FÉDÉRATION DE RUSSIE : Vives préoccupations concernant le projet de loi sur les organisations non commerciales (ONC)

06/07/2012
Communiqué
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Paris-Genève, 6 juillet 2012 - L’Observatoire pour la protection des défenseurs des droits de l’Homme, un programme conjoint de la Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme (FIDH) et de l’Organisation mondiale contre la torture (OMCT), exprime sa vive inquiétude concernant une nouvelle proposition de loi sur les organisations non commerciales qui vise, si elle est adoptée, à affaiblir considérablement les moyens d’action des acteurs de la société civile sur le territoire de la Fédération de Russie.
 

Le 29 juin 2012, des députés de « Russie Unie », le parti au pouvoir, ont déposé devant la Douma un projet de loi intitulé « Modifications des lois de la Fédération de Russie visant à réglementer partiellement les activités d’organisations non commerciales exerçant comme agents de l’étranger ».
 
Les modifications proposées concernent six lois fédérales, notamment celles portant sur les « associations publiques », les « organisations non commerciales », la « lutte contre la légalisation (blanchiment) de revenus illicites et le financement du terrorisme », ainsi que le code des sanctions administratives, le code pénal et le code de procédure pénale.
 
Si ce texte est adopté, il entravera davantage l’exercice des droits de l’Homme dans le pays et constituera une violation flagrante des normes internationales les plus élémentaires relatives à la liberté d’association.
 
Des ONC qualifiées d’« agents de l’étranger » en raison de leurs financements provenant de sources externes
 
En vertu du nouveau projet de loi, les ONC qui souhaitent recevoir des financements de l’étranger pour s’engager dans une « activité politique » quelconque doivent au préalable se faire enregistrer auprès d’un « organisme public agréé » relevant du ministère de la Justice. Elles seront alors officiellement qualifiées d’« organisations non commerciales exerçant comme agents de l’étranger ».
 
Définition trop large des « activités politiques » menées par les « ONC qualifiées d’agents de l’étranger »
 
Selon la définition qu’en présente le texte actuel, « les activités politiques » ont pour objectif de « changer la politique de l’État » et d’« influencer l’opinion publique en faveur de ce changement. » Compte tenu de l’imprécision de cette définition, les autorités russes auront toute latitude pour s’en prendre aux activités de mobilisation des organisations de défense des droits de l’Homme qui, par définition, sont censées influer sur les politiques publiques et l’opinion en général pour que les normes des droits fondamentaux soient mieux respectées.
 
Imprécision de la procédure d’enregistrement des « ONC qualifiées d’agents de l’étranger »
 
Aucune description de la procédure d’enregistrement des « ONC qualifiées d’agents de l’étranger » ne figure dans la version actuelle du projet de loi. Il est simplement indiqué qu’il incombera à l’ « organisme public agréé » d’en préciser les modalités. L’Observatoire redoute la mise en place de procédures lourdes et complexes visant à entraver davantage les activités de promotion des droits de l’Homme menées en toute légalité.
 
Contrôle rigoureux des actions et publications des « ONC qualifiées d’agents de l’étranger »
 
Selon le projet de loi, dès qu’une ONC est qualifiée d’« agent de l’étranger », ses activités doivent être placées sous l’étroite surveillance d’un « organisme public agréé », car elle doit satisfaire aux exigences suivantes :
 
 réaliser des audits annuels ;
 tenir une comptabilité séparée pour les avoirs provenant de sources locales et étrangères ;
 présenter des rapports d’activité deux fois par an ;
 présenter des rapports financiers tous les trimestres.
 
Pour l’heure, aucune information n’a été fournie sur la forme et le contenu de ces rapports. Il appartiendra à l’« organisme public agréé » de les définir.
 
Par ailleurs, toute personne ou entité, qui reproduirait des documents émanant de « ONC qualifiées d’agents de l’étranger », sera traitée comme le sont les organisations incriminées, même si les publications en question n’ont pas bénéficié de sources de financement externes.
 
Ingérence dans les activités des ONG étrangères ayant un siège en Russie, et mesures de surveillance disproportionnées
 
Aux organisations étrangères ayant un siège en Russie, le projet de loi impose deux nouvelles obligations importantes, à savoir :

 faire effectuer tous les ans un audit indépendant par une société d’experts russes et en présenter le rapport à l’« organisme public agréé » ;
 
 se soumettre aux audits supplémentaires que l’« organisme public agréé » aura décidé d’effectuer lui-même.
 
