1 - Quels sont les faits à l’origine de l’affaire ?
2 - Quelle a été la décision de la Cour d’appel sur la question des immunités fonctionnelles en matière de crimes internationaux ?
3 - Quelle est l’autre affaire examinée par l’Assemblée plénière de la Cour de cassation le même jour ?
4 - Que recouvrent les immunités fonctionnelles et personnelles ?
5 - Quelles seront les questions examinées par la Cour de cassation le 4 juillet 2025 ?
6 - Pourquoi la Cour de cassation française examinera-t-elle cette question dans sa plus haute formation (Assemblée plénière) ?
7 - Quel impact la décision de la Cour de cassation sur les immunités fonctionnelles pourrait-elle avoir sur d’autres affaires en cours ?
8 - La Cour de cassation est-elle la première juridiction nationale européenne à se pencher sur la question des immunités fonctionnelles ?
9 - Est-ce la première fois que la Cour de cassation se penche sur la question des immunités ?
10 - Quelle est la position des juridictions françaises (hors Cour de cassation) sur la question des immunités fonctionnelles ?
11 - Comment assister à l’audience ?
1 - Quels sont les faits à l’origine de l’affaire ?
Adib Mayaleh (André Mayard) est un citoyen franco-syrien et l’ancien Gouverneur de la Banque centrale syrienne entre 2005 et juillet 2016, date à laquelle il a quitté son poste pour devenir le ministre syrien de l’Économie (poste qu’il a occupé jusqu’en avril 2017).
Le 8 décembre 2016, les autorités françaises ont ouvert une enquête préliminaire à l’encontre d’Adib Mayaleh pour son rôle présumé dans le soutien économique et financier apporté au régime syrien dans le cadre de ses fonctions de Gouverneur de la Banque centrale syrienne, entité sous sanctions de l’Union européenne depuis 2011.
Le 5 décembre 2017, une information judiciaire a été ouverte à son encontre et un juge d’instruction a été désigné. Plusieurs actes d’enquête ont été réalisés.
Le 16 décembre 2022, Adib Mayaleh a été arrêté sur le sol français, à son arrivée à l’aéroport.
Le 20 décembre 2022, il a été mis en examen par les juges d’instruction du Pôle crimes contre l’humanité du Tribunal judiciaire de Paris des chefs de complicité de crimes contre l’humanité et de crimes de guerre, blanchiment du produit des crimes contre l’humanité et des crimes de guerre, et participation à un groupement formé en vue de la préparation de crimes contre l’humanité. Il a été placé sous contrôle judiciaire.
Le 20 juin 2023, Adib Mayaleh a fait appel de sa mise en accusation et a demandé l’annulation de celle-ci en soulevant l’immunité fonctionnelle dont il estimait devoir bénéficier.
Le 26 janvier 2024, la Fédération internationale pour les droits humains (FIDH) et son organisation membre syrienne, le Centre syrien pour les médias et la liberté d’expression, se sont constitués parties civiles dans l’affaire.
NB : Adib Mayaleh a été placé sous le statut de témoin assisté en mai 2024.
2 - Quelle a été la décision de la Cour d’appel sur la question des immunités fonctionnelles en matière de crimes internationaux ?
Le 5 juin 2024, la Chambre de l’instruction de la Cour d’appel de Paris a suivi l’argumentaire mis en avant par les parties civiles et a estimé que les « crimes internationaux ne sauraient être couverts par le principe d’immunité et permettre une impunité à ses auteurs ».
La Cour a reconnu l’engagement de la communauté internationale dans la répression des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité et son implication dans la lutte contre l’impunité de ces crimes. Elle a par ailleurs reconnu l’évolution de la pratique des États en matière d’immunité pour les crimes internationaux.
Elle s’est également référée aux travaux récents de la Commission du droit international sur la question des immunités fonctionnelles et à ses conclusions sur l’inapplicabilité de ces immunités dans le cas de crimes internationaux.
La Cour a donc estimé qu’Adib Mayaleh ne pouvait invoquer l’immunité fonctionnelle dans cette affaire.
La défense s’est pourvue en cassation. L’audience se tiendra le 4 juillet 2025.
3 - Quelle est l’autre affaire examinée par l’Assemblée plénière de la Cour de cassation le même jour ?
Le 4 juillet 2025, la Cour de cassation examinera également une autre affaire qui soulève des questions fondamentales en matière d’immunités : l’affaire des Attaques à l’arme chimique relative à deux attaques chimiques perpétrées les 5 et 21 août 2013 dans la région de la Ghouta orientale (Syrie) par le régime syrien de Bachar al-Assad.
Dans cette affaire, une information judiciaire a été ouverte devant le Pôle crimes contre l’humanité du Tribunal judiciaire de Paris à la suite d’une plainte déposée par une victime franco-syrienne aux côtés de plusieurs associations.
