Conclusions préliminaires de la mission d’enquête de la FIDH en Azerbaïdjan

05/10/2006
Communiqué

L’Azerbaïdjan a aboli la peine de mort le 10 février 1998. Les 127 condamnés à mort deviennent dès lors des condamnés à perpétuité, et sont transférés le 20 mars 1998 vers le pénitencier de haute sécurité de Qobustan. En mai 2006, la FIDH a mené une mission d’enquête internationale afin d’examiner la situation de ces condamnés. Les chargés de mission de la FIDH, en collaboration avec le Human Rights Centre of Azerbaïdjan (HRCA), organisation membre de la FIDH, ont pu obtenir l’accès à la prison de Qobustan, où ils se sont entretenus avec d’anciens condamnés à mort. La mission s’est également rendue à la colonie de détention pour femmes et à la prison Bayil. Lors de cette dernière visite, leurs demandes d’entretien avec des prisonniers ont été refusées par les autorités.

Cinq ans après l’adhésion de l’Azerbaïdjan au Conseil de l’Europe en 2001, si des évolutions ont eu lieu, notamment en ce qui concerne la ratification d’instruments internationaux et européens et la mise en place de réformes en matière de législation pénale, la mission de la FIDH a pu confirmer le fossé persistant entre les textes et la pratique.

La prison de Qobustan : un taux de mortalité très élevé, des conditions de détention extrêmes
Le taux de mortalité des anciens condamnés à mort est extraordinairement élevé. Des 127 individus répertoriés par les autorités en 1998, seuls 89 étaient vivants au 1er juin 2006. Il est impossible de connaître le chiffre exact des condamnés décédés, étant donné qu’entre 1999 et 2001 quelques condamnés ont été graciés. Aucun chiffre exact concernant les personnes décédées n’a été rendu public. Toutes les enquêtes concernant les décès des condamnés ont été étouffées et leurs résultats n’ont pas été publiés.

Après l’abolition de 1998, aucune mesure spéciale n’a pas été prise pour changer les conditions de détention des anciens condamnés à mort, ils continuent à être détenus dans le quartier special prévu pour un délai de détention ne dépassant 9 mois. Cela a amené à une surpopulation carcérale très importante et le taux de mortalité d’anciens condamnés à la peine capitale est très élevé. Ainsi, selon le HRCA, en 1993, le nombre de personnes décédées en detention dépassait largement le nombre d’éxecutions pratiquées auparavant. Individuelles et/ou collectives, les grèves de la faim sont de plus en plus utilisées comme dernier recours pour attirer l’attention sur les problèmes des détenus de Qobustan. Elles ont souvent pour motif l’attitude des tribunaux concernant les demandes de réexamen et de requalification de peine et les mauvaises conditions de détention. Une cinquantaine de détenus aurait participé à une grève de la faim débutée le 26 juin 2006 et qui aurait pris fin le 25 juillet, date à laquelle 5 détenus refusaient toujours de s’alimenter. Selon les informations reçues par les chargés de mission, l’administration de Qobustan aurait refusé d’enregistrer la declaration de la grève des détenus et aurait même nié leur grève de la faim.

Les prisonniers rencontrés par la mission ont également témoigné de plusieurs cas de suicide au cours des années 2004-2006, bien qu’aucune information officielle n’ait été rendue publique. Le 25 août 2006, 22 détenus entamaient une nouvelle grève de la faim provoquée par le suicide d’un condamné à perpétuité. Selon les témoignages recueillis par le HRCA auprès de ses codétenus, le détenu décédé aurait été battu et humilié par des gardes et se serait suicidé dans l’isolateur dans la nuit du 13 au 14 août. Selon le procureur, qui n’aurait pas entendu les témoins, il ne s’agissait pas d’un suicide mais d’une crise cardiaque provoquée par la chaleur.

A Qobustan, mis à part des cellules de promenade de 5 mètres sur 5.5 mètres où les prisonniers ont le droit, en théorie, de passer une heure par jour, aucun dispositif permettant aux condamnés à perpétuité de communiquer entre eux n’est mis en place. Aucun détenu ne peut avoir de relations avec les personnes autres que son compagnon de cellule.

La torture et les mauvais traitements infligés en toute impunité
Bien que l’Azerbaïdjan a ratifié les instruments internationaux et européens interdisant le recours à la torture, et a procédé à des réformes de sa législation interne, notamment en introduisant l’infraction de torture dans le nouveau Code pénal, il subsiste un écart très important entre le cadre législatif et son application concrète. Ceci a été constaté par l’ensemble des instances européennes et internationales, et notamment le Comité de l’ONU contre la torture en 2003. Selon les informations recueillies par les chargés de mission, auprès des avocats, des ONG, des prisonniers et des familles de détenus, la torture et les mauvais traitements continuent d’être infligés en toute impunité, tant dans les prisons que lors de l’arrestation et de la détention provisoire.

Tous les avocats rencontrés ont souligné l’impossibilité d’obtenir des tribunaux la reconnaissance de ces violations et il n’existe toujours pas de mécanisme indépendant chargé d’enquêter sur les plaintes déposées contre des membres de la police et des gardiens de prison.

L’impunité des auteurs serait exacerbée par le fait que l’accès à un avocat reste un problème majeur, tant pendant la période de garde à vue que pendant celle de l’enquête. Les avocats rencontrés par la mission disaient éprouver des difficultés à obtenir des permis de visite lorsque leurs clients étaient en détention. En effet, les autorisations doivent être données par leur barreau ainsi que par le policier enquêteur ou le procureur, et seraient souvent refusées de façon arbitraire.

Recommandations principales

 La FIDH appelle les autorités d’Azerbaïdjan à :
Rendre publiques les statistiques sur le nombre de prisonniers qui sont morts en détention à Qobustan depuis 1998, révéler leurs identités, les lieux ou ils sont enterrés et les raisons de leur décès ;
 Mener des enquêtes indépendantes sur les circonstances des décès des détenus dans la prison de Qobustan, et poursuivre les responsables en justice ;
 Procéder aux réformes nécessaires pour améliorer les conditions de vie des personnes détenues, conformément aux normes internationales ; permettent
 Prendre les mesures nécessaires afin que le droit à un procès équitable, tel que consacré par les instruments internationaux, notamment européens, soit pleinement respecté ;
 Revoir les conditions de détentions qui permettraient aux détenus de mener un minimum de vie sociale, de leur fournir une possibilité de travailler et de leur garantir l’acces aux soins médicaux ;
 Faciliter l’accès aux avocats à toutes les étapes de la procédure ;
 Mener des enquêtes indépendantes sur toute allégation de torture ou d’autres traitements inhumains ou dégradants et poursuivre les responsables ;
 Assurer que des éléments de preuve recueillis sous la torture ou d’autres traitements inhumains ou dégradants ne soient pas admis en justice ;
 Permettre aux victimes des tels actes de recevoir une réparation ;
 Ratifier le protocole 13 de la Convention européenne des droits de l’Homme sur l’abolition totale de la peine de mort en temps de paix comme en temps de guerre ;
 Ratifier le protocole additionnel à la Convention de l’ONU contre la torture ;
 Coopérer pleinement avec les mécanismes onusiens et européens des droits de l’Homme.

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