L’avortement a été légalisé en Irlande avec l’introduction de la loi de 2018 sur la santé (réglementation de l’interruption de grossesse). Cette loi autorise l’interruption de grossesse sans restriction jusqu’à 12 semaines de gestation. Bien qu’il s’agisse d’une avancée significative pour les droits humains en Irlande et qu’elle ait été attendue depuis longtemps, la loi comporte plusieurs limites importantes.
La loi prévoit qu’un examen par le ministre doit avoir lieu trois ans après son entrée en vigueur. Cependant, cette révision a déjà été retardée et n’aura lieu que cette année. De plus, le gouvernement irlandais a déclaré à plusieurs reprises que la révision analysera le fonctionnement de la loi, ce qui, si il est défini de manière étroite, pourrait négliger toutes lespolitiques affectant l’accès aux services d’avortement. L’ICCL, ainsi que d’autres organisations de défense des droits humains et des mouvements de défense des droits des femmes, ont produit une soumission conjointe sur l’examen du fonctionnement de la loi, soulignant ses problèmes les plus importants et fournissant des recommandations pour les résoudre.
En outre, la situation de l’Irlande a été examinée par le Comité des droits de l’homme de l’ONU en juillet 2022 au regard du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. L’ICCL a soumis une alternative au rapport de l’Étatavec des commentaires spécifiques concernant la législation sur l’avortement, ce qui a conduit le Comité des droits de l’homme de l’ONU à faire des recommandations à l’État, telles que la suppression des sanctions pénales pour les prestataires de services médicaux, la révision des dispositions qui pourraient créer des obstacles à l’avortement et la prise des mesures nécessaires pour supprimer les obstacles existants.
Délais restrictifs et arbitraires
La limite restrictive de 12 semaines de gestation ne tient pas compte de la complexité des circonstances personnelles et des données médicales pertinentes. De nouvelles statistiques publiées par le gouvernement britannique en juin 2022 montrent que 775 résident·es irlandais·es ont été contraint·es de se rendre au Royaume-Uni pour accéder à l’avortement depuis l’introduction de la législation sur l’avortement en Irlande. La situation est particulièrement difficile pour les personnes marginalisées et les adolescent·es, qui sont confronté·es à l’obstacle supplémentaire du manque d’accès à l’information.
Par ailleurs, la loi prévoit que l’on peut accéder à l’avortement après 12 semaines pour cause d’anomalie fatale du fœtus. Toutefois, cette exception est assortie de conditions très restrictives : l’accès aux soins d’avortement n’est possible que si deux médecins estiment qu’il existe une condition susceptible d’entraîner la mort du fœtus avant ou dans les 28 jours suivant la naissance. Cette limite arbitraire a entraîné une augmentation significative du nombre de résident·es irlandais·es se rendant à l’étranger pour recevoir des soins d’avortement après avoir reçu un diagnostic d’anomalie fœtale qui ne répondait pas au critère des 28 jours.
Ces délais doivent être réexaminés, car ils privent de nombreuses personnes de l’accès aux soins liés à l’avortement en Irlande.
Inégalités d’accès et discrimination envers certains groupes
Il existe une période d’attente obligatoire de trois jours entre le premier rendez-vous pris par une personne cherchant à se avorter et l’avortement en lui-même. Malgré ce qu’affirme l’État dans sa réponse à la liste de questions du Comité des droits de l’homme des Nations unies, il s’agit d’un obstacle important pour de nombreuses personnes. Plus précisément, cette disposition est discriminatoire à l’égard de groupes tels que les personnes handicapées, les habitant·es des zones rurales et les personnes en difficulté financière, qui peuvent ne pas être en mesure de se déplacer deux fois jusqu’à l’établissement médical.
En effet, il existe d’importantes disparités régionales en matière de services d’avortement, car les dix hôpitaux fournissant des soins d’avortement ne sont pas uniformément répartis géographiquement dans le pays. Au contraire, ils sont concentrés dans les six plus grandes villes et deux autres comtés. De plus, la dernière étude disponible montre que 30% des personnes interrogées ont voyagé de quatre à six heures pour accéder à des établissements médicaux susceptibles de leur fournir des soins d’avortement. Cela crée des inégalités importantes dans l’accès à l’avortement, en particulier pour les migrant·es, les demandeur·es d’asile, les victimes de violences domestiques et les personnes vivant dans des zones rurales.
Le rapport de la Campagne pour le droit à l’avortement a également révélé la discrimination raciste à laquelle sont confrontés les migrant·es qui cherchent à obtenir des soins d’avortement, ainsi que l’obstacle financier auquel sont confronté·es les sans-papiers et les demandeuses et demandeurs d’asile, qui sont contraint·es de payer leur procédure puisqu’elles ou ils ne peuvent pas produire de numéro de sécurité sociale.
Criminalisation, objections de conscience et campagnes contre l’avortement
Cette répartition géographique inégale est due en partie aux mouvements anti-choix qui ont un impact disproportionné sur l’accès à l’avortement dans tout le pays. En effet, pour les médecins, la menace de manifestations est « potentiellement le plus grand obstacle dans les régions qui ne disposent pas encore de dispositions adéquates ». Un projet de loi présenté par le groupe militant Together for Safety soutenu par l’ICCL et prévoyant la création de zones d’accès sécurisé (en anglais Safe Access Zones), a été adopté par le Sénat en avril 2022, mais a été retardé pendant que le gouvernement préparait sa propre législation. Le projet de loi du gouvernementa été publié en août. Ces zones « limiteraient les activités qui peuvent être entreprises légalement à l’extérieur de locaux où des services d’avortement sont fournis » et, comme l’a déclaré l’ICCL, sont nécessaires pour créer un environnement sûr permettant aux femmes d’agir conformément à leurs décisions médicales.
Enfin, un autre problème majeur de la législation irlandaise sur l’avortement est la criminalisation des praticien·nes qui reste en place lorsque l’avortement est pratiqué en dehors du délai légal. La criminalisation et la crainte de poursuites judiciaires ont un effet dissuasif sur les professionnel·les de santé et « sapent le jugement clinique et l’expertise professionnelle ». Il est donc essentiel que l’avortement soit totalement dépénalisé.
En outre, près d’une personne enceinte sur cinq cherchant à avorter s’est vu refuser des soins et une orientation vers un·e autre médecin en raison de la clause d’objection de conscience. Ce refus de soins fondé sur la conscience doit être réglementé par des dispositions prévoyant une réorientation obligatoire et rapide dans les situations où les services ne sont pas fournis.
Ce bref aperçu des problèmes liés à la législation irlandaise sur l’avortement montre que des questions importantes demeurent dans la pratique, même après la légalisation. Les États devraient toujours chercher à améliorer l’accès à l’avortement, conformément aux obligations qui leur incombent en vertu du droit international des droits humains.
Lire le dossier de la FIDH sur le droit à l’avortement dans le monde en 2022.