Pologne : le droit à l’avortement, grand absent de l’élection présidentielle

13/06/2025
Dossier
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Piotr Lapinski / NurPhoto / NurPhoto via AFP

Karol Nawrocki, le candidat soutenu par le parti conservateur Droit et Justice (PiS), a été élu Président de la Pologne dimanche 1er juin 2025. Alors que la législation polonaise en matière d’avortement est l’une des plus restrictive d’Europe, cette victoire soulève des inquiétudes sur l’avenir des droits à l’avortement.

13 juin 2025. Chaque année, des milliers de femmes quittent la Pologne pour mettre fin à leur grossesse. Celles qui ne peuvent pas le font dans des conditions dangereuses, au péril de leur vie. Cette réalité bien documentée a été officiellement reconnue dans un rapport de recherche publié en 2024 par le Comité des Nations unies pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes (acronyme en anglais Cedaw). Le rapport concluait que la criminalisation de l’assistance à l’avortement, conjuguée à la rareté des exceptions légales et à l’inaccessibilité fréquente aux services, empêchent la majorité des Polonaises d’exercer leur droit à un avortement sûr et légal.

Une législation parmi les plus restrictives d’Europe

Cette observation s’inscrit dans un contexte plus large de régression législative continue. Depuis 1993, l’accès à l’avortement est sévèrement restreint en Pologne. En 2020, un arrêt du Tribunal constitutionnel polonais, récemment réformé et récupéré politiquement, a abrogé l’exception rendant le recours à l’avortement légal en cas de grossesse non viable (malformation du fœtus), réduisant les motifs d’avortement légaux aux seuls cas où la vie ou la santé de la personne enceinte est menacée, ou lorsque la grossesse résulte d’un viol. Avant cette décision, les grossesses non viables représentaient près de 98 % du total des avortements pratiqués chaque année en Pologne. Depuis lors, le droit à l’avortement a été sévèrement restreint, notamment sous le gouvernement PiS, qui défend des positions conservatrices traditionnelles sur les questions sociales et familiales.

Ainsi, même lorsqu’il était autorisé par la loi, l’avortement a souvent été rendu inaccessible dans les faits. Même dans les rares cas où les conditions d’accès sont réunies, les médecins se montrent de plus en plus réticent·es à pratiquer des interruptions de grossesse, de peur d’être criminalisé·es, limitant fortement les situations dans lesquelles un avortement pourrait relever de la première exception encore considérée comme légale au titre de la législation révisée. Plusieurs femmes sont décédées des suites du refus du personnel médical de pratiquer un avortement.. Entre les décisions du Tribunal constitutionnel de 2020 et 2023, six femmes sont mortes en raison des restrictions imposées par la nouvelle législation sur l’accès à l’avortement. Bien que le droit polonais n’interdise pas à une femme de pratiquer un avortement par elle-même, l’assistance à l’avortement est interdite et passible de trois ans d’emprisonnement en vertu de l’article 152 du Code pénal.

Ce cadre répressif a conduit à la poursuite pénale et la condamnation de plusieurs défenseur·es ayant aidé des femmes à obtenir un avortement sûr. C’est le cas de Justyna Wydrzyńska, jugée et condamnée à huit mois de travaux d’intérêt général après avoir fourni des pilules abortives à une femme. En effet en 2020, Justyna Wydrzyńska, l’une des fondatrices de l’ONG Abortion Dream Team, a aidé une femme enceinte victime de violences domestiques à obtenir des médicaments pour un avortement. Elle a été accusée d’« avortement assisté » et de « possession de médicament sans autorisation de les commercialiser ». Le 13 février 2025, la Cour d’appel a annulé la décision et ordonné un nouveau procès devant un tribunal de première instance. Cette décision laisse espérer l’abandon des poursuites dans une affaire devenue emblématique sur la criminalisation de l’assistance en matière de droits reproductifs.

Dans ce contexte, la diffusion d’information sur les services d’avortement, qui demeure dépénalisée pour le moment, est l’un des derniers leviers juridiques à la disposition des femmes qui souhaitent interrompre leur grossesse. Mais ce droit aussi fait l’objet d’attaques répétées. Les mouvements anti-droits et anti-choix, qui ont pris de l’ampleur ces dernières années, encouragés par le programme ultra-conservateur porté par l’ancien gouvernement PiS et étroitement liés au mouvement anti-avortement mondial, poursuivent leur campagne contre les droits des femmes en réclamant de nouvelles restrictions à l’accès à ces informations essentielles.

