Le Comité européen des droits sociaux conclut à la violation des droits des Gens du voyage par la Belgique

Réclamation collective de la Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme (FIDH) contre la Belgique

La FIDH et la Ligue belge des droits de l’Homme (LDH), se félicitent de la décision adoptée par le Comité européen des droits sociaux le 21 mars 2012, constatant la violation, dans le chef des « Gens du voyage », de plusieurs droits protégés par la Charte sociale européenne. La décision fait suite à la réclamation collective déposée par la FIDH contre la Belgique le 30 septembre 2010, dénonçant le non-respect, par la Belgique, du droit des Gens du voyage à vivre en caravane, selon leurs traditions, entraînant une violation de leurs droits relatifs au logement.

Le Comité conclut à la violation du droit des familles à une protection sociale, juridique et économique, y compris en matière de logement (art. 16), du droit à la protection contre la pauvreté et l’exclusion sociale (art. 30) et du droit à la non-discrimination (art. E).

La décision du Comité précise les obligations incombant aux Etats pour garantir l’accès des Gens du voyage au logement dans le respect de leur mode de vie traditionnel. Elle apporte ainsi une contribution importante aux débats sur la situation d’une minorité trop souvent confrontée à des traitements discriminatoires et souffrant de stigmatisation et d’exclusion sociale.

Rappel des faits

On entend par « Gens du voyage » en Belgique des populations de culture ou d’origine Rom (ou Tsiganes), ainsi que certaines communautés qui ne sont pas d’origine Rom (appelées aussi « Voyageurs »), qui ont toutes en commun de vivre, par tradition, en caravane. Leur nombre en Belgique oscillerait, d’après les estimations des associations de terrain, entre 5.000 et 10.000 personnes. A ceux-là, s’ajoutent 3.000 à 5.000 personnes qui traversent le pays pendant les mois d’été, en provenance des pays avoisinants (tels que la France, les Pays-Bas, ou le Royaume-Uni).

En raison du manque de prise en compte de l’habitat mobile dans le droit et les politiques en vigueur, les Gens du voyage rencontrent d’extrêmes difficultés à se loger : dans l’ensemble du pays, le nombre de terrains où il leur est permis de résider ou séjourner en caravane est extrêmement réduit. D’un côté, lorsqu’ils louent ou achètent un terrain privé, le permis de bâtir nécessaire pour y placer une caravane leur est rarement accordé. De l’autre, les terrains caravaniers publics créés par les autorités restent en nombre largement insuffisants. Cette situation, combinée à la multiplication des interdictions réglementaires de stationner, aboutit à pénaliser le mode de vie des Gens du voyage et à les maintenir dans une grande précarité, tant matérielle que juridique, les exposant à des expulsions fréquentes.

Par ailleurs, aucun indicateur ni aucune étude commanditée par les autorités belges n’évalue les besoins de cette population en termes de protection sociale, économique et juridique.

La décision du Comité

Sur le plan des principes, le Comité :

 Confirme que la caravane doit être considérée comme un logement au regard de la Charte.

 Rappelle que l’obligation des Etats de proposer une offre suffisante de logements aux familles se traduit, dans le cas des Gens du voyage, par l’obligation positive d’assurer qu’un nombre adéquat de terrains de séjour leur soient accessibles pour y stationner leurs caravanes.

 Considère que la spécificité des familles de Gens du voyage en matière de logement est leur mode de vie en caravane et que cette situation exige un traitement différencié et des mesures adaptées pour améliorer leurs conditions de logement.

 Affirme que l’Etat doit tenir compte, dans sa législation urbanistique et ses décisions individuelles, du cas spécifique des familles de Gens du voyage, de façon à leur permettre le plus possible de vivre selon leurs traditions, dans le respect de leur identité culturelle et dans un juste équilibre avec l’intérêt général.

