Pendant 15 ans, deux des plus grandes banques de développement du monde ont financé une mine d’or arménienne qui porte préjudice à l’environnement et aux communautés locales. Les activistes de la société civile sont critiques vis-à-vis de la mine ; elles et ils ont bloqué son entrée et porté l’affaire en justice. Affaibli par le conflit armé avec l’Azerbaïdjan voisin, le gouvernement arménien, élu après la Révolution de Velours de 2018 et ses promesses d’ouverture démocratique, souhaite la rouvrir et vient d’adopter une loi qui pourrait affaiblir la participation citoyenne dans les projets miniers.
Profitant de l’opacité arménienne dans la gouvernance des ressources naturelles, l’entreprise Lydian, cotée en bourse à Toronto jusqu’en 2020, a développé le projet sans sérieusement consulter les populations concernées. Dès 2018, 85,7% des habitant·es de Jermuk interrogé·es faisaient été d’impacts sur leur santé comme des crises d’asthme, des maladies pulmonaires, des maux de tête ou des insomnies.
« Pendant la Révolution de Velours, les voix des Arménien·nes se sont élevées de manière plus libre et la mobilisation contre le projet est devenue très forte », explique Inga Zarafyan, présidente de l’ONG d’information EcoLur. « Notre contestation se base sur des études sérieuses menées par des douzaines d’expert·es indépendant·es et sur des données scientifiques solides. »
« Après toutes ces années, nous avons le droit de contester les décisions déraisonnables et anti-démocratiques. Mais la compagnie minière fait tout ce qu’elle peut pour nous en empêcher. »
En 2018, Lydian a lancé pas moins de 20 “poursuites-bâillons”, des actions judiciaires destinées à réduire au silence ou à intimider des défenseur·es des droits humains et de l’environnement, des journalistes et même un membre du Parlement. Les voix critiques font régulièrement l’objet de campagnes de dénigrement. Malgré ces campagnes et la répression, les populations du voisinage ont bloqué l’entrée de la mine pendant plus de deux ans, entre 2018 et 2020.
Deux banques de développement ont financé le projet
La Banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD) et la Société financière internationale (SFI, branche de la Banque mondiale), deux banques multilatérales de développement, ont respectivement soutenu le projet de 2007 à 2017 et 2009 à 2021. Le rapport révèle l’échec de ces banques à remplir leurs obligations en matière de droits humains et d’environnement, conformément aux normes internationaux et à leurs propres politiques. Les banques de développement ont jusqu’ici refusé de reconnaître toute responsabilité dans les échecs du projet ou de porter réparation pour les dommages causés aux populations locales. En 2014, le mécanisme de recours interne de la BERD a déclaré inéligibles deux plaintes portées par des personnes affectées, avant que le nouveau mécanisme de plainte de la banque finisse par lancer une enquête de conformité en 2020, en cours à ce jour.
« La SFI et la BERD ont échoué à imposer au projet minier des normes exigeantes en termes de transparence, de participation citoyenne dans les mécanismes de prise de décision et de redevabilité ».
« Au lieu de montrer l’exemple et d’apporter une valeur ajoutée, la BERD a refusé de communiquer avec la société civile au sujet d’Amulsar et a toléré les douzaines de poursuites-bâillons conduites par Lydian, ce qui ne s’était jamais produit avant à notre connaissance », poursuit Fidanka Bacheva-McGrath. « J’espère que le mécanisme de redevabilité de la BERD publiera bientôt des conclusions critiques et des recommandations pour garantir une réparation effective ».
Le futur d’Amulsar : un test pour la démocratie arménienne
Amulsar peut être vu comme un test pour la jeune démocratie arménienne, qui a expérimenté en trois ans une révolution, les conséquences de la pandémie puis un rude conflit armé qui a causé de lourdes pertes humaines, morales, territoriales et économiques.
Soumis à une forte pression diplomatique et économique, le gouvernement arménien a approuvé en novembre 2021 un plan d’action de cinq ans qui inclut l’exploitation de la mine d’Amulsar.
En sus des recommandations aux banques de développement et à Lydian, le rapport appelle le gouvernement arménien à révoquer les licences d’Amulsar et à mettre urgemment en application toutes les recommandations des expert·es internationaux·ales des Nations unies et de la Convention de Berne qui ont examiné la situation.
« Nous sommes préoccupé·es par la tournure récente des événements en Arménie. Le gouvernement semble mettre en œuvre des réformes dangereuses qui pourraient affaiblir davantage la participation des citoyen·nes aux processus de décision dans le secteur minier, au lieu de tirer les leçons d’Amulsar », explique Artak Kirakosyan, directeur de CSI et vice-président de la FIDH.
« Oui, il est nécessaire de réformer la régulation des activités minières. Mais seulement si cela permet de prioriser la participation effective des communautés affectées et la protection des droits humains et de l’environnement ».
Le rapport complet est disponible en anglais et en arménien.
Lire résumé exécutif en anglais, en arménien, ou en français ci-après :