Russie : interdiction de la « propagande » en faveur des modes de vie sans enfant

14/11/2024
Déclaration
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DENIS SINYAKOV / AFP
  • Le 12 novembre 2024, la Douma d’État, la chambre basse du Parlement russe a approuvé un projet de loi interdisant la « propagande en faveur d’un mode de vie sans enfant.  »
  • La Fédération internationale pour les droits humains (FIDH) exprime sa profonde inquiétude : cette loi constitue une atteinte grave à la liberté d’expression et un danger direct pour les droits sexuels et reproductifs des femmes.
  • La FIDH exhorte le Parlement à stopper ce projet avant son adoption définitive.

Paris, le 14 novembre 2024. La Russie poursuit son tournant ultra-conservateur. Il y a deux jours la Douma a adopté unanimement un projet de loiinterdisant la diffusion sur Internet, dans les médias, les films et dans les publicités, d’informations neutres ou positives sur le fait de ne pas avoir d’enfant.

Cette loi doit encore faire l’objet de l’approbation de la chambre haute avant d’être envoyée au Président Vladimir Poutine pour validation finale. Elle prévoit des amendes financières conséquentes, qui peuvent atteindre jusqu’à 400 000 roubles pour les particuliers (environ 4200 $) et 5 millions de roubles pour les entreprises (près de 50 000 $). Et pour les citoyen·nes non russes, le risque de subir une arrestation administrative et une expulsion.

Cette loi s’inscrit dans la continuité du tournant ultra-conservateur pris depuis plusieurs années par la Russie. Le régime met en avant la famille et exalte la maternité comme fondement essentiel de la politique nationale. En 2020, les autorités russes ont procédé à une révision importante de la Constitution notamment en y ajoutant l’article 67 selon lequel « les enfants sont la priorité la plus importante de la politique de l’État russe ». De même, en novembre 2022, le Président russe a signé un décret intitulé « Fondements de la politique d’État pour la préservation et le renforcement des valeurs spirituelles et morales traditionnelles russes  ». Il y est notamment affirmé que la situation démographique du pays est menacée par «  l’influence idéologique destructrice exercée sur les citoyens russes » et propagée par « les États-Unis d’Amérique et d’autres États étrangers inamicaux, ainsi qu’un certain nombre d’organisations non gouvernementales étrangères ».

« Pourtant, c’est bien la guerre, la mobilisation et l’émigration qui ont entraîné la crise démographique dans le pays. Pas de prétendues influences extérieures », explique Natalia Morozova, directrice par intérim du département Europe de l’Est et Asie centrale de la FIDH. « Désormais, le régime de Poutine manque de soldats pour sa guerre en Ukraine, de « chair à canon », d’où la promulgation continue de lois fascistes que la Douma d’État adopte à une rapidité sans précédent. Évidemment, cela n’aura aucun effet sur la natalité. »

2024, année de la famille

L’année 2024 a été proclamée en Russie « année de la famille ». L’occasion d’adopter des mesures visant à « renforcer le mariage et les valeurs traditionnelles ». Frais de divorce multipliés par huit, lois interdisant « l’incitation à l’avortement » et, fait nouveau dans un pays héritier d’une URSS pionnière du droit à l’avortement : les cliniques privées de certaines régions renoncent à pratiquer des interruptions volontaires de grossesse.

La loi qui vient d’être votée bannit la diffusion d’informations sur le mouvement childfree (terme utilisé pour les personnes faisant volontairement le choix de ne pas avoir d’enfant, que ce soit pour des raisons personnelles, économiques ou environnementales). Selon Valentina Matvienko, présidente du Conseil de la Fédération de Russie, la chambre haute du Parlement « ce mouvement ne correspond pas aux attentes actuelles des femmes » et « doit être légalement interdit  ».
Une fois la loi entrée en vigueur, les citoyen·nes russes ne pourront plus dire ni écrire quoi que ce soit visant à promouvoir une «  image positive de la non-parentalité et du choix conscient de ne pas avoir d’enfant, si ce choix n’est pas lié à des contre-indications médicales ».

Cette législation renforce la pression déjà exercée par l’État russe sur le corps des femmes qui rend de plus en plus difficile l’accès à l’avortement. Elle s’inscrit dans une tendance plus large, influencée par la montée de courants conservateurs, s’appuyant sur une vision archaïque et nationaliste de l’orthodoxie. Le but affiché est de défendre les valeurs « traditionnelles », lutter contre un Occident qualifié de « décadent » et surtout, contrôler les corps des femmes.

Elle s’ajoute à une série de lois répressives visant à restreindre la liberté d’expression en renforçant un environnement de censure où toute opposition aux injonctions natalistes de l’État est peu à peu criminalisée, à l’instar de la loi du 24 novembre 2022, qui interdit totalement la « propagande LGBT » et élargit l’interdiction de 2013 concernant la diffusion d’informations auprès des mineur·es.

La FIDH observe et s’inquiète de cette nouvelle attaque aux droits des femmes, qui s’inscrit dans une tendance mondiale de recul et de montée des idéologies réactionnaires. Elle appelle à une vigilance accrue, constante et solidaire.

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