Le 13 novembre 2023, les juges d’instruction saisies de ce dossier ont émis des mandats d’arrêt à l’encontre de quatre hauts responsables syriens, dont le Président alors en exercice, Bachar al-Assad.
Cependant, le 23 décembre 2023, le Parquet national antiterroriste (Pnat) a invoqué la nullité du mandat d’arrêt délivré à l’encontre du chef de l’État alors en fonction, Bachar al-Assad, au motif que ce dernier bénéficiait d’une immunité personnelle, et a saisi la Chambre de l’instruction de la Cour d’appel de Paris.
Le 26 juin 2024, la Cour d’appel de Paris a confirmé le mandat d’arrêt émis à l’encontre de Bachar el-Assad. Elle a reconnu plusieurs limites à l’immunité personnelle en raison à la fois de la nature des infractions sur lesquelles porte l’enquête (crimes contre l’humanité et crimes de guerre) et du comportement du chef d’État (de l’époque) en l’espèce.
En outre, la Cour a rappelé que la communauté internationale faisait prévaloir les valeurs d’humanité sur l’immunité personnelle, qui ne peut être synonyme d’impunité, et a rappelé qu’en l’espèce, le Conseil de sécurité des Nations unies avait demandé que les responsables des attaques chimiques soient poursuivis, sans jamais mentionner d’immunité susceptible d’empêcher de telles poursuites.
Le Procureur général a formé un pourvoi en cassation contre cette décision.
Les deux affaires, relatives respectivement aux immunités fonctionnelle et personnelle, seront examinées conjointement.
4 - Que recouvrent les immunités fonctionnelles et personnelles ?
L’immunité fonctionnelle est généralement conférée à un agent de l’État pour les actes accomplis dans l’exercice de ses fonctions et qui relèvent de la souveraineté de l’État concerné. Les actes accomplis à titre privé et les simples actes de gestion sont donc exclus du champ de cette immunité.
L’immunité personnelle est généralement accordée au chef d’État, au chef de gouvernement et au ministre des Affaires étrangères pendant la durée de leur mandat. Elle couvre tous les actes accomplis au cours de cette période, y compris ceux accomplis à titre privé.
Ni l’immunité fonctionnelle ni l’immunité personnelle ne sont régies par le droit français ou par des conventions internationales. Elles résultent du droit international coutumier, c’est-à-dire de règles qui constituent une pratique générale acceptée comme étant le droit par les États.
5 - Quelles seront les questions examinées par la Cour de cassation le 4 juillet 2025 ?
Le 4 juillet 2025, l’Assemblée plénière de la Cour de cassation examinera plusieurs questions juridiques :
Sur l’immunité fonctionnelle :
– L’immunité fonctionnelle peut-elle être écartée lorsque les crimes poursuivis constituent des crimes contre l’humanité ou des crimes de guerre ?
Sur l’immunité personnelle :
– L’absence de reconnaissance du statut de chef d’État par l’État à l’origine des poursuites peut-elle avoir des conséquences sur l’immunité personnelle ?
– Cette immunité peut-elle être levée lorsque les actes allégués constituent des crimes contre l’humanité ou des crimes de guerre ?
– La Cour doit-elle examiner l’immunité personnelle alléguée de Bachar al-Assad au moment de l’émission du mandat d’arrêt à son encontre ou au moment de l’audience (étant donné la chute de son régime depuis lors) ?
Si la Cour de cassation estime que Bachar al-Assad ne peut bénéficier d’une immunité personnelle, elle devra alors déterminer si celui-ci bénéficiait d’une immunité fonctionnelle malgré les accusations de crimes internationaux à son encontre.
6 - Pourquoi la Cour de cassation française examinera-t-elle cette question dans sa plus haute formation (Assemblée plénière) ?
L’Assemblée plénière est la plus haute et la plus solennelle formation de jugement de la Cour de cassation. Elle est composée de 19 juges :
– le·la premier·e président·e de la Cour de cassation
– six président·es de chambre de la Cour de cassation
– six doyen·nes des chambres de la Cour de cassation
– un·e conseiller·e par chambre de la Cour de cassation
La Cour de cassation siège en Assemblée plénière lorsque la question à laquelle elle doit répondre est d’une complexité ou d’une importance particulière.
L’affaire Adib Mayaleh et l’affaire des Attaques à l’arme chimique soulèvent des questions extrêmement importantes en matière de poursuite des crimes internationaux. C’est pourquoi la Cour de cassation a décidé d’examiner ces deux affaires conjointement en Assemblée plénière.
7 - Quel impact la décision de la Cour de cassation sur les immunités fonctionnelles pourrait-elle avoir sur d’autres affaires en cours ?
S’agissant des immunités fonctionnelles, si la Cour de cassation ne reprend pas la position de la Chambre de l’instruction de la Cour d’Appel dans l’affaire Adib Mayaleh, et estime que les immunités fonctionnelles s’appliquent même en présence de crimes internationaux, cela pourrait avoir un impact sur un grand nombre de procédures ouvertes devant le Pôle crimes contre l’humanité du Tribunal judiciaire de Paris.
