Lettre ouverte à Mr. H.E Heydar Aliev, Président de la République d’Azerbaïdjan

02/04/2003
Rapport

Monsieur le Président,

La Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme (FIDH) est très préoccupée par la persistance de graves violations des droits de l’Homme en Azerbaïdjan s’agissant notamment du droit à un procès équitable, et de la liberté d’expression et de la presse.

Ces atteintes interviennent dans un contexte politique particulièrement tendu. Les âpres discussions actuelles autour du projet de loi sur la refonte du code électoral qui prévoit une plus grande transparence et entend lutter contre toutes formes de manipulations illustrent cette dégradation du climat politique en Azerbaïdjan. Cette situation fait suite à la tenue du référendum du 24 août 2002 qui a octroyé des pouvoirs accrus à l’exécutif et intervient dans le cadre de la nouvelle campagne pour les présidentielles programmées en octobre 2003. Aussi dans ce contexte, l’expression d’un pluralisme politique est largement entravée.

Procès contre des opposants politiques

L’année 2002 a été marquée par un nombre important de procès contre des opposants politiques. On peut notamment citer, selon les informations reçues de Human Rights Center of Azerbaijan, le procès de trois membres du parti d’Adalet accusés de « hooliganisme » sur la base de l’article 221. 1 du code criminel après s’être opposés aux forces de police. Le 13 février 2002, ils ont été condamnés à 1,5 ans d’emprisonnement. Hadjiaga Nuriyev, membre du parti islamiste, a été accusé de tentative de corruption et résistance aux forces de police. Le 18 mars 2002, il a été condamné à 1,5 ans d’emprisonnement avec sursis. Farida Kunqurova, d’origine arménienne, membre du parti démocratique Azerbaidjan, a été accusée de « hooliganisme » et le 17 juillet 2002, elle a été condamnée à 3 ans d’emprisonnement. Les accusations pour « hooliganisme » sont fréquemment utilisées pour faire taire les opposants.

Quatre procès ont été engagés en 2002 à l’encontre de plusieurs « jeunes Moujahidin », accusés d’avoir suivi des entraînements militaires en Géorgie dans le but d’aider les Tchétchènes à combattre les forces russes. Ils ont été condamnés à des peines de prison allant de 1 et 4 ans et certains ont été placés en liberté conditionnelle, contraints de ne pas quitter le territoire. Un des jeunes, considéré comme le leader du groupe a, quant à lui, été condamné à 5 ans de prison. Tout porte à croire que ces procès ont été politiquement motivés par le besoin de démontrer la participation de l’Azerbaidjan à la lutte contre le terrorisme international.

L’ensemble de ces procès s’est déroulé en violation du droit à un procès équitable tel que garanti par le Pacte sur les droits civils et politiques et la Convention européenne des droits de l’Homme, ratifiés par l’Azerbaïdjan.

En outre, d’importants procès sont en attente d’une décision ou ont été interrompus. Il s’agit notamment des procès ré-ouverts auprès de la Cour d’appel de trois prisonniers reconnus « prisonniers politiques » par le Conseil de l’Europe d’après la résolution 1272 : Alakram Hummatov, Iskander Hamidov, Rahim Qaziyev. A ce jour, aucune décision n’a été rendue dans ces procès ouverts respectivement le 24 janvier, le 29 mai et le 21 juin 2002. Alakram Hummatov a d’ailleurs entamé une grève de la faim en décembre pour protester contre la lenteur de la procédure. I. Hamidov a vu son procès interrompu le 6 septembre 2002 sans qu’aucune justification ne soit donnée. Ce retard constitue une violation de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’Homme sur le droit à un procès équitable, qui impose à toute personne de voir sa cause entendue publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial.

De plus, le rapport d’enquête de la FIDH issu de l’observation judiciaire des procès de ces trois prisonniers, publié en novembre 2002 , a mis l’accent sur les irrégularités qui entachent le bon déroulement de ces procès. Des atteintes sont ainsi portées aux droits de la défense (impossibilité pour les avocats de s’entretenir avec leur client, aucune confidentialité n’est assurée...) mais aussi à la publicité des débats (l’accès aux procès pour les familles comme pour les avocats est rendu difficile du fait de son déroulement dans les prisons...).

