Bouygues : un Turkmenbachi en béton...

17/04/2009
Communiqué

Aucune organisation intergouvernementale ou non gouvernementale n’est
autorisée à entrer au Turkménistan. Parallèlement les très rares défenseurs des
droits de l’Homme et journalistes indépendants turkmènes sont empêchés de
quitter le pays, ou soumis à des contrôles minutieux quant aux motifs de leur
sortie du territoire. Tous ceux qui osent critiquer le régime ou exercer leur
liberté d’expression subissent régulièrement des pressions psychologiques, des
menaces, sont exposés à des arrestations arbitraires, ou à des interrogatoires
illégaux. Si quelques libérations ont eu lieu en 2008, de nombreux prisonniers
politiques restent détenus arbitrairement et subiraient mauvais traitements et
torture dans le secret le plus total. Tous les médias officiels - dont le
Président nomme les dirigeants - sont étroitement contrôlés et censurés, et la
libre diffusion des journaux étrangers est interdite. L’accès à l’internet est
strictement contrôlé. L’unique syndicat national existant, hérité de l’Union
soviétique, est intégralement contrôlé et dirigé par l’État. Les principaux
instruments de protection des droits de l’Homme qui protègent tant les droits
civils et politiques que les droits économiques et sociaux pourtant ratifiés
par le Turkménistan y sont largement bafoués.

Le Turkménistan est un pays riche en ressources, notamment en gaz naturel.
Il est cependant difficile de savoir dans quelle mesure cette richesse
bénéficie à la population : au delà de quelques produits aux prix très
bas, les observateurs témoignent d’un système social sinistré (santé,
éducation, retraites). Les statistiques publiques sont invérifiables et jugées
peu fiables par les observateurs internationaux, l’index de perception de la
corruption établi par Transparency international, qui place le Turkménistan
166ème sur 180, nous donne cependant une indication du type de système
économique en place.

Chantiers en cours

C’est dans ce contexte - qu’il ne saurait ignorer - qu’opère le second
groupe de BTP au monde, Bouygues construction. Bouygues Turkménistan a réalisé
depuis une quinzaine d’années plusieurs constructions d’ampleur pour le compte
du gouvernement turkmène, parmi lesquelles le stade olympique, le palais
présidentiel, le parlement et la plus grande mosquée d’Asie à Kipchak,
constructions qui marquent par leur gigantisme. Dix chantiers sont en cours,
représentant un portefeuille d’activité de 850 millions d’Euros.

Le principe selon lequel les entreprises doivent respecter les droits de
l’Homme ne fait plus débat, en atteste l’acceptation par les entreprises du
cadre défini par le Représentant spécial du Secrétaire général de l’ONU, M.
John Ruggie, sur entreprises et droits de l’Homme.

La presse turkmène a fait état en mars dernier d’un présent remis par des
représentants de Bouygues au Président Berdymoukhammedov : une voiture de sport
d’une valeur de plusieurs dizaines de milliers d’euros D’après la presse
locale, la voiture aurait été remise après la présentation au Président des
nouveaux projets de Bouygues au Turkménistan parmi lesquelles la construction
d’un circuit de sport automobile. La remise d’un tel « cadeau » dans
un pays rongé par la pauvreté, et les inégalités sociales nous interpelle, un
tel acte commis dans d’autres pays équivaudrait à de la corruption. Cet
événement pose surtout la question de l’attitude des entreprises
transnationales pour conquérir des marchés dans des pays fermés, violateurs des
droits de l’Homme. Des situations qui nous semblent en contradiction avec les
principes éthiques affichés par ces mêmes entreprises, ainsi qu’avec les normes
internationales notamment en matière de lutte contre la corruption. Nous
espérons que les dirigeants de ces entreprises sauront nous convaincre qu’il
n’en est rien.

__Souhayr Belhassen

Présidente de la Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme
(FIDH)__

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