constituent le principal pilier du régime de la terreur instauré en Tchétchénie.

La violence et la torture sont employées tant pendant l’arrestation que durant les interrogatoires afin de fabriquer des dossiers criminels ou pour obtenir des « informations opérationnelles ». En détention, les personnes enlevées sont frappées et torturées jusqu’à ce qu’elles passent aux aveux et elles ne sont libérées qu’après avoir été menacées d’une seconde arrestation au cas où elles révéleraient l’identité de leurs enquêteurs ou le lieu de leur détention. Dans la plupart des cas, la libération n’intervient que grâce à une rançon versée aux ravisseurs par la famille du détenu.

La FIDH rappelle que les membres des formations armées ne se limitent pas à l’arrestation des suspects, mais qu’ils procèdent à leur détention pendant des périodes plus ou moins longues, alors qu’ils n’ont aucun droit de mener des interrogatoires et encore moins de détenir des civils dans les cantonnements de leurs unités. La plupart du temps, l’arrestation est effectuée par les militaires en tenue de camouflage sans aucun signe distinctif et dont les véhicules n’affichent pas de numéro d’immatriculation. De nombreux documents attestent que les organes de la Procuratura et du ministère de l’Intérieur connaissent l’identité des ravisseurs ainsi que leur appartenance aux structures militaires, pourtant la quasi-totalité des crimes commis ne donnent pas suite à l’ouverture d’une enquête et leurs auteurs ne sont pas poursuivis.

En novembre 2006, dans ses observations finales concernant l’examen du rapport de la Fédération de Russie, le Comité contre la torture de l’ONU a souligné la fiabilité « des informations sur l’existence des lieux de détention non officielles dans le Caucase du Nord et des allégations sur les tortures qui y sont pratiquées » [1]. A cet égard, la FIDH se félicite de la déclaration de M. Hammarberg faite le 27 février 2006, après sa visite des lieux de détention, sur le caractère systématique de la torture qui est pratiquée en Tchétchénie.

Par ailleurs, la FIDH rappelle que M. Ramzan Kadyrov, ancien premier ministre tchétchène, nommé président par interim par décret du président Poutine le 15 février 2007, construit un système fort de pouvoir personnel en plaçant à tous les postes clés de la république les personnes qui lui sont fidèles. Les formations armées légalisées lui servent de principal appui et les moyens financiers phénoménaux accumulés hors de tout contrôle, comme ceux de la « fondation Akhmad Kadyrov », constituent un important facteur de son influence.

La « tchétchénisation » récente du conflit, c’est à dire la création de forces de l’ordre composées de Tchétchènes qui ont progressivement remplacé les forces fédérales russes dans la plupart des opérations militaires menées en Tchétchénie, a fait en sorte que ce sont des groupes tchétchènes qui sont actuellement à l’origine de la majorité de crimes commis contre la population civile.

La plupart de ces crimes, mais aussi ceux commis dans d’autres républiques du Caucase du Nord, incombent aux troupes placées sous le commandement directe de M. Kadyrov. Une de ces troupes, les « kadyrovtsy » (ou les « hommes de Kadyrov »), constituent la force militaire la plus importante de la république. En effet, en multipliant les prises d’otages des proches des combattants, M. Kadyrov a obligé ceux-ci à se rendre et à grossir les rangs de sa formation. Par ailleurs, les membres de cette formation armée ont bénéficié de l’amnistie décrétée par M. Kadyrov en dehors de tout cadre légal.

D’après plusieurs témoignages fiables, outre sa responsabilité dans les violations des droits de l’Homme perpétrées par les groupes armés sous son commandement, M. Kadyrov serait personnellement impliqué dans des actes de torture. Dans ce contexte, la FIDH exprime sa plus profonde inquiétude suite à la nomination de M. Kadyrov au poste de président par interim et craint que la visite du Commissaire européen des droits de l’Homme ne soit instrumentalisée pour légitimer cette nomination.

Enfin, en considérant l’extension du conflit à d’autres régions du Caucase du Nord, la FIDH appelle le Conseil de l’Europe à exiger des autorités russes le respect des obligations prises par la Russie en tant que Partie signataire à la Convention européenne des droits de l’Homme et à faire pression afin qu’elles mettent un terme aux violations des droits de l’Homme et au climat d’impunité qui persiste en Tchétchénie.

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