La FIDH, réunie pour son 40ème Congrès à Taiwan du 21 au 25 octobre 2019
rappelle, d’une part, que la liberté d’expression constitue un droit humain fondamental inscrit à l’article 19 de la Déclaration universelle des droits de l’homme et réaffirmé dans article 19 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, et, d’autre part, qu’il est étroitement lié au droit de réunion pacifique (article 20 de la Déclaration universelle des droits de l’homme et article 21 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques) lorsqu’il concerne des manifestations, des piquets de grève, des marches, des rassemblements et des défilés ;
témoigne de son inquiétude à propos des graves répressions de la liberté d’expression et du droit de réunion pacifique, qui s’intensifient dans nombre de pays d’Europe de l’Est et d’Asie centrale où les autorités ont élaboré un arsenal de lois liberticides et où les pratiques dommageables prolifèrent pour étouffer la société civile et museler les voix divergentes ;
souligne que les obstacles entravant le droit de réunion pacifique s’accumulent dans toute la région :
- la législation au Bélarus, au Kazakhstan, en Russie, en Ukraine et en Ouzbékistan interdit aux citoyennes et aux citoyens de se rassembler pacifiquement sans autorisation ; or les autorités de ces pays refusent systématiquement les autorisations de rassemblements pacifiques ; toute manifestation non autorisée se conclut donc par une vague d’arrestations et les contestataires écopent d’amendes ;
- en Azerbaïdjan, les amendements de 2016 subordonnent le droit de libre réunion à la non-violation « de l’ordre public et de la morale » ; les rassemblements non autorisés peuvent entraîner une réponse policière brutale, et les contestataires écopent là aussi d’amendes ;
- l’adoption d’une législation restreignant les marches pacifiques en Crimée occupée a abouti à l’arrestation de plus de 350 contestataires pacifiques entre 2014 et 2018 ;
- en Arménie, en Géorgie, au Kirghizistan et en Moldavie, le droit de réunion pacifique est garanti juridiquement, mais sa mise en pratique est inégale (ex. les autorités géorgiennes ont abusé de la force contre des contestataires pacifiques le 20 juin 2019 ; la police arménienne est intervenue violemment et a placé en détention temporaire des centaines de personnes durant les manifestations populaires antigouvernementales en avril et en mai 2018) ;
condamne toutes les violations commises à l’encontre des défenseurs et défenseures des droits humains (DDH) en représailles à l’expression de leur protestation, notamment :
- l’intimidation et le harcèlement, y compris judiciaire, les agressions physiques, l’assassinat, la détention arbitraire et les condamnations, y compris sur de fausses accusations, les mauvais traitements et la diffamation dans le but de stigmatiser et de discréditer les DDH,
- la poursuite pénale de DDH sous le chef d’accusation d’implication dans les actions d’organisations indésirables » (Russie, article 284.1 du Code pénal) ;
- les restrictions législatives de nombreux pays d’Europe de l’Est et d’Asie centrale pesant sur les organisations non gouvernementales (ONG), d’une part, parce qu’elles affaiblissent les groupes locaux et étrangers de DDH, notamment en interdisant tout financement étranger, en imposant des obligations de rapports onéreuses, en infligeant de lourdes pénalités de non-conformité (Bélarus, Crimée, Kazakhstan, Russie, Tadjikistan et Ouzbékistan), et d’autre part, parce qu’elles soumettent les subventions à l’approbation du gouvernement (Azerbaïdjan) ; la qualification des ONG d’« agents étrangers » (Russie et Arménie), en ce qu’elle stigmatise les activités civiques ;
témoigne de sa grave inquiétude face aux violations commises à l’encontre des avocats spécialistes de droits humains et des activistes du droit environnemental, que les autorités ciblent parce qu’elles expriment leur divergence :
- les autorités arméniennes ont déposé plainte contre plusieurs DDH, journalistes et avocats qui avaient sensibilisé le public aux risques environnementaux et sanitaires de l’exploitation de mines d’or sous couvert de lutte contre la « calomnie ».
