À la suite des violences qui secouent le Kazakhstan depuis le 2 janvier, les sources officielles ont fait état de plus de 160 morts (cette information a depuis été annulée par le gouvernement) parmi les manifestant.e.s et les forces de l’ordre, et de près de 10 000 arrestations, bien que ces chiffres n’aient pas été vérifiés de manière indépendante.
Les organisations membres de la FIDH au Kazakhstan, le Bureau international kazakh pour les droits de l’homme (KIBHR) et l’Initiative juridique internationale (ILI,) ont documenté de nombreux cas d’usage excessif de la force par les forces de l’ordre et/ou les membres de l’OTSC, armés de gaz lacrymogènes, de grenades assourdissantes et d’armes à feu. De nombreux médias sociaux ont montré des images de tirs aveugles dans des foules de manifestant.e.s avec ce qui semble être des balles mortelles. Le 7 janvier, le président Tokaev a ordonné aux forces de l’ordre de "tirer pour tuer" les manifestant.e.s.
"L’ordre d’utiliser la force létale contre des manifestant.e.s non identifié.e.s constitue une violation du devoir des autorités de respecter le droit à la vie et les normes internationales régissant la conduite des assemblées publiques", a commenté Yevgeniy Zhovtis, directeur du Bureau international des droits de l’homme du Kazakhstan, organisation membre de la FIDH."
Les organisations membres de la FIDH ont par ailleurs fait état de blocages généralisés d’internet durant les premiers jours de la manifestation, en violation du droit à la liberté d’information. Les autorités ont également bloqué l’accès à certains médias en ligne et entravé le travail des journalistes, notamment en détenant arbitrairement ceux et celles qui couvraient les manifestations et en menaçant les médias indépendants de poursuites pénales, en violation des droits à la liberté d’expression. Les médias font état d’attaques contre les travailleurs des médias et les bureaux de rédaction. Cela a provoqué un vide d’information qui rend impossible la reconstitution d’une image objective de la répression des manifestations.
Kassym-Jomart Tokaïev a également accusé les militant.e.s, les médias étrangers et les défenseur.e.s des droits humains d’abuser de leurs droits à la liberté d’expression et de réunion prévus par une loi de 2020 sur le rassemblement pacifique. La manifestation contre les inégalités politiques et économiques a ensuite été déclarée "provocation terroriste" par les autorités kazakhes.
"Les autorités kazakhes souhaitent discréditer la manifestation, la présenter non pas comme une indignation populaire spontanée contre la pauvreté et les iniquités, mais comme une opération terroriste planifiée ou un Maïdan rejetant la responsabilité des victimes sur un ennemi extérieur, soutenu par les organisations de défense des droits humains."
La FIDH et ses organisations membres au Kazakhstan appellent les autorités kazakhes à révoquer l’ordre de "tirer pour tuer" les manifestant.e.s, à s’acquitter de leurs obligations de prévention et de respect du droit à la vie en faisant cesser les violences de part et d’autre, à mettre fin à la rhétorique incendiaire visant les défenseur.e.s des droits humains et plus largement la société civile, de mettre fin aux restrictions de l’accès à Internet et au travail des journalistes, et de faciliter une enquête indépendante sur les troubles de janvier 2022, sous les auspices de l’OSCE ou de l’ONU, afin d’identifier les auteurs et de les traduire en justice.
Contexte
Le 2 janvier, des manifestations ont éclaté dans la ville de Zhanaozen, dans l’ouest du Kazakhstan, en raison d’une augmentation annoncée du prix du gaz liquéfié. Les protestations se sont rapidement étendues à tout le pays, y compris à Almaty, la plus grande ville du Kazakhstan. Outre les revendications économiques, les manifestant.e.s ont demandé des réformes politiques, notamment l’élection directe des gouverneur.e.s régionaux, davantage de libertés civiques et le départ de l’ancien président Noursoultan Nazarbaïev, qui est resté la principale force politique du pays malgré sa démission en 2019.
Face à l’escalade des protestations pacifiques, le président du Kazakhstan, Kassym-Jomart Tokaïev, a plafonné les prix du gaz, destitué le gouvernement du Kazakhstan, ainsi que le chef du Conseil de sécurité - Nazarbayev, et instauré l’état d’urgence. Cependant, les manifestations pacifiques se sont poursuivies et le 5 janvier, la violence a éclaté à Almaty et dans d’autres villes : les médias ont diffusé des images d’affrontements entre les manifestant.e.s et la police, d’incendies criminels et de prises d’assaut de bâtiments administratifs, ainsi que de pillages massifs.
L’escalade a entraîné une réponse brutale des forces de l’ordre kazakhes et l’intervention étrangère de pays membres de l’Organisation du traité de sécurité collective (OTSC), dont la Russie et le Belarus, invités au Kazakhstan pour des motifs juridiques douteux.