En effet, de nombreuses personnes visées par ces procédures et accusées de crimes internationaux ont agi dans le cadre de leurs fonctions étatiques, qu’il s’agisse de soldat·es de bas rang ou de hauts fonctionnaires.
Ainsi, si la Cour de cassation retenait que tous les individus agissant dans le cadre de leurs fonctions bénéficient d’une immunité contre des poursuites, sans égard aux crimes internationaux commis, ces procédures seraient compromises.
8 - La Cour de cassation est-elle la première juridiction nationale européenne à se pencher sur la question des immunités fonctionnelles ?
Entre autres, en juillet 2022, la justice suédoise a déclaré Hamid Nouri, un ancien haut fonctionnaire iranien, coupable de crimes de guerre, écartant ainsi le bénéfice d’une éventuelle immunité à son profit.
Le 13 janvier 2022, le tribunal allemand de Coblenz a déclaré Anwar Raslan, ancien haut responsable des services de renseignements généraux syriens, coupable de crimes contre l’humanité et de torture, et l’a condamné à la réclusion criminelle à perpétuité, sans retenir l’existence d’une immunité fonctionnelle dont il pourrait bénéficier, malgré la haute fonction occupée par Anwar Raslan à l’époque.
Le 28 août 2023, le Tribunal pénal fédéral suisse a mis en accusation Khaled Nezzar, ancien ministre algérien de la Défense, pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité, estimant qu’il ne pouvait bénéficier de l’immunité fonctionnelle compte tenu de la nature des crimes qui lui étaient reprochés. Khaled Nezzar est décédé avant son procès.
Le 15 mai 2024, le Tribunal fédéral suisse de Bellizona a reconnu Ousman Sonko, ancien ministre de l’Intérieur gambien, coupable de crimes contre l’humanité et l’a condamné à 20 ans de prison.
9 - Est-ce la première fois que la Cour de cassation se penche sur la question des immunités ?
La Cour de cassation s’est déjà penchée à plusieurs reprises sur la question des immunités, sans jamais en écarter l’application.
Ainsi, le 16 octobre 2018, la Cour de cassation a rendu une décision dans une affaire relative à des accusations de pollution et de mise en danger de la vie d’autrui à l’encontre de hauts responsables sénégalais, à la suite du naufrage du Joola en 1999. La Cour a estimé que les personnes accusées d’avoir commis de tels actes étaient couvertes par l’immunité car elles agissaient dans le cadre de leurs fonctions étatiques et que leurs actes relevaient de la souveraineté de l’État sénégalais.
Le 13 janvier 2021, dans une autre affaire concernant des actes de torture perpétrés dans la prison militaire américaine de Guantanamo Bay, la Cour suprême a adopté la même position.
Malgré ces décisions, la Cour de cassation a toujours reconnu qu’il existait des exceptions aux immunités et que ces exceptions devaient être déterminées par la communauté internationale.
Ainsi, à la lumière des récents travaux de la Commission du droit international sur la question des immunités fonctionnelles et des récents développements jurisprudentiels dans plusieurs États concernant les immunités fonctionnelles en présence de crimes internationaux, la Cour de cassation française pourrait très bien faire évoluer sa position et reconnaître que les immunités fonctionnelles ne peuvent plus protéger les individus contre des poursuites pour crimes internationaux.
10 - Quelle est la position des juridictions françaises (hors Cour de cassation) sur la question des immunités fonctionnelles ?
Outre la Chambre d’instruction de la Cour d’appel de Paris dans l’affaire Adib Mayaleh, plusieurs autres juridictions françaises ont déjà rendu des décisions relatives aux immunités fonctionnelles.
Le 24 mai 2024, la Cour d’assises de Paris a déclaré Ali Mamlouk, Jamil Hassan et Abdel Salam Mahmoud, trois hauts responsables syriens, coupables par défaut de complicité de crimes contre l’humanité et de crimes de guerre. La Cour a exclu l’application des immunités fonctionnelles dans cette affaire.
Par ailleurs, au total, les juges d’instruction du Pôle crimes contre l’humanité du Tribunal judiciaire de Paris ont délivré 13 mandats d’arrêt à l’encontre de hauts responsables syriens, écartant l’application de l’immunité fonctionnelle dans ces affaires au regard des charges de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité retenues à l’encontre des accusés.
11 - Comment assister à l’audience ?
Pour assister à l’audience sur place, il est nécessaire de s’inscrire par le biais de ce lien. Il est recommandé d’arriver 45 minutes à l’avance à l’entrée publique au 8 boulevard du palais, 75001 Paris.
Pour une participation en ligne, l’inscription à la retransmission en direct peut être effectuée en cliquant sur ce lien.