Le lauréat du prix Nobel de la paix, Ales Bialiatski, le vice-président de la FIDH, Valiantsin Stefanovic et l’avocat Uladzimir Labkovich sont injustement placés en détention provisoire depuis plus de 18 mois. Les trois hommes sont sous le coup de fausses accusations de trafic et de financement d’actions visant à troubler l’ordre public. Leur procès a commencé au tribunal de Minsk au Belarus le 5 janvier 2023 et le verdict est attendu le 3 mars 2023.
« La situation au Belarus a toujours été catastrophique pour les droits humains. Depuis des années, la FIDH collabore avec Viasna pour rendre publiques les persécutions politiques et attirer l’attention sur les lois draconiennes. La procédure engagée à l’encontre des responsables de Viasna montre que même ces lois ne fonctionnent pas au Belarus », explique Alice Mogwe, présidente de la FIDH.
« À tous les niveaux, des autorités d’enquête au système judiciaire, les représentants de l’État appliquent le mot d’ordre politique de placer Ales Bialiatski et ses collègues derrière les barreaux pour avoir simplement mené leurs activités de défense des droits humains »
La FIDH renouvelle son appel à libérer les défenseurs des droits humains. Cependant, tout semble indiquer que le verdict sera sévère. Après les manifestations pacifiques massives contre la fraude électorale en août 2020, une répression brutale a continué à détériorer la situation des droits humains au Belarus. Au cours des deux années qui ont suivi ces événements, les autorités ont détruit toute opposition politique et la société civile. La répression a frappé très violemment les organisations de défense des droits humains. Plus de 275 ONG de défense des droits humains ont fermé au Belarus, ce qui ne laisse aucune entité de défense des droits humains exercer légalement dans le pays. Le gouvernement a réintroduit la responsabilité pénale des personnes impliquées dans des organisations non enregistrées et jeté en prison des dizaines de défenseur·es des droits humains, dont six activistes de Viasna.
Malheureusement, le cas d’Ales Bialiatski, Valiantsin Stefanovich et Uladzimir Labkovich est représentatif de nombreuses autres poursuites bâties sur de fausses preuves et illustre les défaillances de la justice au Belarus. Dans cette publication, la FIDH explique pourquoi les accusations à l’encontre d’Ales Bialiatski, Valiantsin Stefanovich et Uladzimir Labkovich sont des simulacres.
1. 16 mois d’enquête conduite dans le quasi-secret
L’enquête a duré 16 mois depuis l’arrestation et a été prolongée pour maintenir la pression aussi longtemps que possible sur les détenus afin de les contraindre à reconnaitre leur culpabilité. Pendant tout ce temps, les détenus ont été privés de toute visite de leur famille, de tout contact avec leurs avocats, et les soins médicaux étaient réduits au strict minimum.
Les autorités ont tenté de clore hermétiquement l’enquête et ont obligé les avocat·es, les proches et les témoins à signer un formulaire de non-divulgation. La communauté de défense des droits humains n’a obtenu presque aucune information sur l’état de santé des détenus ni sur le contenu de l’accusation et a dû rassembler tous ces détails comme les pièces d’un puzzle.
2. Plusieurs nouvelles accusations déposées quatre mois avant le procès
Pendant plus d’un an, depuis le 14 juillet 2021, Ales Bialiatski, Valiantsin Stefanovich et Uladzimir Labkovich étaient détenus au motif d’« évasion fiscale ». Le dossier d’accusation est le résultat de 120 fouilles et perquisitions à travers le pays et l’interrogation d’une centaine de témoins. Incapable de donner corps à la première version de l’accusation, l’enquête a changé le chef d’accusation d’« évasion fiscale » en septembre 2022. Les trois hommes sont désormais sous le coup d’accusation de trafic et de financement d’actions visant à troubler l’ordre public. De plus, la majorité du dossier pénal contient 284 volumes de 300 pages relatives au premier chef d’accusation.