Enfin, les conditions de détention de ces prisonniers demeurent précaires. Actuellement, Hammidov réside dans une prison réservée aux anciens militaires et officiers de police. Hummatov et Qaziyev sont, quant à eux, incarcérés dans la prison de Qobustan. Leur régime reste très strict et les condamne à l’isolement. En effet, sous prétexte de protéger leur intégrité physique, ces deux prisonniers sont enfermés seuls, dans des cellules fermées la nuit, ce qui les empêche d’accéder à une assistance médicale durant la nuit en cas de problème. Par ailleurs, ces prisonniers sont autorisés à recevoir 6 appels téléphoniques et 4 visites des membres de leur famille par an.

A cet égard, la délégation du Comité de prévention de la torture et des traitements inhumains et dégradants du Conseil de l’Europe a, durant sa visite du 24 novembre au 6 décembre 2002, dénoncé les mauvais traitements infligés, de façon générale, aux prisonniers par les responsables de l’application des lois et les conditions de détention. A cette occasion, la délégation a dénombré plusieurs cas de tuberculose.

Procès dans le cadre des évènements de Nardaran

Plusieurs procès faisant suite aux évènements de juin 2002 à Nardaran ont été ouverts et se poursuivent actuellement. En effet en juin 2002, un mouvement de protestation à Nardaran prenant son origine dans le cadre de revendications d’ordre économique et social, a été violemment réprimé ; près d’une vingtaine de personnes ont été arrêtées, un manifestant est mort et d’autres ont été blessés. Des manifestations se sont succédées et de nouvelles vagues d’arrestations ont eu lieu en septembre 2002 puis en février 2003.

Le président de l’Association de Baku et villages, Djebrayil Alizade, l’un des leaders du mouvement de Nardaran, arrêté en septembre, a été condamné le 22 septembre à 3 mois d’emprisonnement sur la seule base de la déclaration de deux policiers.

Selon les informations du Azerbaijan National Committee of Helsinki Citizen’ Assembly et de Human Rights Center of Azerbaijan, le 25 décembre 2002, le procès de quinze habitants de Nardaran arrêtés en juin a débuté et une date pour la première audience a été fixée au 8 janvier. Le procès est en cours. Les accusations se fondent sur l’organisation et la participation d’activités portant atteinte à l’ordre public, hooliganisme (article 220.1 et 233 du code Criminel) et résistance à la force publique (article 315.1). Les conditions de détention de ces détenus sont précaires et l’assistance d’avocats ne bénéficie qu’à cinq détenus. Le 1er avril 2003, la Cour a condamné quatre des détenus à des peines d’emprisonnement allant de 5 à 9 ans. Sont concernés en autre par ces condamnations Djebrayil Alizade, et Alikram Aliyev, chef du parti islamiste d’Azerbaidjan et dont l’état de santé très préoccupant avait été dénoncé dans le rapport de la FIDH de novembre 2002. Les onze autres personnes ont bénéficié d’une peine avec sursis de 2 à 3 ans.

Un second procès a été ouvert le 25 décembre à l’encontre d’Hafiz Atakishieyev, un autre manifestant arrêté en juin. Le procès s’est tenu à huis clos et le détenu n’a pu avoir l’assistance d’un avocat. Il a été condamné à 5 ans d’emprisonnement en première instance. Le 29 janvier, sa peine a été ramenée à 3 ans par la Cour d’appel après avoir découvert que de fausses charges pesaient contre lui (détention illégale de drogues et d’armes).

Le 5 février 2003 à Nardaran, la police a pénétré de force dans les tentes installées sur la place centrale du village à partir desquelles des sit-in sont régulièrement organisés depuis le début des évènements. Entre 80 et 100 policiers masqués ont frappé les manifestants pacifiques avec des matraques et la crosse de leurs armes automatiques. Prétextant avoir trouvé des armes sur certaines personnes, la police a ouvert le feu et blessé plusieurs d’entre elles.15 personnes ont été blessées et huit nouvelles personnes ont été arrêtées accusées d’être impliquées dans les évènements de juin. Le 3 mars 2003, les huit résidents ont été relâchés. La Cour de Sabunchu les a condamné à une peine avec sursis de 3 ans et 2 ans. La Cour d’appel, qui a été saisie, doit se conformer à l’article 6 de la CEDH relatif au droit à un procès équitable.

