Élection présidentielle au Bélarus : entretien avec Ales Bialiatski

06/10/2015
Communiqué
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L’élection présidentielle au Bélarus aura lieu dimanche 11 octobre 2015. Les dernières élections de 2010 avaient été marquées par une violente répression des manifestants qui contestaient le résultat des élections.

A cette occasion, la FIDH s’est entretenue à Minsk avec Ales Bialiatski, vice-président de la FIDH et président de Viasna, ONG qui a été dissoute par les autorités bélarusses en 2003 pour avoir observé les élections présidentielles de 2001.

Ales Bialiatski a été arrêté quelques mois après les élections de 2010 et a été emprisonné pendant trois ans pour ses activités de défense des droits humains. Il a été libéré le 21 juin 2014.

Quelle est actuellement la situation des droits humains au Bélarus ?

La situation des droits humains au Bélarus s’est légèrement améliorée avant les élections. Six prisonniers politiques ont été libérés, il y a près d’un mois, et il n’y a plus aujourd’hui de prisonniers politiques au Bélarus. Néanmoins, il est trop tôt pour crier victoire.

De nouvelles affaires à caractère politique ont été engagées contre cinq personnes et sont actuellement en cours. Il est très important de pouvoir mettre fin à ces poursuites. L’absence de prisonnier politique ne serait sinon que passagère.

Etant donné que la société civile se dynamise et devient plus en plus active, il est fort probable que de nouvelles arrestations aient lieu après les élections. Le système répressif est resté le même et la politique du régime n’a pas changé. Je ne crois donc pas que cette période de répit va durer très longtemps.

Qu’en est-il de la liberté d’association ?

Sur le fond, la situation sur la liberté d’association demeure inchangée. Les autorités refusent toujours d’enregistrer certaines organisations « non-conformistes » et elles surveillent de très près toutes les tentatives d’enregistrement d’associations ou de nouveaux partis politiques.

Pour s’en rendre compte, il suffit de comparer le nombre de ces enregistrements pour mille personnes chez nous et chez nos voisins en Ukraine, en Moldavie, ou bien encore en Pologne. Au Bélarus, ce chiffre est dix fois inférieur. Cela indique clairement que les autorités freinent le processus de l’enregistrement des organisations et plus généralement la structuration de la société civile et sa reconnaissance officielle.

Et des libertés de rassemblement et d’information ?

Il en est de même pour la liberté de réunion pacifique. Dans certaines régions il est interdit d’organiser des piquets de grève et des manifestations depuis 15 ans. Ainsi, dans la région (oblast) de Grodno, où vit un million de personnes, aucun événement n’a été autorisé ces 15 dernières années. Au Bélarus, quand on autorise une manifestation, et cela n’arrive que très rarement, elle a lieu dans un endroit désert, sans passage. Mais généralement ces rassemblements ne sont tout simplement pas autorisés. Après les dernières manifestations qui ont eu lieu à Minsk pendant les élections et dont le but principal était de créer un débat autour des élections, les organisateurs ont fait l’objet de procès devant les tribunaux administratifs.

En ce qui concerne la liberté d’information, la situation n’a pas changé et reste difficile. Les autorités refusent d’enregistrer les journalistes qui travaillent pour des médias étrangers. Ainsi, ils reçoivent des amendes dès qu’ils mènent des activités journalistiques. La télé et la radio sont aussi intégralement contrôlées par l’État et ne montrent que les informations qui profitent à Loukachenko et au régime bélarusse. Depuis peu, et après quelques changements dans la législation, internet a été assimilé aux médias traditionnels. Cette loi donne au ministère de l’information tous les dispositifs pour bloquer n’importe quel site à tout moment.

La campagne électorale se déroule-t-elle dans le respect des normes internationales ?

Nous observons la campagne électorale depuis plus de deux mois. Et on peut dire qu’elle se déroule selon les anciennes règles, ce qui signifie que les élections seront très probablement truquées. Déjà à ce stade, elles ne respectent pas les normes internationales. Les violations les plus graves concernent la constitution des commissions électorales où presque aucun représentant d’organisations publiques indépendantes ou de partis politiques d’opposition n’a été autorisé. C’est le cas à Minsk par exemple, alors qu’il y a 600 commissions électorales avec plus de 6 000 membres. Cela indique clairement que le décompte des votes ne sera pas transparent. Il est donc difficile de croire que ces élections puissent être plus transparentes et plus démocratiques que les précédentes.

Ces dernières semaines, la question de lever les mesures restrictives de l’UE contre le Bélarus est débattue. Quelle est votre analyse ?

Il serait encore prématuré de parler de lever les sanctions imposées contre le Bélarus. La législation répressive n’a pas changé et des violations ont toujours lieu. La libération des prisonniers politiques n’est qu’une petite concession accordée par le régime. Il est très important de faire tout le nécessaire pour continuer à élargir l’espace de liberté et l’espace démocratique. Les sanctions jouent un rôle important de levier. Elles contraignent les autorités à réduire les répressions sur la société bélarusse et à maîtriser leurs pulsions autoritaires. Les sanctions doivent jouer un rôle dissuasif et il faut continuer de les utiliser comme outils de pression politique sur les autorités bélarusses, qui ne sont pas encore prêtes à procéder à de vastes réformes démocratiques dans le pays. Il faut œuvrer pour mettre ces réformes en place, pour élargir l’espace de liberté et faire baisser le niveau de peur dans notre société.

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