Une « première » au pays des droits de l’homme : Une femme et deux enfants tchétchènes expulsés vers Moscou !!!!

13/10/2003
Communiqué

Mme T.* et ses deux enfants âgés de 6 et 7 ans, sont arrivés à Roissy Charles de Gaulle le jeudi 2 octobre 2003 en provenance de Moscou, à bord d’un avion à destination de Tunis faisant escale à Paris. A son arrivée à l’aéroport de Roissy, Mme T., a demandé l’asile politique. Elle a été conduite en zone d’attente (ZAPI 3) où elle a été retenue avec ses enfants et où elle a eu un entretien avec un représentant du ministère des Affaires étrangères. Elle lui a expliqué les motifs de sa demande : la nuit du 15 septembre 2002, des hommes en uniforme, le visage masqué par une cagoule, ont fait irruption au domicile de son beau-père à Grozny où elle se trouvait avec son mari. Son mari et son beau-père ont alors été enlevés par ces hommes et comme elle a tenté de s’y opposer, elle a été frappée. Son beau-père a ensuite été retrouvé mort et son mari n’a plus jamais reparu. Elle a entrepris des recherches pour retrouver son mari en s’adressant aux autorités militaires russes et elle a reçu une lettre anonyme dans laquelle ses enfants et elle-même étaient menacés de mort si elle continuait ses recherches.

Le mardi 7 octobre 2003, il leur a été notifié un refus d’admission sur le territoire français au motif que leur demande d’asile était « manifestement infondée ». Le représentant du ministère des Affaires étrangères a notamment considéré que les déclarations de Mme T. étaient « dénuées de précision notamment quant à l’identité des hommes qui auraient enlevé ses proches et à celle de la personne qui lui aurait envoyé la lettre de menaces ». Il a aussi émis des doutes sur les circonstances de son voyage de Grozny à Moscou, alors qu’elle avait déclaré avoir pris un train pour Moscou depuis Grozny. Or, une telle ligne directe fonctionne effectivement, avec les horaires qu’elle a indiqué, et ce depuis le 9 novembre 2002.

L’avocate de Mme T., Maître Nathalie Vitel, a déposé un référé-liberté contre cette décision. Il était déjà trop tard, puisque jeudi 9, Mme T. était emmenée de force, menottée, malgré ses protestations et la présence de deux petits enfants, vers l’avion de 9h25 à destination de Moscou. Il semble que le pilote ait tenté d’entrer en contact avec elle, mais en ait été empêché par des policiers. Les policiers français ont utilisé la violence et l’ont frappé.

Il est à noter que les policiers avaient déjà tenté de faire embarquer Mme T. le mercredi 8, malgré les dispositions légales imposant le respect du délai d’un jour franc avant tout rapatriement d’un étranger contre son gré. Mme T. a alors indiqué aux policiers qu’elle contestait la décision qui avait été prise à son encontre et que son avocate devait déposer un référé. Ils l’ont néanmoins forcé à embarquer le lendemain matin, avant que son référé ne puisse être examiné.

Vendredi 10 octobre, le Tribunal administratif de Cergy-Pontoise a jugé irrecevable la requête de l’intéressée, la considérant sans objet puisque la mesure avait déjà été exécutée.

Les autorités françaises sont-elles ignorantes des risques qu’elles font peser sur Mme T. et à ses enfants ?

En Tchétchénie, ainsi que la FIDH le rappelait à la veille de l’élection du 5 octobre, le nombre de crimes commis contre la population civile est en augmentation, notamment les enlèvements et les disparitions forcées, les opérations ciblées prenant un caractère systématique et ostensiblement punitif. Ces opérations visent de plus en plus les femmes lesquelles sont victimes de tortures, de viols et d’assassinats. Les militaires russes et les collaborateurs des services secrets prennent maintenant pour cible non seulement les personnes soupçonnées de sympathie envers les groupements armés tchétchènes ou occupant une position civile active, mais aussi tous les membres de leurs familles. Mme T. court d’autant plus de risque aujourd’hui, si les militaires viennent à savoir qu’elle a tenté de quitter la Russie pour se réfugier en France : les exactions commises font de plus en plus souvent suite à des dénonciations. De même, certaines des personnes ayant déposé des plaintes auprès de la Cour Européenne des Droits de l’homme ont été l’objet de représailles engagées contre elles et les membres de leur famille.

Par ailleurs, sur l’ensemble du territoire russe et particulièrement dans les grandes villes comme Moscou, les Tchétchènes sont régulièrement l’objet de contrôles, d’arrestations, de détentions illégales et de mauvais traitements. Toutes les organisations des droits de l’homme, russes et internationales, ont régulièrement insisté sur le fait que les Tchétchènes ne pouvaient pas se considérer en sécurité sur le territoire de la Fédération de Russie.