En dépit de ces attaques, les femmes du pays continuent de se battre pour préserver ce droit, en témoigne l’ouverture en mars 2025 d’un centre d’avortement, en face du Parlement, qui dispense des informations sur les avortements à l’étranger, soutient celles et ceux qui décident de mener un avortement médicalisé par leurs propres moyens et la possibilité de faire un test de grossesse.

Un avenir incertain pour l’accès à l’avortement en Pologne

Suite aux élections parlementaires d’octobre 2023 qui ont mis fin à huit années de pouvoir du PiS et fait renaître l’espoir d’une restauration démocratique en Pologne, le nouveau Premier ministre, Donald Tusk, s’est engagé à réviser la législation afin de rendre l’accès à l’avortement gratuit, sûr et légal pour tout·es.

En 2024, pour la première fois depuis l’adoption de la Constitution polonaise, quatre projets de loi destinés à libéraliser l’avortement ont été adoptés en première lecture. Un projet de loi porté par la United Left (Gauche unie) visant à dépénaliser l’assistance à l’avortement a toutefois été rejeté le 12 juillet 2024 à trois voix près. Deux autres propositions de réforme, dont une déposée par la coalition libérale du Premier ministre Donald Tusk, dirigée par la Liberal Civic Platform, visent à porter à 12 semaines le délai légal pour avoir recours à l’avortement. Un autre texte déposé par la Third Way (Troisième voie), une alliance entre le parti conservateur Peasant Party et le Christian Democratic Movement (Mouvement démocrate-chrétien), propose de rétablir le « compromis » en vigueur entre 1993 et 2020. Ce « compromis » autorisait l’avortement en cas de danger pour la vie ou la santé de la femme, de malformation du fœtus, ou si la grossesse résultait de viol ou d’inceste. Toutefois à ce jour, aucune de ces propositions n’a abouti. Dans le cadre des élections présidentielles, les travaux législatifs ont été suspendus, la coalition craignant que leur poursuite n’influence le résultat du scrutin et la participation électorale. Après l’annonce des résultats, toute tentative de réforme visant à libéraliser davantage l’accès à l’avortement pourrait être bloquée par veto présidentiel, un moyen pour le parti d’opposition actuel, le PiS, de torpiller les initiatives du gouvernement visant à restaurer l’état de droit et les droits fondamentaux dans le pays.

Parallèlement aux débats parlementaires, une avancée notable a été enregistrée en 2024 avec la publication, par le ministère de la Santé, d’un règlement stipulant que les établissements de santé recevant des fonds publics pour dispenser des soins obstétriques et gynécologiques étaient obligés tenus de pratiquer des avortements dans les cas prévus par la loi. Les hôpitaux qui ne respectent pas cette obligation peuvent se voir infliger une amende pouvant aller jusqu’à 2 % de la valeur de leur contrat avec le Fonds national de santé (NFZ), l’organe qui finance la santé publique en Pologne. Dans les cas les plus graves, le NFZ peut même résilier son contrat avec l’hôpital.

Au début de l’année 2025, le gouvernement s’est félicité d’une augmentation du nombre d’avortements légaux, avec près de 750 cas enregistrés. Bien que les autorités polonaises continuent d’affirmer que l’avortement est désormais plus accessible dans les hôpitaux du pays, ces annonces méritent d’être nuancées. En réalité, de nombreuses femmes continuent de se heurter à la réticence récurrente de la part du personnel médical, à des conditions d’accueil parfois hostiles, voire à des mauvais traitements. Par ailleurs, les restrictions légales limitent toujours fortement le nombre d’avortements pratiqués dans les hôpitaux. Ce constat est confirmé par les chiffres de l’organisation Abortion Dream Team, qui, sur la même période, a aidé près de 47 000 femmes à avorter.

Dernièrement, en février 2024, le Parlement polonais a approuvé une loi libéralisant l’accès à la pilule du lendemain pour les femmes âgées de plus de 15 ans. Cependant, le Président conservateur polonais Andrzej Duda, membre du PiS et farouche opposant à l’avortement, y a opposé son veto,

Lastly, in February 2024, the Polish Parliament approved a law liberalizing access to the morning-after pill for women over the age of 15. However, Poland’s conservative president Andrzej Duda, a member of the PiS party and an outspoken anti-abortionist, vetoed it, invoquant « le respect des normes de protection de la santé des enfants  ». Le gouvernement a ensuite annoncé son intention de contourner le blocage en publiant un règlement autorisant les pharmacien·nes à délivrer la pilule du lendemain sur prescription médicale.

Suite à cette élection, la Fédération internationale pour les droits humains (FIDH) se préoccupe de ce qu’il adviendra des propositions de loi prévoyant la libéralisation du droit à l’avortement, qui sont en cours d’examen au regard de la position de Karol Nawroci et du recours potentiel au veto présidentiel.

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