Tarnac ou l’antiterrorisme à grand spectacle

04/02/2009
Communiqué

Plus de deux mois après l’opération à grand spectacle menée par la
police dite "antiterroriste" sur le plateau de Millevaches, que reste-t-il du
battage orchestré par les autorités gouvernementales ?

On avait annoncé le démantèlement d’un dangereux réseau de terroristes de
l’ultragauche, baptisés "anarcho-autonomes", dont les actes de sabotage
mettaient en danger des milliers de vies. Des centaines de policiers avaient
investi, à l’aube du 11 novembre, le paisible village de Tarnac en Corrèze,
pour y arrêter un groupe de jeunes gens qui, on l’a appris peu à peu au gré de
fuites distillées, avaient pour premier tort de ne pas bien penser et de ne pas
vivre comme tout le monde : lisant des livres jugés subversifs, menant une
vie qualifiée par le parquet de "dissolue", n’ayant pas - circonstance
aggravante - de téléphone portable, et donc plus difficiles à écouter à leur
insu, ces dangereux révoltés ont été présentés comme les auteurs de
dégradations récurrentes du réseau de caténaires alimentant les trains en
électricité. Ils étaient, en réalité, si "clandestins" qu’ils géraient
l’épicerie du village et étaient appréciés de tout le voisinage...

Au nom de lois d’exception qui depuis vingt-trois ans sacrifient le respect
de l’Etat de droit à la gesticulation antiterroriste, on a mené une sorte
d’opération de commando militaire ; on a violé la présomption d’innocence
et le secret de l’instruction en ne communiquant à la presse que des éléments à
charge et souvent déformés, dont certains, de surcroît, n’étaient même pas
communiqués aux avocats des personnes interpellées ; on a qualifié d’actes
terroristes des actes qui, s’ils ont retardé des trains et causé un préjudice à
la SNCF, n’ont menacé la vie de personne. On a soumis ces jeunes gens à une
garde à vue de 96 heures, on les a mis au secret et traités comme des détenus à
très haut risque.

Heureusement, la justice a peu à peu contribué à décrédibiliser la
dramatisation politico-policière. Au bout de quelques semaines, du réseau
terrifiant annoncé (déjà réduit à cinq mises en examen), il n’est resté qu’une
personne en détention provisoire. Yldune Lévy, malgré l’acharnement d’un
parquet tenu de près, a été à son tour libérée. Mais Julien Coupat, présenté
comme le "chef" de ces "anarchos-autonomes" (au nom d’une conception assez
hiérarchisée de l’anarchie...) reste derrière les barreaux, sans doute pour
tenter de masquer l’inanité de la thèse ministérielle initiale. Ce qui ne
relève en rien des motifs de recours à la détention provisoire tels que les
énonce le code de procédure pénale.

Plus les jours passent, et plus cette affaire évoque, non pas la lutte,
évidemment nécessaire, contre le terrorisme, mais la volonté de faire admettre
une extension insoutenable du champ de cette notion. Le "terrorisme" ne peut se
définir sérieusement que comme le fait de chercher à terroriser les populations
civiles par des actes de violence dirigés contre les personnes. Si les
dégradations des caténaires doivent sans aucun doute faire l’objet de
poursuites, rien ne justifie une assimilation qui étend potentiellement à
l’infini le champ de lois d’exception déjà détestables dans leur principe. Et
ni un mode de vie atypique ni des opinions minoritaires ne font de ces jeunes
gens des délinquants.

La mise en scène de Tarnac n’est que l’aboutissement d’une stratégie de
communication définie dans une circulaire ministérielle de juin 2008 lançant la
chasse aux fantomatiques "anarchos-autonomes". Comment expliquer autrement la
communication illégale et très sélective à des journalistes de pièces du
dossier classées "secret défense", ainsi que l’argument sidérant selon lequel
la participation à une manifestation parfaitement légale à Vichy contre la
politique de l’immigration constituerait un indice de culpabilité de l’une des
personnes arrêtées ?

On voit comment une procédure d’exception, mise au service de postures
politiciennes, débouche sur la violation de principes fondamentaux de l’Etat de
droit : la disproportion évidente entre les moyens mis en oeuvre et la
situation réelle sur le terrain reflète la distorsion délibérée de la
qualification d’acte terroriste ; la méconnaissance des limitations
légales du recours à la détention provisoire ne sert qu’à tenter de justifier
la dramatisation initiale de la présentation ministérielle de l’opération.

La violation massive de la présomption d’innocence ne vise de même qu’à
persuader l’opinion de l’importance et de la gravité prétendues de l’affaire.
Justice et politique ne font pas bon ménage ; lois d’exception et respect
des droits non plus. Les habitants de Tarnac et des alentours en ont fait une
expérience qu’ils ne sont pas près d’oublier. Tôt ou tard, la gestion
invraisemblable de cette affaire politico-judiciaire devra revenir au
traitement raisonnable de ses proportions réelles. Le plus tôt, non seulement
pour Julien Coupat et pour les autres personnes visées, mais aussi pour nos
libertés à tous, sera le mieux.

Anne-Cécile Antoni, présidente de l’Action des chrétiens
pour l’abolition de la torture (ACAT) ; Martine Billard,
députée de Paris ; Jean-Louis Borie, président du
Syndicat des avocats de France ; Nicole Borvo Cohen-Seat,
sénatrice de Paris ; Bernadette Bourzai, sénatrice de
Corrèze ; Patrick Braouezec, député de
Seine-Saint-Denis ; Daniel Cohn-Bendit, député
européen ; Jean-Pierre Dubois, président de la Ligue des
droits de l’homme ; Cécile Duflot, secrétaire nationale
des Verts ; Noël Mamère, député de Gironde ;
Emmanuelle Perreux, présidente du Syndicat de la
magistrature ; Jack Ralite, sénateur de
Seine-Saint-Denis ; Martine Roure, députée européenne,
vice-présidente du Parlement européen.

Ce point de vue a été publié dans les colonnes du Monde daté du 03 février
2009__ Pour plus d’informations sur ce dossier : http://www.ldh-france.org

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