Recommandations dans le domaine des droits humains au Kirghizistan

Présentée par le Mouvement de défense des droits humains « Bir Duino Kyrgyzstan »,
la Fondation publique Kylym Shamy,
et la Fondation publique « Clinique juridique Adilet ».

I. La nécessité de ratifier le Statut de Rome de la Cour pénale internationale

Après avoir longtemps adopté une attitude attentiste à l’égard du Statut de Rome de la Cour pénale internationale signé le 12 décembre 1998, le Kirghizistan a annoncé en janvier 2015 son refus de le ratifier. Cette décision a un fondement politique et non juridique [1].

En dépit de quelques tentatives de mettre la législation kirghize en conformité avec les normes internationales dans ce domaine, la réglementation juridique des crimes de guerre dans le Code pénal de la République du Kirghizistan continue à ce jour de comporter des lacunes importantes ;
L’établissement des responsabilités dans la commission de la plupart des crimes visés par le Statut de Rome est une obligation prise par la RK au regard du droit international, conformément aux autres instruments juridiques internationaux adoptés par notre État et conformément à la Constitution de la RK, qui autorise le recours dans l’application de la loi aux accords internationaux multilatéraux adoptés par le Kirghizistan – et avant tout aux accords relatifs à la protection des libertés et des droits humains, au droit humanitaire international et au droit pénal international ;
Cette ratification est indispensable pour un règlement global des questions de définition et de punition des crimes contre la paix et la sécurité au Kirghizistan ‑ ce qui est d’une grande actualité étant donné que justice n’a pas été rendue à la suite du conflit interethnique qui s’est produit dans le sud du Kirghizistan en juin 2010 ;
La ratification du Statut de Rome est une condition indispensable pour que la réforme du système judiciaire du Kirghizistan puisse se poursuivre de façon efficace.

II. La nécessité d’humaniser la législation pénale ayant trait aux personnes condamnées à la réclusion criminelle à perpétuité

L’abrogation de la peine de mort et son remplacement par la réclusion à perpétuité n’ont pas changé le caractère répressif de la pratique judiciaire. Les tribunaux prononcent des condamnations à perpétuité aussi catégoriquement qu’ils prononçaient auparavant des condamnations à mort, et le nombre de ces condamnations va croissant [2].
Au 1er février 2016, 302 personnes purgeaient une peine de réclusion à perpétuité au Kirghizistan. Ce nombre augmente d’année en année [3].
Les conditions de détention des personnes condamnées à la réclusion perpétuelle contreviennent aux Règles minima pour le traitement des détenus de l’ONU, aux Principes fondamentaux relatifs au traitement des détenus et à d’autres obligations internationales de la République du Kirghizistan.
Les détenus ne disposent pas d’un accès approprié aux ressources de base (conditions de détention dignes, alimentation correcte, soins médicaux, espace vital suffisant, installations sanitaires, programmes de réhabilitation sociale, etc.), à une justice équitable, à une aide juridique qualifiée, à l’information et à la communication avec le monde extérieur. En outre, la sécurité n’est pas assurée dans les lieux de privation de liberté – que ce soit pour le personnel pénitentiaire, pour les détenus ou pour les visiteurs [4].
Alors que les conditions de détention en prison sont inhumaines, la peine maximale pourrait être réduite à 20 ans de réclusion, ce qui représente une durée considérable pour un individu et correspond à un tiers de l’espérance de vie en République du Kirghizistan.

III. La situation des défenseurs des droits humains

On assiste depuis quelques années au Kirghizistan à une intensification de la persécution des organisations et des défenseurs des droits humains activement impliqués dans la protection des droits civiques et politiques des citoyens, des minorités ethniques, des croyants et des groupes LGBT.
Ces pressions et persécutions se déroulent sur fond de renforcement des sentiments nationalistes, d’apparition d’organisations de jeunesse radicales et d’augmentation de l’influence de la Russie du fait de l’adhésion du Kirghizistan à l’Union douanière et à l’Union économique eurasiatique. Le Parlement cherche à limiter les activités des organisations non gouvernementales en promouvant des projets de loi sur les « agents étrangers », la « propagande de l’homosexualité » ou encore l’interdiction des organisations non enregistrées.
Au cours des deux dernières années, le GKNB (Comité d’État à la sécurité nationale) a effectué des perquisitions dans les locaux d’au moins deux organisations de défense des droits humains. Leurs documents et leur équipement ont été confisqués et elles ont été accusées d’incitation à la haine ethnique et d’extrémisme. Le 27 mars 2015, le GKNB a mené des perquisitions illégales dans les bureaux de la filiale d’Och du Mouvement de défense des droits humains « Bir Duino Kyrgyzstan », ainsi que dans les logements des avocats Valerian Vakhitov et Khusanbay Saliev. Les avocats et les défenseurs des droits humains voient dans ces actions du GKNB des pressions directes exercées par les organes de la sécurité de l’État sur des avocats et des défenseurs indépendants afin de les empêcher de faire leur travail.
Depuis 2014, l’organisation Bir Duino, sa présidente Tolekan Ismaïlova et les membres de sa famille font l’objet d’une campagne de dénigrement continue menée par les médias pro-gouvernementaux et pro-russes.
Le 14 mai 2016, lors d’une cérémonie solennelle de remise aux mères de familles nombreuses de la décoration « Baatyr ene », tenue à l’occasion de la Fête des Mères, le président de la République du Kirghizistan A. Atambaev s’en est pris aux militantes des droits humains Tolékan Ismaïlova et Aziza Abdirasulova, les accusant d’« exécuter les ordres de leurs donateurs étrangers » et d’entretenir des liens avec des groupes d’opposition. Le 16 juin 2016 le tribunal de Pervomaisk arrondissement de Bishkek a rejeté la plainte déposée par Tolékan Ismailova et Aziza Abdirasulova contre le Président du Kirghizistan Almazbek Atambaïev pour l’insulte à leur honneur et leur dignité.