 Rappelle que les Etats doivent garantir aux personnes menacées d’expulsion de leur logement une protection juridique, laquelle doit notamment comporter une interdiction de procéder à des expulsions la nuit ou l’hiver, des voies de recours judiciaire et l’obligation de proposer des solutions de relogement.

 Rappelle que le droit à la protection contre l’exclusion sociale exige des Etats qu’ils adoptent une approche globale et coordonnée, prennent en compte le caractère pluridimensionnel des phénomènes de pauvreté et prennent des mesures ciblées à l’intention des groupes vulnérables.

Analysant la situation des Gens du voyage en Belgique au regard de ces principes, le Comité :

 Constate que la caravane n’est pas reconnue juridiquement comme un « logement » dans une partie du pays (Région wallonne) tandis que dans les deux autres régions (Région flamande et Région bruxelloise), cette reconnaissance ne s’est pas accompagnée d’une adaptation des critères qualitatifs du logement (salubrité, sécurité, habitabilité), de sorte que la grande majorité des caravanes pourraient être déclarées inhabitables.

 Pour ce qui est des terrains publics créés par les autorités belge, il relève l’inadéquation manifeste entre le nombre de familles de Gens du voyage en Belgique (environ 1.000 à 1.500 familles en Région wallonne, 80 en Région bruxelloise et 900 en Région flamande) et le nombre de terrains publics disponibles (aucun terrain résidentiel, 1 terrain de séjour temporaire et un petit nombre de terrains ad hoc en Région wallonne ; 1 terrain résidentiel de 6 places et 1 terrain de séjour temporaire de 21 places dans la Région bruxelloise ; 29 terrains résidentiels de 469 emplacements et 5 terrains de séjour temporaire de 78 emplacements en Région flamande). Or, l’action de l’Etat pour remédier à cette situation est insuffisante.

 Pour ce qui est des terrains privés, achetés ou loués par des Gens du voyage, il constate que le nombre de permis urbanistiques accordés par les communes à des familles de Gens du voyage est particulièrement bas : dans l’ensemble du pays, seules deux familles ont pu obtenir un tel permis pour placer une caravane sur leur terrain. Plus généralement, les spécificités des Gens du voyage sont insuffisamment prises en compte dans les législations urbanistiques et dans leur mise en œuvre.

 La protection juridique des Gens du voyage menacés d’expulsion est insuffisante : ils peuvent faire l’objet d’expulsions à tout moment de l’année, y compris l’hiver et la nuit, sans que des offres de relogement appropriées soient proposées aux familles expulsées.

 En matière de lutte contre l’exclusion sociale, les Gens du voyage, en tant que groupe vulnérable, ne font pas suffisamment l’objet d’une politique globale et coordonnée propre à combattre la pauvreté et l’exclusion sociale dont ils souffrent.

Au vu de ces différents constats, le Comité conclut à la violation de l’article E de la Charte, qui interdit la discrimination dans la jouissance des droits reconnus dans la Charte, combinée avec l’article 16 protégeant le droit de la famille à une protection sociale, juridique et économique, lequel passe notamment par l’accès à des « logements adaptés aux besoins des familles », et l’article 30 garantissant le droit à la protection contre la pauvreté et l’exclusion sociale.

De même, le Comité rappelle que l’Etat belge doit veiller à ce que les obligations issues de la Charte soient respectées par les Régions et les Communautés.

Pour plus d’informations sur l’objet du recours introduit par la FIDH, voyez http://www.fidh.org/La-FIDH-introduit-un-recours et http://www.liguedh.be/les-documents-des-commissions-thematiques/1456-synthese-griefs-invoques-pour-violation-du-droit-au-logement-des-gens-du-voyage]. Pour plus d’informations sur la décision du Comité, voyez http://www.coe.int/t/dghl/monitoring/socialcharter/Complaints/Complaints_fr.asp, et cliquez sur Réclamation Collective n° 62/2010, Fédération Internationale des Droits de l’Homme (FIDH) c. Belgique.

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