Cet organisme aura le droit de publier sur son site Internet et de fournir à la presse les rapports d’audit ainsi que les comptes rendus relatifs à la situation financière et aux activités des organisations étrangères installées dans le pays.
 
Mesures disproportionnées pour surveiller les fonds envoyés par des sources externes aux ONG étrangères installées en Russie
 
En vertu des dispositions du projet de loi, des contrôles spéciaux seront effectués sur tous les transferts de fonds étrangers supérieurs à 200 000 roubles (4 928 EUR) transférés sur le compte des ONC. Aucune précision n’a pu être obtenue sur l’étendue de ces contrôles et leurs modalités.
 
Pouvoirs étendus pour sanctionner et suspendre les activités des ONC
 
Le projet de loi dispose que le Gouvernement peut suspendre les activités de toute « ONC qualifiée d’agent de l’étranger" pour une durée maximale de six mois si l’organisation ne s’est pas fait enregistrer comme « agent de l’étranger », alors qu’elle reçoit des financements étrangers et mène soi-disant des « activités politiques ».
 
Ce texte introduit en outre de lourdes sanctions, telles que :
 
 des amendes dont le montant pourrait atteindre 50 000 roubles (1 232 EUR) pour les individus et 1 000 000 roubles (24 639 EUR) pour les ONC n’ayant pas fourni « les informations exigées par la loi ».
 
 des amendes dont le montant pourrait atteindre 500 000 roubles (12 320 EUR) pour les individus et 1 000 000 roubles (24 639 EUR) pour les organisations exerçant leurs activités sans avoir respecté l’obligation de se faire enregistrer comme agent de l’étranger.
 
Par ailleurs, une nouvelle disposition est introduite dans le code pénal : elle vise à infliger deux ans d’emprisonnement au maximum ou une période de rééducation par le travail pouvant aller jusqu’à 480 heures aux personnes qui, au regard de la loi, ont manqué à leurs obligations alors qu’elles exerçaient comme « agents de l’étranger ».
 
Les ONG devront par conséquent demander elles-mêmes leur qualification ou courir le risque de s’exposer à de lourdes sanctions pénales. Pour l’Observatoire, qualifier les défenseurs des droits de l’Homme et les militants des droits sociaux d’« agents de l’étranger » en raison des fonds qu’ils reçoivent de l’étranger portera gravement atteinte à leur réputation, à leur crédibilité et dissuadera la population de se fier à eux, aux activités qu’ils mènent et de suivre les conseils qu’ils prodiguent.
 

***
 
L’Observatoire conteste les dispositions du projet de loi qui constituent une flagrante violation des normes régionales et internationales des droits de l’Homme relatives à la liberté d’association, du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) et de la Convention européenne des droits de l’Homme, instruments qui ont été ratifiés par la Fédération de Russie. Ce texte contrevient également à la Déclaration des Nations Unies sur les défenseurs des droits de l’homme adoptée en 1998, en particulier à l’article 5 portant sur le droit « de former des organisations, associations ou groupes non gouvernementaux, de s’y affilier et d’y participer », « de communiquer avec des organisations non gouvernementales ou intergouvernementales » et à l’article 13 traitant du droit « de solliciter, recevoir et utiliser des ressources dans le but exprès de promouvoir et protéger les droits de l’Homme et les libertés fondamentales par des moyens pacifiques ». Comme l’a souligné la Rapporteure Spéciale des Nations unies sur la situation des défenseurs droits de l’Homme, cette Déclaration vise à protéger le droit de recevoir des fonds provenant de sources diverses, y compris de l’étranger[1].
 
L’Observatoire est également très préoccupé de voir que ce projet de loi est présenté devant la Douma à peine trois semaines après l’adoption d’un autre texte législatif visant à restreindre le droit d’organiser des réunions et des manifestations pacifiques dans le pays.
 
En conséquence, les membres du Parlement russe sont instamment invités à ne pas voter le projet de loi, à le retirer et, de manière générale, à respecter en toutes circonstances le droit international des droits de l’Homme, en particulier les meilleures pratiques définies par le Rapporteur Spécial des Nations unies sur le droit de réunion et d’association pacifiques dans le premier rapport qu’il a présenté au Conseil des droits de l’Homme.
 

[1] Cf. Rapporteure Spéciale des Nations unies sur la situation des défenseurs droits de l’Homme, Commentaire concernant la Déclaration sur le droit et la responsabilité des individus, groupes et organes de société de promouvoir et de protéger les droits de l’Homme et les libertés fondamentales universellement reconnus, juillet 2011.
 

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