Lettre ouverte aux autorités du Danemark

31/10/2002
Communiqué

Monsieur Anders Fogh Rasmussen, Premier Ministre,
Monsieur Per Stig Moller, ministre des Affaires étrangères,

La Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme (FIDH) souhaite attirer votre attention sur le sort de M. Akhmed Zakaiev qui vient d’être placé en détention par la justice danoise pour une durée de 13 jours.

M. Akhmed Zakaiev, ministre de la Culture Tchétchène est le représentant du président Maskhadov pour les négociations avec la Russie. En novembre 2001, il avait été mandaté pour négocier avec le représentant de Vladimir Poutine lors de la seule rencontre officielle jamais tenue entre les autorités russes et autorités tchétchènes depuis le début de la guerre en 1999. Il a en outre été auditionné à plusieurs reprises par l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe.

Selon les informations reçues, il serait accusé par les autorités russes " d’être l’un des planificateurs de la prise d’otages du théâtre de Moscou et d’avoir participé à plusieurs actions terroristes de 1996 à 1999 ".

Si la FIDH a immédiatement condamné la prise d’otage de Moscou comme d’ailleurs tout acte terroriste et de représailles contre les populations civiles, elle insiste sur le fait que, depuis le début du conflit, les autorités russes invoquent la lutte contre le terrorisme pour justifier une guerre dont la principale victime est la population civile tchétchène au travers des opérations quotidiennes de " nettoyages ". L’utilisation fallacieuse de la lutte contre le terrorisme par la Russie a encore été renforcée après les évènements dramatiques du 11 septembre 2001.

La FIDH demande au Danemark d’opposer une fin de non recevoir à la demande d’extradition formulée par la Russie. La FIDH a, en effet, toutes les raisons de considérer que l’extradition de M. Akhmed Zakaiev mettrait gravement sa vie en danger.

Le Danemark comme la Russie ont ratifié la Convention européenne contre le terrorisme de 1977 qui précise en son article 5 qu’ " Aucune disposition de la présente Convention ne doit être interprétée comme impliquant une obligation d’extrader si l’Etat requis a des raisons sérieuses de croire que la demande d’extradition motivée par une infraction visée à l’article 1 ou 2 a été présentée aux fins de poursuivre ou de punir une personne pour des considérations de race, de religion, de nationalité ou d’opinions politiques, ou que la situation de cette personne risque d’être aggravée pour l’une ou l’autre de ces raisons ".

Si les accusations de terrorisme semblent être le fondement de la demande d’extradition déposée par les autorités russes à l’encontre de M. Akhmed Zakaiev, il semble évident que la nationalité et les opinions politiques de ce dernier seront déterminantes pour l’engagement des poursuites et affecteront le bon déroulement d’un éventuel procès le concernant.

La FIDH rappelle en outre qu’en vertu de nombreux instruments internationaux de défense des droits de l’Homme, un Etat ne peut extrader un individu s’il a de sérieuses raisons de penser qu’il pourrait subir mauvais traitements de la part des autorités de l’Etat requérrant. Pour les Etats membres de l’Union européenne, cette perspective est renforcée dans les cas où la peine de mort est encourue, ce en vertu des principes directeurs de l’UE sur la peine de mort adoptés en juin 1998. S’il existe actuellement un moratoire sur la peine de mort en Russie, celle-ci n’y est pas pour autant abolie. On peut avoir les plus grands doutes sur la promesse formulée par le Procureur général de Russie de pas recourir à la peine capitale en l’espèce quand on sait que le Président du Parlement tchétchène R. Alikhadjiev arrêté et placé en prison par les russes est, depuis, " disparu ". De plus, le Comité contre la Torture de l’ONU à l’issue de l’examen du rapport de la Russie a condamné, en mai 2002, la perpétration généralisée d’actes de tortures contre les détenus.

Par ailleurs, l’article 6 de la Convention européenne établit un principe de compétence universelle qui permet aux autorités judiciaires danoises, si elles n’extradent pas M. Akhmed Zakaiev, d’engager, le cas échéant, des poursuites à son encontre. En vertu de cet article, le Danemark n’est donc pas dans l’obligation d’extrader M. Akhmed Zakaiev. En outre, la FIDH est convaincue que la justice danoise va examiner avec la plus grande prudence les éléments de preuve fournis par la Russie et offrir les garanties d’impartialité nécessaires pour l’examen des charges qui pèsent contre M. Akhmed Zakaiev. Le contexte prévalant en Russie n’offre actuellement aucune de ces garanties.

La FIDH demande par ailleurs au Danemark qui assure la présidence de l’Union européenne et après que se soit tenue sur son territoire un congrès pour la Paix en Tchétchènie, de jouer un rôle de médiation dans la recherche d’une solution politique au conflit en cours.

La FIDH demande aux autorités danoises de saisir l’occasion de la tenue du sommet entre l’Union européenne et la Russie, le 11 novembre 2002, pour exercer les pressions nécessaires auprès des autorités russes afin que ces dernières initient de réelles négociations politiques avec les responsables tchétchènes. Il doit impérativement être mis fin à cette guerre dont les victimes sont chaque jour plus nombreuses.

Sidiki KABA

Président de la FIDH

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