En tout état de cause, cette demande ne peut être tenue pour manifestement infondée et il appartient aux organismes compétents de juger du fond de son dossier. Dans ces conditions, comment voudrait-on notamment que puisse être établi avec certitude l’identité des hommes qui ont enlevé le mari de Mme T. Toutes les enquêtes, rapports convergent depuis maintenant près de 4 ans pour expliquer que les violations des droits de l’homme commises à l’encontre de la population civile en Tchétchénie sont un véritable système qui organise à l’avance l’impunité des militaires russes (visages masqués, plaques d’immatriculation maquillées etc...).

Cette décision constitue donc un précédent extrêmement grave, d’autant qu’il s’inscrit dans un contexte préoccupant à plusieurs titres :

Le premier ministre français s’est rendu à Moscou et a réaffirmé la qualité des relations bilatérales, et ce au lendemain de « l’élection » de M. Kadyrov à la présidence de la Tchétchénie, élection dénoncée comme une mascarade par toutes les organisations de droits de l’homme et que l’OSCE et le Conseil de l’Europe de l’Europe ont refusé de cautionner.

En France, au moment même où est discutée au parlement la nouvelle législation sur l’immigration, des menaces de plus en plus graves pèsent sur le droit d’asile. A plusieurs reprises ces derniers mois, des demandeurs d’asile tchétchènes ayant transité par la Jordanie avait été sous le coup d’une notification similaire, mais la décision avait été contestée par le juge administratif et les requérants admis à présenter leur demande sur le territoire français. La décision d’expulsion VERS LA RUSSIE prise hier signifie que l’arbitraire administratif n’épargne plus les ressortissants tchétchènes, à qui l’OFPRA et la commission de recours des réfugiés a jusqu’alors accordé l’asile politique assez massivement. Or, comment peut-on considérer a priori les demandes de ressortissants tchétchènes comme « manifestement infondées » alors même que l’on sait qu’elles auraient toutes les chances de déboucher sur l’obtention du statut de réfugié si ces demandes étaient examinées (selon la procédure normale) par l’OFPRA. Il n’est pas acceptable que sous prétexte de contrôle des flux migratoires le ministère de l’Intérieur s’arroge le droit d’empêcher des demandeurs d’asile de parvenir jusqu’à l’OFPRA.

Par ailleurs, le fait de refuser d’examiner une requête contre une mesure au seul motif que celle-ci a déjà été exécutée est particulièrement inquiétant car il encourage les policiers à expulser dans les plus brefs délais, avant que les intéressés (retenus en zone d’attente sous surveillance policière et dépourvus de tout soutien juridique) ne parviennent à déposer un référé devant le tribunal. Les décisions les plus absurdes, les mesures les plus arbitraires seraient ainsi validées du fait même qu’elles auraient été exécutées !?! D’autant que la décision concernée ne cesse pas d’agir avec son exécution, car au cas où l’intéressée se représenterait demain à la frontière, la décision prise permettrait de lui refuser à nouveau l’entrée sur le territoire.

Nous demandons aux pouvoirs publics de prendre toutes mesures utiles aux fins de voir Mme T. rapatriée en France, et notamment en délivrant à Mme T. un visa d’entrée sur le territoire français au titre de l’asile qui serait tenu à disposition des autorités consulaires de France à Moscou, afin qu’elle puisse entamer au plus vite les démarches en vue de l’acquisition de la qualité de réfugié auprès de l’OFPRA.

COMITE TCHETCHENIE
FIDH
ANAFE (organisation regroupant apsr, amnesty international section française, association des juristes pour la reconnaissance des droits fondamentaux des immigrés, avocats pour la défense des droits des étrangers, cimade, comède, fasti, fgte-cfdt, fédération des syndicats de travailleurs du rail solidaires, unitaires et démocratiques, forum réfugiés, france terre d’asile, gas, gisti, ldh, migrations santé, mrap, syndicat des avocats de france, syndicat de la magistrature, syndicat cfdt des personnels assurant un service air-france, syndicat cfdt des personnels assurant un service aéroport de paris, syndicat des pilotes de l’aviation civile).

Contacts :
COMITÉ TCHÉTCHÉNIE de Paris : Daniel Mihailovic, Tél. : 06-70-80-58-85
refugie.tchetchenie@laposte.net
Anne Le Huérou 06 16 72 73 74 anne.le-huerou@laposte.net
FIDH : Contact presse, Gaël Grilhot, Tél : 01-43-55-25-18 ggrilhot@fidh.org
ANAFE, Tél : 01-43-67-27-52
Gérard Sadik, Tél : 01-40-08-17-20

note : * pour des raisons tenant à sa sécurité, puisqu’elle a été expulsée et se trouve à la merci des autorités russes, nous préférons ne pas diffuser son nom.

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