IV. La proposition de modification de la Constitution de la République du Kirghizistan

Le 29 juillet 2016, plusieurs députés du Zhogorku Kengesh (C. Tursunbekov, I. Omurkulov, O. Babanov, K. Isaev, B. Torobaev, A. Sulaymanov et d’autres) ont déposé un projet de loi intitulé « Tenue d’un référendum (au suffrage universel) sur la loi de la République du Kirghizistan relative à l’introduction d’amendements à la Constitution de la République du Kirghizistan ». Les amendements proposés sont de nature anti-démocratique et violent le principe de la séparation et de l’équilibre des pouvoirs, ce qui, à terme, conduira à l’usurpation du pouvoir et à la fin de l’indépendance de la justice. Ces amendements visent à proclamer que les valeurs suprêmes de l’État ne sont pas les droits et les libertés des citoyens, mais l’indépendance, la souveraineté étatique, les intérêts nationaux de la République du Kirghizistan et son intégrité territoriale. En outre, l’adoption de ces amendements pourrait entraîner d’autres conséquences négatives qui ne se feront jour qu’une fois les changements mis en œuvre. Il faut souligner tout particulièrement que les députés à l’initiative de ce projet de loi enfreignent le moratoire sur les amendements à la Constitution de la RK, en vigueur jusqu’en 2020.

V. La situation des droits des travailleurs migrants

Sur la période 1999-2015, il y a eu environ 500 000 mouvements migratoires à l’intérieur des frontières du Kirghizistan, soit quelque 30 à 40 000 par an.
Le problème principal auquel sont confrontés la plupart des migrants intérieurs est l’absence d’enregistrement officiel : de ce fait, ils éprouvent les plus grandes difficultés à accéder aux services de santé et d’éducation, à bénéficier des aides sociales, à percevoir leur retraite et à se faire embaucher dans la fonction publique.
Les enfants des migrants intérieurs sont l’une des catégories d’enfants les plus vulnérables. N’étant pas officiellement enregistrés dans la localité où ils résident de facto, ils n’ont pas accès aux services éducatifs, médicaux et sociaux garantis par l’État.
Officiellement, le nombre total de travailleurs migrants originaires de la République du Kirghizistan résidant en Fédération de Russie ou en République du Kazakhstan s’élève à environ 640 000 personnes [5]. Le nombre réel dépasse largement les statistiques publiées par les pays d’accueil : il serait en réalité d’environ 1 million de personnes.
Les femmes migrantes sont particulièrement exposées au risque de subir des violences à caractère sexuel ; et elles sont pratiquement privées de toute possibilité d’obtenir à temps une aide juridique qualifiée.
Les travailleurs migrants originaires du Kirghizistan sont hautement exposés au risque de l’esclavage de travail et de faire l’objet de la traite d’êtres humains.
L’adhésion du Kirghizistan à l’Union économique eurasiatique et à l’Union douanière n’a pas amélioré le statut juridique des migrants.

À l’attention du 39ème Congrès, Johannesburg, 23-27 août 2016

Plaidoyer pour la ratification par le Kirghizistan du Statut de Rome de la Cour pénale internationale pour faire juger les auteurs de la majorité des crimes visés par le Statut de Rome.

Plaidoyer pour l’humanisation de la législation pénale en République du Kirghizistan et examen de la possibilité de réduire à une durée fixe la peine du groupe vulnérable que forment les personnes condamnées à la réclusion criminelle à perpétuité, y compris celles condamnées à la suite des événements de juin 2010.

Mise en œuvre des Principes directeurs de l’ONU, de l’OSCE et de l’UE relatifs aux défenseurs des droits humains et de leurs familles afin de garantir la sécurité des défenseurs et d’élargir l’espace politique dans lequel évoluent les ONG.
Intensification des efforts de la société civile et des médias visant à s’opposer à l’adoption des amendements à la Constitution de la RK.

Simplifier le système d’obtention des passeports et le système d’enregistrement sur le lieu de résidence par le biais de l’incorporation dans chaque passeport de citoyen de la RK d’un coupon d’enregistrement.

Inciter les pays d’accueil à ratifier la Convention internationale sur la protection des droits des travailleurs migrants et des membres de leur famille et à incorporer ces normes internationales dans leur législation.

Créer dans la République du Kirghizistan un système destiné à préparer les migrants de travail, avant leur départ, à leur vie dans les pays d’accueil : informations sur les législations des pays d’accueil, les conditions d’embauche, le versement des retraites, l’assurance médicale, les soins de santé.

Promouvoir le développement des syndicats au Kirghizistan et dans les pays d’accueil.

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