Une Couverture maladie de moins en moins « universelle »

La Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme (FIDH),
en collaboration avec la Ligue française des droits de l’Homme (LDH), affiliée à la FIDH, et le
Groupe d’information et de soutien aux travailleurs immigrés (GISTI), a introduit lundi 3 mars
2003 devant le Comité européen des droits sociaux une « réclamation » contre la France.

Nos organisations considèrent en effet que les réformes récentes de l’ « Aide médicale de
l’Etat » (AME) et de la « Couverture maladie universelle » (CMU) contreviennent à plusieurs
obligations internationales de la France au terme de la Charte sociale européenne révisée,
ratifiée par celle-ci le 7 mai 1999.
La Charte sociale européenne est le pendant de la Convention européenne des droits de
l’Homme dans le domaine des droits économiques et sociaux. Elle garantit 31 droits différents
relatifs aux conditions de travail, à la protection des sans-emploi, et à la protection sociale
universelle pour tous.
La réclamation de la FIDH a été déposée en vertu d’un Protocole additionnel à la Charte
permettant aux ONG et syndicats habilités de déposer une Plainte ("réclamation ") contre un
Etat Partie1.
Cette réclamation démontre que l’article 57 de la loi de finances rectificative pour 2002 du 31
décembre 2002 contrevient à l’article 13 de la Charte qui prévoit que « toute personne démunie
de ressources suffisantes a droit à l’assistance sociale et médicale », à l’article 17 qui dispose
que « les enfants et les adolescents ont droit à une protection sociale, juridique et économiques
appropriée » ainsi qu’à l’article E qui interdit aux Etats de pratiquer une quelconque
discrimination dans l’application des droits sus mentionnés.
 L’introduction d’un ticket modérateur dans le cadre de l’aide médicale
La réforme de l’Aide Médicale d’Etat prévoit d’imposer le paiement du ticket modérateur et du
forfait hospitalier aux bénéficiaires de cette prestation, c’est à dire aux étrangers en situation
irrégulière et aux ressortissants français résidant habituellement hors du territoire français.
Opposés à des patients disposant de très faibles ressources, le ticket modérateur et le forfait
hospitalier équivaudront à de véritables « tickets d’exclusion » pour ceux qui ont des difficultés
financières. Avoir à assumer financièrement, en tout ou en partie, une consultation et les
prescriptions afférentes peut suffire à dissuader de recourir aux soins.
C’est d’ailleurs la raison pour laquelle le mécanisme de la couverture maladie universelle
prévoit que les personnes gagnant moins de 542 euros (3600 F) par mois ne paient pas le
ticket modérateur et le forfait hospitalier : 4 millions de personnes sont actuellement sous
plafond de ressources, et bénéficient de cette dispense.
1. Depuis l’entrée en vigueur de ce Protocole le 1er juillet 1998, 12 réclamations ont été déposées. La FIDH a été
l’une des premières ONG à se prévaloir de ce mécanisme, en déposant une réclamation contre la Grèce en février
2000, pour non respect de l’article 2.1 (interdiction du travail forcé).
 La restriction des droits pour les mineurs
Les ayants droit mineurs à la charge d’étrangers démunis de titre de séjour et les mineurs isolés
se sont vu, fin 2001, reconnaître le droit à la CMU de base. Ainsi, ils accédaient à une prise en
charge pour l’ensemble des soins qu’ils nécessitaient (absence du "panier de soins" opposable
dans le cadre de l’AME).
C’était là une véritable avancée de la législation française, correspondant à la mise en
conformité du droit français avec les dispositions de la Convention internationale des droits de
l’enfant. A contre courant de cette logique, la loi de finances rectificative pour 2002 exclut de la
CMU les mineurs à la charge d’étrangers démunis de titre de séjour et les mineurs isolés et les
renvoie vers l’AME.
Sur la base de ces analyses, les réformes de la CMU et de l’AME contreviennent aux
articles 13, 17, E de la Charte sociale européenne révisée.
Quant à l’argument de protection de la santé publique qui peut, seul, autoriser une restriction
des droits protégés par la Charte (article G), la FIDH, la LDH et le GISTI rappellent que les
restrictions doivent être « nécessaires pour protéger […] la santé publique ».
Or, le nouvel article L.251-2 du code de l’action sociale et des familles va précisément à
l’encontre de cet objectif en introduisant un coût susceptible de dissuader les plus démunis de
se soigner. Et ne pas recourir , ou tardivement, aux soins est en totale contradiction avec une
politique de prévention, pilier fondamental d’une logique de santé publique.
De même, en limitant l’accès aux soins des mineurs à l’AME, restreinte à un "panier de soins" et
sans couverture complémentaire, la réforme, plutôt que d’encourager un comportement
sanitaire préventif auprès des jeunes populations, contredit l’objectif de santé publique.
La France ne peut donc se prévaloir de l’article G de la Charte pour justifier ces
réformes.
Il appartient désormais au Comité européen des droits sociaux de se prononcer sur la
recevabilité de la réclamation et de rédiger un rapport à destination du Comité des Ministres qui
pourra émettre une recommandation à l’adresse de la France, en lui demandant de prendre des
mesures pour remédier à cette situation.
Pour consulter l’intégralité du texte de la réclamation :
http://www.fidh.org/communiq/2003/fr0503f.pdf

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