Graves dérives de la lutte contre le terrorisme et contre l’extrémisme en Russie

À la veille d’une échéance électorale majeure, une mission à été envoyée par la FIDH en Russie, du 7 au 17 février dernier pour enquêter sur le respect des droits de l’Homme et de l’Etat de droit dans l’application des mesures antiterroristes.

Cette mission s’inscrit dans le cadre de la mobilisation de la FIDH pour le respect des droits de l’Homme dans le cadre de la lutte contre le terrorisme, partout dans le monde.

Au retour de cette mission, la FIDH tient à faire part de ses plus vives préoccupations à l’égard de dérives et d’atteintes flagrantes aux droits de l’Homme observées, perpétrées sous couvert de la lutte contre le terrorisme et contre l’extrémisme.

Cadre

Antérieure aux attentats du 11 septembre 2001, la lutte contre le terrorisme s’impose en Russie avec le déclenchement de la « seconde » guerre de Tchétchénie en septembre 1999, tout entière menée sous la bannière de l’anti-terrorisme. La nouvelle donne internationale aidant, tout comme les traumatismes causés par les affaires du théâtre de la Doubrovka (2002) et de l’école de Beslan (2004) ainsi que par l’extension aux républiques voisines du Nord-Caucase du conflit tchétchène, la lutte contre le terrorisme s’étend de manière beaucoup plus systématique à l’ensemble du territoire russe tout en prenant de nouvelles formes. C’est le cas des affaires individuelles fabriquées et portées en justice (affaires de Zara Mourtazalieva [1] et de Zaurbek Talkhigov [2]), mais aussi des nombreux procès fabriqués contre des individus appartenant à des communautés musulmanes « non traditionnelles » dans différentes régions de Russie, notamment au Tatarstan. Ces affaires se nourrissent notamment de la perception d’une menace islamiste qui irradierait depuis le Nord-Caucase et d’un effet d’entraînement des campagnes de répression menées dans les pays d’Asie centrale, notamment l’Ouzbékistan, duquel la Russie s’est considérablement rapprochée.

Profitant d’un climat de méfiance généralisée vis-à-vis de cette religion et ne rechignant à aucun amalgame fallacieux, les forces de l’ordre harcèlent les groupes religieux considérés comme suspects (affaires Said Nursi, Izb-Ut-Takhrir [3] et Djamaat Islamique [4]). Sur les listes officieuses d’organisations terroristes, seules figurent des organisations musulmanes.

Une nouvelle législation antiterroriste votée en 2006 (qui instaure la possibilité de déroger aux règles de l’Etat de droit par le biais de la déclaration de « zones d’opérations anti-terroristes »), vient parachever ce dispositif. Plusieurs régions d’Ingouchie ainsi qu’une zone montagneuse du Daghestan ont été récemment déclarées « zones d’opérations antiterroristes ».

À côté des lois anti-terroristes, s’est développée une loi contre l’extrémisme qui vise à réprimer toute incitation à la haine raciale, religieuse, politique…, ainsi que l’appartenance à une organisation qualifiée d’extrémiste. Le flou de la définition d’extrémisme, tout comme de celle de terrorisme [5], a permis des dérives insupportables pour la société civile, notamment par l’instauration d’un climat d’intimidation à l’égard de personnes, d’ONG, de groupements ou d’associations (affaire du Centre Sakharov [6]). Ce flou a permis également de faire glisser certains cas, notamment concernant des musulmans, de la case anti-terrorisme vers la case anti-extrémisme, pour laquelle les affaires sont plus aisées à poursuivre. Par ailleurs, l’élaboration de listes de publications extrémistes « prohibées » se développe de jour en jour, jusqu’à y inclure, sans plus de précisions bibliographiques des écrits intitulés Les fondements de l’Islam. Manifestement par le biais de cette loi, l’Etat instaure un mécanisme de contrôle politique et social particulièrement dommageable à la liberté d’expression et à la liberté de conviction.

Observations préoccupantes

La FIDH, après avoir entendu de nombreux interlocuteurs à Moscou, Kazan et Naberezhnyïe Tchelny, tient à dénoncer plus particulièrement les points suivants :

1. Dans le cadre des procédures pénales, les problèmes récurrents de la justice russe sous une forme aggravée et systématique :

 Les conditions d’arrestation, de perquisition, l’utilisation de « témoins » « agréés » ;

 La manière dont les enquêtes préliminaires sont menées jusqu’à l’inculpation : cas de mauvais traitements, de torture et d’extorsion d’aveux ;

 Les conditions de la détention préventive ;

 Le rôle abusif et intrusif de la Procurature et des juges, qui tient plus de l’allégeance politique que de l’indépendance de la Justice ;

 Le non-respect des droits de la défense ;

 L’acharnement de ces mêmes juges à condamner coûte que coûte, plutôt que de reconnaître une erreur ;

 Lors du procès, les expertises « aux ordres », la manipulation des jurys populaires (jusqu’à casser des verdicts d’acquittement pour vices de forme provoqués), les problèmes d’admissibilité des preuves, quand ces dernières n’ont pas été purement fabriquées, entachent une procédure qui ne répond guère aux standards du procès équitable et impartial.

Pour les personnes condamnées, le seul recours contre ces atteintes est dès lors la Cour européenne des droits de l’Homme de Strasbourg, qui ne statue que dans des délais assez longs. La FIDH rappelle que la Russie bloque une réforme de la Cour qui permettrait, entre autres, d’accélérer les procédures.

2. Dans le cadre des opérations anti-terroristes :

 La dérogation au principe de l’Etat de droit, dans le cas d’une déclaration par « l’officier en charge » (guère plus défini) d’une « zone d’opération anti-terroriste » : pas de limitation dans l’espace ni dans le temps (contrairement à la déclaration d’état d’urgence, limitée à 30 jours, même si renouvelable, et sujette à annonce au Parlement et au Conseil de l’Europe), interception de courrier, accès illimité à l’espace privé, contrôle et limitation (jusqu’à l’interdiction) de toute forme de communication, musellement de la presse (sauf couverture officielle), possibilité de déplacer des populations, principe de non-négociation, possibilité d’abattre les avions civils jugés « menaçants » …

 Le dépassement incessant des limites même de la nouvelle loi

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