« La France, terre d’Asile pour les auteurs des crimes les plus graves »

En subordonnant toutefois la compétence des autorités judiciaires françaises
pour juger un criminel de guerre, à la résidence habituelle de ce dernier en
France, le Sénat a tout simplement vidé la notion de compétence universelle de
sa substance.

La France renonce ainsi à assumer des obligations en matière de justice
pénale internationale en dépit des pétitions de principe du Président de la
République et des promesses électorales du candidat Nicolas Sarkozy.

Outre les difficultés juridiques qui ne manqueront pas de surgir quant au
périmètre de la résidence habituelle, cette condition de la résidence
habituelle opère une distinction incompréhensible et infondée entre les crimes
les plus graves rentrant dans le statut de la Cour Pénale Internationale (soit
crimes de guerre, crimes contre l’humanité et génocide) et d’autres crimes
ayant un caractère international et dont la poursuite par les autorités
judiciaires française est d’ores et déjà possible.

Il en est ainsi des crimes de torture et de terrorisme et les crimes entrant
dans le périmètre des statut des Tribunaux Pénaux Internationaux pour l’ex
Yougoslavie et le Rwanda dont la poursuite est possible en France et n’est
subordonnée qu’à la condition que leur auteur se trouve en France et nullement
qu’il y réside habituellement.

C’est en vain que Robert BADINTER a fait appel, lors des
débats au Sénat, à la conscience internationale qui doit être mobilisée face
aux crimes les plus graves qui choquent la conscience de l’humanité.

En l’état du texte adopté par le sénat, la répression des crimes de guerre,
crimes contre l’humanité et génocide sera donc à géométrie variable selon le
lieu où ils sont commis.

Est-ce cela, vraiment, une “avancée majeure” du droit pénal international et
de la protection des victimes ainsi que l’a affirmé un sénateur lors des
débats ?

De même, exclure que les parties civiles puissent mettre en mouvement
l’action publique, (comme notre code de procédure pénale le prévoit pourtant
pour toutes les autres infractions) et laisser ainsi l’initiative des
poursuites au seul parquet n’est pas a priori rassurant quant à l’existence
même de poursuites dans certaines hypothèses. Faut-il rappeler que si les
autorités judiciaires françaises ont aujourd’hui à connaître des affaires dite
“des disparus du Beach” (Congo Brazzaville), MUNYESHAKA et BUCYIBARUTA
(Rwanda), ce n’est certainement pas à l’initiative du Ministère public mais
d’une poignée d’organisations non gouvernementales et de personnes physiques
motivées et déterminées, parties civiles.

En réalité, les débats publics ont démontré une parfaite méconnaissance par
certains de nos Sénateurs ainsi que Madame la Garde des Sceaux, du
fonctionnement, des objectifs et des moyens de la Cour Pénale
Internationale.

Comme chacun le sait, la Cour Pénale Internationale n’a pas les moyens de
juger tous les criminels de guerre en activité. Rappelons qu’à ce jour, quatre
enquêtes ont été ouvertes, 12 mandats d’arrêt ont été rendus publics et quatre
personnes ont été arrêtées.

La Cour Pénale Internationale n’a, surtout, pas le mandat ni l’ambition de
juger tous les criminels de guerre. Son fonctionnement est fondé sur la
complémentarité avec les Etats ayant ratifié son statut. C’est l’un des
principes cardinaux de son action. Son Procureur, Luis Moreno OCAMPO rappelait
en 2003 que “sa stratégie, qui consiste à
concentrer les efforts sur ceux qui ont la plus grande responsabilité dans les
crimes en cause, pourrait créer une sorte d’espace d’impunité, à moins que les
autorités nationales, la communauté internationale et la Cour n’allient leurs
forces de travail pour garantir que tous les moyens nécessaires sont mis en
oeuvre pour traduire en justice les autres auteurs de crimes.”

Loin de limiter cet espace d’impunité, la France est sur le point de
l’élargir de manière définitive.

Il est, enfin, question d’incohérence dans la politique gouvernementale, dès
lors que notre territoire national est en passe de devenir un sanctuaire pour
les auteurs des crimes les plus révoltants !

En effet, au moment où le Ministre des Affaires Etrangères proposait la
création de pôles d’instruction spécialisés pour juger les présumés auteurs de
crimes de génocide, crime contre l’humanité et crimes de guerre commis au
Rwanda, la Ministre de la Justice et Garde des Sceaux défendait au Sénat
l’adoption de l’ amendement litigieux vidant de sa substance le principe de
compétence universelle et le confinant à un simple vœu pieux.

Comment également concilier la position de Madame le Garde des Sceaux avec
la toute récente proposition de la Commission GUINCHARD de créer un pôle
« crimes contre l’humanité, génocide » à Paris !

La France se prépare ainsi tout simplement à offrir l’impunité aux criminels
qui se sont rendus coupables des crimes les plus graves.

Pourquoi un tel renoncement au regard de son histoire ? Pourquoi un tel
manque de courage politique et judiciaire alors que la France se singularise
déjà en abritant sur son sol des fortunes colossales (actifs immobiliers
notamment) construites sur le pillage d’économies de pays du Tiers Monde au
bénéfice de certains de leurs dirigeants corrompus.

Ce nouveau signal négatif adressé par le Sénat est une invitation lancée par
la France pour accueillir des « vacanciers » d’un genre
nouveau : tant que vous ne « résiderez pas habituellement » chez
nous, Messieurs les criminels de guerre, contre l’humanité ou génocidaires, …
vous pourrez vaquer tranquillement et en toute impunité à vos occupations
 !!

Catherine GAMBETTE et Emmanuel DAOUD,
Avocats au Barreau de Paris et membres du Groupe d’Action
Judiciaire
de la FIDH.

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