3. L’association Viasna est littéralement accusée d’aider des centaines de personnes
Le procureur a lu le réquisitoire pendant deux heures. Les prévenus sont accusés d’avoir reçu des sommes importantes sur leurs comptes étrangers et de les avoir utilisées à des fins criminelles : aider les détenus après les manifestations, payer les honoraires d’avocat·es, organiser le contrôle indépendant de l’élection et poursuivre les activités de Viasna après sa liquidation. Il a également lu une longue liste de noms des personnes que Viasna a aidées.
En d’autres mots, le ministère public accuse les activistes des droits humains de mener leurs activités de défense des droits humains. Selon la logique aberrante des autorités du Belarus, toutes les activités de défense des droits humains qui ont fait la réputation de Viasna, et pour lesquelles Ales Bialiatski a reçu le prix Nobel de la paix sont illégales et répréhensibles.
4. En 2014, le Comité des droits de l’homme des Nations unies a jugé arbitraire une accusation similaire
En 2011, des activistes étaient en prison pour une accusation identique à celle portée contre d’Ales Bialiatski. Ces accusations avaient déjà été jugées arbitraires par le Conseil des droits de l’homme des Nations unies en 2014. À l’époque, Valiantsin Stefanovic déclarait : « Cette décision du Comité des droits de l’homme fondée sur le droit international reconnait la légitimité des activités de Viasna et réhabilite pleinement Ales Bialiatski. »
Selon le Comité, le Belarus a enfreint le droit à la liberté d’association en rejetant la demande d’enregistrement de l’association Viasna en 2003. Le refus d’enregistrer Viasna a rendu ses activités illégales au Belarus et empêché ses membres de jouir de leurs droits. Le Comité avait alors confirmé que la condamnation d’Ales Bialiatski pour des actions liées à la réception et aux dépenses de fonds pour mener les activités de Viasna était une conséquence directe de la violation de la liberté d’association.
5. Au tribunal, les trois hommes ont été traités comme des criminels
Les trois accusés étaient menottés derrière des barreaux dans la salle d’audience. De telles mesures ne s’appliquent pas même à des personnes accusées de meurtre au Belarus. Le tribunal a rejeté la requête des détenus de ne pas apparaitre menottés. Ce niveau de cruauté des autorités met en lumière le déni de la présomption d’innocence et du sens commun.
6. Aucun média indépendant ni activiste n’a été autorisé à assister au procès
Les autorités du Belarus n’ont pas officiellement tenu le procès à huis clos, mais comme aucun média indépendant ni ONG n’existent plus dans le pays, de fait, très peu d’informations sont sorties du tribunal. La répression des manifestations massives après les élections d’août 2021 a également entraîné la fermeture pure et simple de 1 180 organisations de la société civile. Seuls les médias de propagande progouvernementaux ont été autorisés dans l’enceinte du tribunal. Les diplomates des pays de l’Union européenne, ayant besoin d’une accréditation pour assister au procès, ont organisé leur rassemblement devant le tribunal le premier jour du procès pour exprimer leur solidarité avec les défenseurs des droits humains.
La journaliste et défenseure des droits humains russe, Yekaterina Yanshina, a été condamnée à Minsk à 15 jours de détention administrative pour inconduite après avoir essayé de prendre des photos pendant le procès. L’activiste avait atterri à Minsk pour assister au procès et soutenir ses collègues.
7. Un mois pour lire les 84 900 pages du dossier pénal
Le dossier pénal se composait de 283 volumes. Chaque volume contenait environ 300 pages. Les accusés ont eu un mois pour prendre connaissance des documents, soit une lecture de 9 volumes ou 2 700 pages par jour en moyenne. Ce qui est évidemment impossible. Impossible aussi, dans ces conditions, de préparer sa défense. Ales Bialiatski, par exemple, n’a pas eu le temps de lire plus de 70 volumes. En outre, il n’a pas eu le droit de lire les documents dans sa langue maternelle, le belarus, tous les documents étaient rédigés en russe.