Pologne : les résultats de l’élection présidentielle mettent gravement en péril le rétablissement de l’état de droits et envoient un signal inquiétant en Europe

02/06/2025
Déclaration
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Jaap Arriens / NurPhoto / NurPhoto via AFP

Dans un second tour à l’élection présidentielle très contesté, la victoire de Karol Nawrocki, soutenu par le parti conservateur Droit et justice (PiS), soulève de vives inquiétudes quant à l’avenir des réformes démocratiques et de l’état de droit en Pologne. Moins de deux ans après un tournant parlementaire décisif en faveur d’une gouvernance libérale, le résultat de ces élections risque de freiner, voire d’inverser, les avancées fragiles enregistrées jusqu’à présent.

Paris, 2 juin 2025. La Fédération internationale pour les droits humains (FIDH) exprime de vives inquiétudes sur l’issue du second tour des élections présidentielles en Pologne, qui s’est soldé par la victoire dimanche de Karol Nawrocki, le candidat soutenu par le parti conservateur Droit et justice (Prawo i Sprawiedliwość - PiS).

Karol Nawrocki a obtenu 50,89 % des suffrages, devançant de justesse le maire libéral de Varsovie et candidat de la Plateforme civique, Rafał Trzaskowski, qui en a recueilli 49,11 %. Ce résultat fait suite à une campagne électorale qui s’est déroulée dans un climat de tension, dont l’issue est restée incertaine jusqu’à la toute dernière minute.
Alors que l’état de droit a occupé une place moins centrale dans la campagne électorale cette année que lors des précédents scrutins, le résultat pourrait peser très fortement sur le processus de restauration démocratique déjà fragile en Pologne. Les deux candidats ont mis l’accent sur les enjeux sociaux et économiques lors de leurs campagnes, laissant peu de place au débat public sur les réformes structurelles qui restent à mener pour reconstruire les institutions démocratiques. Dans ce contexte, l’occasion de réaffirmer l’état de droit comme priorité majeure dans l’élection a sans doute été manquée, malgré son importance décisive sur les efforts que déploie actuellement la Pologne en vue de rétablir la démocratie.

Cette élection intervient moins de deux ans après les élections législatives d’octobre 2023, qui avaient fait naître en Pologne et en Europe l’espoir que le recul démocratique radical – marqué par huit années du régime ultra-conservateur et anti-européen du PiS – pouvait être inversé. Le gouvernement de coalition mené par la Plateforme civique s’était engagé à rétablir l’indépendance de la justice, à reconstruire les institutions démocratiques et à réaligner la Pologne sur les valeurs de l’Europe et les obligations internationales en matière de droits humains.

Cependant, les progrès réalisés depuis octobre 2023 ont été lents et semés d’embûches, en particulier l’usage répété du veto présidentiel par le Président sortant Andrzej Duda, proche du PiS, qui a bloqué des réformes législatives clés en les renvoyant devant le tribunal constitutionnel, politiquement discrédité. Si l’affiliation politique du Président élu Karol Nawrocki suscite des inquiétudes légitimes, il a désormais l’opportunité de se démarquer de son prédécesseur bloquant les réformes et de démontrer son engagement pour les principes démocratiques et l’équilibre institutionnel.

« Le résultat de cette élection vient rappeler cruellement que le chemin du rétablissement démocratique n’est ni linéaire, ni garanti », déclare Elena Crespi, directrice du bureau Europe de l’Ouest de la FIDH. « Ce qui se passe en Pologne est important pour toute l’Europe — d’autant plus que nous assistons à une tendance plus générale de recrudescence de l’autoritarisme et de l’influence de l’extrême droite sur l’ensemble du continent, qui menace les principes de l’état de droit bien établis et les progrès durement acquis en matière de droits humains. »

La présidence polonaise exerce un pouvoir significatif dans les processus d’élaboration des lois, de nomination des juges et d’orientation du débat politique. Dans le contexte actuel, cela pourrait accentuer le clivage politique, faire barrage aux réformes indispensables et enraciner encore davantage le dysfonctionnement des institutions. Cette situation risque également de légitimer et d’amplifier les récits qui trouvent leurs racines dans le nativisme social et économique, la xénophobie et les programmes anti-droits.

Les droits et la santé en matière de sexualité et de reproduction sont aussi concernés, et risquent de faire l’objet de nouvelles restrictions. La Pologne possède l’un des régimes les plus stricts d’Europe en matière d’avortement. Celui-ci s’est durci après une décision du tribunal constitutionnel contrôlé par le PiS, qui en octobre 2020 a annulé l’un des trois motifs légaux d’avortement, mettant ainsi en danger la vie et la santé des femmes et des filles en Pologne. En 2024, quatre projets de loi visant à libéraliser l’avortement ont été adoptés en première lecture, ce qui laisse entrevoir une possible évolution. Pourtant, aucun de ces projets de loi n’a encore vu le jour à ce jour, ce qui montre les blocages qui persistent malgré la promesse du gouvernement actuel de rétablir les droits fondamentaux. Compte tenu de l’orientation politique de Karol Nawroci, toute tentative supplémentaire de réformer la loi en autorisant et en dépénalisant le recours à l’avortement risque de se heurter à des obstacles infranchissables.

La FIDH exprime sa totale solidarité avec la société civile polonaise, les défenseur·es des droits humains et l’ensemble des parties prenantes attachées à défendre la démocratie et l’état de droit en Pologne. Nous appelons le président élu Karol Nawrocki à respecter les obligations constitutionnelles et internationales de la Pologne, à mettre en œuvre les réformes attendues de longue date et à rompre avec la mainmise sur les institutions et la législation qui bafoue les droits fondamentaux.

« L’Union européenne et, plus largement la communauté internationale, doivent rester vigilantes », ajoute Elena Crespi. « Elles doivent être prêtes à se tenir aux côtés de celles et ceux qui défendent l’état de droit en Pologne et à répondre rapidement et avec détermination à toutes les tentatives de démantèlement des acquis de la démocratie ou de remise en cause des normes fondamentales communautaires et internationales ».

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