Outre les violations de procédures telle l’absence de représentation légale et des charges fallacieuses, il faut également souligner qu’aucune enquête indépendante n’a été ouverte pour identifier les responsables des violences perpétrées contre la société civile le 3 juin et notamment sur le décès en juin de Alihasan Agayev ou les tortures infligées notamment à Mirzaga Movlamov pendant sa détention. Des sanctions pénales, civiles ou administratives doivent être ordonnées et les victimes et leurs familles doivent pouvoir être indemnisées.

Atteintes à la liberté de la presse

Par ailleurs, de graves entorses à la liberté de la presse garantie par l’article 50 de la constitution de 1995 continuent d’être perpétrées. Le harcèlement et les pressions exercés par les autorités azéries contre les médias indépendants et les journalistes sont multiples. Chaque jour, de nombreux journalistes sont menacés par les autorités et se voient très souvent privés de leur outil de travail : les autorités n’hésitant pas à détruire leur matériel informatique.

Le 28 janvier 2003, les autorités ont supprimé, sur ordre de l’administration municipale de la capitale, un kiosque de l’entreprise de distribution Gaya qui vendait, devant l’université d’Etat de Baku, des périodiques d’opposition non disponibles dans les kiosques d’Etat. Au total, près d’une dizaine de kiosques de cette entreprise ont ainsi été supprimés ces derniers mois.

Mais surtout, entre le 4 et 26 novembre 2002, douze procès en diffamation ont été lancés à l’encontre de Rauf Arifoglu, rédacteur en chef de Yeni Musavat par des fonctionnaires et hommes d’affaires azéris. Ces attaques font suite à la publication par ce journal d’un article sur les poursuites engagées aux USA par un businessman contre la famille du Président Aliyev. Les poursuites contre le journal visent sa fermeture, la confiscation de sa propriété et des dommages et intérêts très élevés. Les 22 et 28 janvier, plusieurs journalistes et défenseurs des droits de l’homme ont entamé une grève de la faim pour protester contre le harcèlement judiciaire dont est victime ce journal.

Par ailleurs, le 25 novembre 2002, Irada Huseynova journaliste et correspondante de l’hebdomadaire Bakinsy Bulvar, a été arrêtée et poursuivie pour diffamation par Calal Aliyev, parlementaire et frère du Président Aliyev. Elle a été condamnée à une peine d’un an avec sursis.

L’ensemble de ces violations est contraire aux engagements internationaux et régionaux ratifiés ces dernières années par l’Azerbaïdjan tels que le Pacte international sur les droits civils et politiques, la Convention contre la torture et autres traitements cruels, inhumains et dégradants ainsi que la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme, entrée en vigueur le 15 avril 2002, et la Convention européenne contre la Torture.

La FIDH demande aux plus hautes autorités de garantir en toutes circonstances
 les libertés fondamentales telles la liberté d’expression, d’opinion, de la presse et le droit à participer à la vie politique
 l’impartialité et l’indépendance du pouvoir judiciaire afin que toute personne arbitrairement détenue et condamnée puissent bénéficier du droit à un procès équitable et des moyens de recours effectifs
 mettre un terme aux actes de tortures et mauvais traitements perpétrés dans les centres de détention
 ouvrir une enquête indépendante afin d’identifier les responsables des violences perpétrées par les forces de l’ordre contre la population civile à Nardaran et accorder des réparations appropriées aux victimes

La FIDH, s’agissant du procès des trois prisonniers politiques, I. Hamidov, A. Hummatov R. Qaziyev, réitère les recommandations formulées à l’issue de sa mission d’enquête et notamment demande qu’ils soient jugés dans un délai raisonnable et en conformité avec les normes et principes applicables en la matière.

Sidiki Kaba
Président de la FIDH

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