- Les autorités du Bélarus harcèlent systématiquement les défenseurs et défenseures de l’environnement qui s’opposent à la construction d’une usine de batteries à Brest ;
- en Crimée, l’avocat des droits humains Emil Kurbetdinov est harcelé judiciairement pour une publication sur Facebook au contenu prétendument extrémiste ;
- la détention arbitraire toujours en cours et le harcèlement judiciaire à l’encontre de l’historien russe Iouri Dmitriev pour avoir exhumé les victimes des répressions de l’ère soviétique ;
condamne la violente répression des libertés d’expression et de la presse dans la région, qu’il s’agisse de harcèlement, d’arrestations arbitraires et de détention, de restrictions, d’amendes, de poursuites pénales ou d’autres formes de répression, les autorités cherchent à réduire au silence les journalistes, qui les critiquent et révèlent des violations de droits humains et la corruption ;
rappelle que la législation antiterroriste et anti-extrémisme fournit le prétexte à des abus récurrents de la part des autorités russes et d’Asie centrale dans le but de harceler l’opposition politique, les minorités religieuses et la société civile au sens large ;
rappelle, en outre, que la calomnie, l’insulte et « l’insulte à l’honneur et à la dignité du président » demeurent des crimes au Kazakhstan et au Kirghizistan ; la diffamation relève aussi du droit pénal en Géorgie.
observe avec inquiétude l’étau gouvernemental se resserrer sur l’expression en ligne dans la plupart des pays de la région ; le panel des pratiques liberticides comprend sans s’y limiter le blocage de sites web, la censure de contenus, la pesanteur d’un fardeau bureaucratique sur les médias en ligne, les poursuites pénales contre les journalistes et les DDH sous le chef d’accusation d’expression en ligne de leurs divergences, les sanctions pour la diffusion d’informations fallacieuses et l’appel à manifester ;
considère que la situation en matière de liberté d’expression et de droit de réunion pacifique en Europe de l’Est et en Asie centrale devient grave, sans espoir d’amélioration, à moins que la société civile, les acteurs économiques, les États voisins et les organisations internationales ne s’engagent dans un effort ciblé pour défendre résolument ces droits,
1. enjoint aux autorités d’Arménie, d’Azerbaïdjan, du Bélarus, de Géorgie, du Kazakhstan, du Kirghizistan, de Moldavie, de Russie, du Tadjikistan, du Turkménistan, d’Ukraine et d’Ouzbékistan de mettre fin à toutes les violations des droits humains, y compris l’intimidation, le harcèlement, la torture, les exécutions extrajudiciaires, les disparitions forcées et la détention arbitraire commis contre des personnes exerçant leur liberté d’expression et leur droit de réunion pacifique et d’assumer leurs responsabilités afférentes ;
2. appelle les États en question à libérer immédiatement tous les prisonniers et prisonnières politiques détenus arbitrairement pour avoir exprimé un avis divergent, révélé des violations de droits humains et exercé pacifiquement leurs droits légitimes ;
3. demande aux États d’abroger les lois interférant avec leurs obligations en matière de liberté d’opinion et d’expression, liberté d’association et de réunion en vertu du droit international relatif aux droits humains, y compris les lois restreignant les activités des organisations non gouvernementales et les groupes traitant de droits humains en particulier, à savoir la législation relative aux « organisations civiles non enregistrées », « agents étrangers », « organisations indésirables » et autres lois violant le droit à la liberté d’association ;
4. enjoint aux États de respecter les articles 19 et 20 de la Déclaration universelle des droits de l’homme, les articles 19 et 21 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et toutes les résolutions pertinentes de la Commission des droits de l’homme et du Conseil des droits de l’homme relatives au droit à la liberté d’opinion et d’expression ;
5. encourage les États à instaurer un environnement protégé propice à la jouissance de la liberté d’expression et du droit de réunion pacifique pour toutes et tous sans discrimination et en tenant compte des personnes confrontées à des inégalités systémiques ;
6. encourage les États voisins à continuer à aider les groupes locaux et les organisations de la société civile de défense des droits humains, qui luttent pour promouvoir et protéger la liberté d’expression et le droit de réunion pacifique en Europe de l’Est et en Asie centrale ;
7. encourage les acteurs économiques présents en Europe de l’Est et en Asie centrale à respecter les Principes directeurs des Nations unies relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme, à résister aux gouvernements violant les principes internationaux de liberté d’expression ou de réunion et à travailler pour instaurer un environnement protégé propice à l’expression des opinions de chaque personne ;
8. appelle l’ensemble des citoyennes et des citoyens à prêter main forte aux DDH et aux organisations de la société civile, qui travaillent en Europe de l’Est et en Asie centrale.