Les nouveaux gardiens de la Forteresse Europe

Mission Internationale d’Enquête

Enfermer les étrangers, dissuader les réfugiés : le contrôle des flux migratoires à Malte.

Alertée par de nombreuses organisations, dont la Malta Association of Human Rights (membre de la FIDH à Malte), sur la situation de demandeurs d’asile détenus à Malte, la FIDH a organisé une mission internationale d’enquête en février 2004. Les conclusions de cette mission sont rendues publiques ce jour au cours d’une conférence de presse organisée dans les locaux du Parlement européen, à Bruxelles.

La mission, qui avait pour mandat d’évaluer la situation des étrangers et des demandeurs d’asile à Malte, s’est rapidement rendue à l’évidence que c’était l’ensemble de la politique maltaise de gestion des flux d’immigrants - et particulièrement des demandeurs d’asile - qui était à remettre en cause. Dès lors, les investigations de la mission ont porté d’une part sur la détention systématique des étrangers dits " illégaux", et d’autre part sur les conditions même de l’exercice du droit d’asile, qui s’apparente, pour Malte, à un trompe l’œil.

Voie de passage naturelle des migrations du Sud (Afrique, Moyen-Orient) vers l’Europe : située à 290 Km de l’est de la Tunisie ou du nord de la Libye, Malte n’est séparée du sud de la Sicile, et donc de l’Italie, que par 93 Km. Ces données expliquent que ce pays connaisse, depuis la fin des années 80, des arrivées d’étrangers parfois importantes. Pour nombre d’entre eux, il s’agit d’une étape dans la perspective de gagner par la suite un autre pays européen, d’autres y échouent involontairement - chavirement des embarcations en Méditerranée ; passeur les ayant déposés sur les côtes.

Ces faits sont connus maintenant depuis plusieurs années, et la FIDH estime par conséquent que "la surprise et l’urgence ne constituent (...) plus des motifs suffisants pour justifier l’absence d’investissement humain et matériel qui permettrait de traiter les migrants dans le respect de leur dignité". Elle dénonce particulièrement l’attitude des autorités, qui, s’estimant débordées par le phénomène, ont récemment adopté des mesures d’exception visant à enfermer systématiquement tous les immigrants irréguliers, c’est-à-dire toute personne se trouvant sans titre sur le territoire (modification en 2002, de l’Immigration Act de 1970) dans des centres fermés. Ces lieux clos sont la plupart du temps surpeuplés, insalubres, et inadaptés à une détention de longue durée. Cette durée excessive, combinée à l’incertitude sur le sort qui leur est réservé sont à l’origine de nombreux troubles psychologiques. Certaines pratiques liées au maintien de la sécurité peuvent également être considérées comme humiliantes. A ce titre, la FIDH recommande aux autorités maltaise de "mettre en place un système d’accueil des immigrants alternatif à leur placement en détention administrative, en généralisant l’hébergement en centre ouvert".

En outre, l’annonce effectuée en janvier 2004 de la modification de certains aspects du Refugees Act (adopté en octobre 2001), ne paraît pas de nature à corriger de façon significative les dysfonctionnements constatés en matière de droit d’asile. Dès leur arrivée sur l’île, les demandeurs d’asile partagent en effet le même sort que les autres migrants, en attendant l’instruction de leur dossier. La FIDH dénonce à ce propos les lacunes du système maltais (défaut d’information, d’interprétariat et d’assistance juridique, délais d’attente excessifs et ineffectivité des recours). La FIDH recommande sur ce point aux autorités maltaises, de "ne réserver qu’à titre exceptionnel, pour une durée la plus courte possible et dans des conditions strictement encadrées, la possibilité de détenir des demandeurs d’asile". La FIDH recommande également que soient assurées les conditions d’une intégration réussie à l’égard des réfugiés reconnus.

Si les chargées de mission ne nient pas la spécificité démographique et géographique de Malte, elles estiment que la question du droit d’asile à Malte - quasi-systématiquement refusé aujourd’hui - est indissociable de la politique de l’Union européenne et notamment des incidences du règlement Dublin II. C’est pourquoi la FIDH demande à l’Union européenne d’adopter d’urgence des dispositions ad hoc, soit par l’octroi en faveur de Malte de dérogations à ce règlement, soit permettant aux personnes qui se voient accorder le droit d’asile sur l’île de pouvoir s’établir librement dans un autre Etat membre. Elle recommande également l’attribution "de crédits spécifiques pour que Malte accueille les réfugiés dans des conditions conformes au respect de la dignité des personnes et de l’équité, et puisse supporter les conséquences de cet accueil."

"Je comprends bien les difficultés auxquelles peut-être confrontée Malte", a dit Sidiki Kaba, Président de la FIDH, avant d’ajouter : « mais nous devons trouver des solutions, tant au niveau national qu’européen, pour que ce pays se conforme à ses obligations envers les immigrants et les demandeurs d’asile. Se contenter d’une amélioration des conditions d’accueil existantes serait valider une politique d’asile au rabais et surtout, accorderait à l’île le statut peu enviable de dernier rempart de la Forteresse Europe et tendrait à justifier toutes les récentes initiatives d’externalisation de l’asile ».

La FIDH appelle par conséquent l’Union européenne à prendre les mesures adéquates permettant à Malte de mieux faire face à cette situation et à revoir le règlement Dublin II. Elle appelle l’ensemble des Etats membres à se conformer strictement à leurs engagements internationaux en matière d’asile. De plus, dans une perspective plus générale, elle les appelle à ratifier dans les plus brefs délais la Convention des Nations Unies sur les droits des travailleurs migrants.

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