Dans le cadre des négociations des accords de commerce et d’investissements, le refus persistant de la Commission Européenne de conduire une étude d’impact sur les droits humains relève de la mauvaise administration selon la médiatrice européenne

Dans son projet de recommandation adopté le 26 mars 2015 et traitant de l’accord de libre échange EU-Vietnam en cours de négociation, la médiatrice européenne estime que l’absence d’étude d’impact portant spécifiquement sur les droits humains constitue un cas de mauvaise administration. Elle appelle en conséquence la Commission européenne à conduire ladite étude, et ceci sans attendre.

La médiatrice européenne a conclu au bien fondé d’une plainte déposée conjointement par la FIDH et le VCHR suite au refus de la Commission européenne de prendre en considération les droits humains dans les négociations relatives aux accords commerciaux et d’investissement avec le Vietnam.

Dans leur plainte, la FIDH et le VCHR rappelaient que l’Union européenne a l’obligation de mener une étude de l’impact sur les droits humains (EIDH) avant la signature de tout accord de libre-échange (ALE). La Commission européenne refusait toutefois de satisfaire à ses obligations en la matière, au titre qu’une étude partielle avait été menée en 2009.

La médiatrice européenne a répondu qu’une étude partielle couvrant seulement certains aspects de l’impact sur les droits sociaux ne saurait constituer un substitut adéquat à une EIDH. Elle a également souligné le silence persistant de la Commission européenne quant à l’absence d’EIDH relative au volet investissement de l’accord et au mécanisme ISDS (mécanisme d’arbitrage investisseurs-Etat). Elle a enfin rejeté l’argument de la Commission, à savoir que la conduite d’une EIDH à un stade aussi avancé des procédures de négociations aurait des effets « disproportionnés et onéreux que rien ne justifie ». En rappelant que « le respect des droits humains ne saurait être subordonné à des considérations de simple commodité », la médiatrice européenne a affirmé que « comme l’ont souligné les plaignants, ce qui est décisif est […] d’assurer que l’Accord de libre échange avec le Vietnam, toujours en cours de négociation, n’aura aucun effet défavorable sur les droits humains ».

Dans sa décision, la médiatrice européenne conclu que « les institutions et les organes européens doivent toujours examiner la conformité de leurs actions avec les droits fondamentaux et les éventuelles répercussions de leurs actions sur ces droits fondamentaux ». Elle ajoute que l’UE devrait « non seulement vérifier que les accords envisagés respectent les obligations en vigueur au regard des droits humains et n’affaiblissent pas les standards existant en matière de protection des droits humains, mais qu’elle devrait également chercher à faire avancer la cause des droits humains dans les pays partenaires ». Dans ce cadre, ajoute-t-elle, l’étude d’impact sur les droits humains (EIDH) devrait permettre à la Commission d’évaluer si l’« ALE respecte les obligations et les normes en vigueur à propos des droits humains et n’a aucun effet défavorable sur ces derniers » et de définir les « mesures appropriées susceptibles d’assurer que ce type d’effets néfastes ne survienne ».

« Cette recommandation crée un précédent majeur » , affirme Karim Lahidji, président de la FIDH. « Au-delà des négociations entre l’UE et le Vietnam, elle remet en cause le manque d’EIDH traitant du mécanisme de règlement des différends Investisseurs-Etat (en anglais Investor-state Dispute Settlement mechanism, ISDS) des accords d’investissements ou des volets investissements des ALE en cours de négociation, qu’ils s’agisse de la Birmanie, la Chine, la Jordanie et les Etats-Unis par exemple. Cette recommandation souligne la nécessité de mener une EIDH en bonne et due forme et de mettre fin à la pratique consistant à n’évaluer que certains aspects sociaux. Elle reconnait que les EIDH doivent aboutir à des mesures concrètes et efficaces pour garantir que l’UE respecte les droits humains, n’affaiblit pas les standards et s’assure que les accords commerciaux et d’investissement ne préjudicient pas aux droits humains. Cette recommandation réfute enfin l’argument largement utilisé par la Commission selon lequel la clause et le dialogue afférents aux droits humains seraient en eux-mêmes suffisants à ces égards », ajoute-t-il.

Vo Van Ai, président du Comité vietnamien pour les Droits de l’homme (VCHR) a déclaré que : « la recommandation de la médiatrice européenne marque une avancée primordiale pour les droits humains au Vietnam. Sans cette étude de l’impact sur les droits humains, l’accord de libre-échange (ALE) entre l’UE et le Vietnam permettrait au Vietnam de bénéficier d’avantages commerciaux tout en s’attaquant aux droits de ses citoyens et de ses travailleurs en toute impunité ».

Les négociations relatives à l’accord de libre-échange entre l’UE et le Vietnam se déroulent alors que la répression s’intensifie. Le Vietnam a poursuivi et incarcéré au moins 65 blogueurs et militants en 2013 en violation notamment du droit à la liberté d’expression. Au minimum 16 autres ont été incarcérés ou condamnés durant le premier semestre 2014. Des militants de la société civile ont été brutalement frappés pour avoir organisé des manifestations pacifiques et plusieurs centaines de fermiers dépossédés de leurs biens ont été blessés lors des manifestations entreprises pour protester contre les expulsions forcées et la confiscation des terres.

Contexte : droits humains et commerce
Le commerce et les investissements internationaux peuvent avoir des répercussions tant favorables que défavorables sur les droits humains. L’expérience passée montre que, en l’état, les règles en vigueur en matière de commerce et d’investissements internationaux ont pu affaiblir la protection et le respect des droits humains. Dans les pays en développement, retiennent notamment l’attention l’accès aux médicaments, l’accès à l’eau, à la santé et à l’éducation, les droits des populations autochtones, le droit à un niveau de vie adéquat et au logement, le droit à la participation, le droit du travail etc.

La FIDH et le VCHR ont régulièrement appelé la Commission européenne à inclure les droits humains dans le cadre des négociations entreprises en vue de la conclusion des accords de commerce et d’investissement. La conduite d’études de l’impact sur les droits humains permettrait notamment à l’UE de prévenir les effets négatifs. Cette recommandation est soutenue par de nombreuses parties prenantes, comme en témoignent les rapports, études et analyses des procédures spéciales des Nations unies.

Le traité de Lisbonne impose à l’UE de s’assurer que les accords commerciaux qu’elle met en œuvre ne préjudicient pas aux droits humains. L’UE a progressé dans l’utilisation des études d’impact sur les droits de l’homme et notamment dans le cadre des négociations entreprises avec l’Arménie, la Tunisie et le Maroc. Toutefois, l’Union européenne reste en défaut de conduire des EIDH pour l’ensemble des accords de libre-échanges et d’investissement. Et lorsque l’impact sur les droits humains est analysé, les études ne sont pas réalisées de manière à garantir que l’UE respecte réellement ses obligations.

Malgré les appels répétés de la FIDH et du VCHR insistant sur la nécessité de réaliser une EIDH dans le cadre des négociations de l’ALE EU-Vietnam, la Commission européenne a persisté dans son refus d’y procéder. Les deux organisations ont donc cherché l’intervention de Mme Emily O’Reilly, médiatrice européenne, pour voir modifiée cette pratique.

La Commission européenne dispose d’un délai jusqu’au 30 juin 2015 pour prendre position et expliquer la manière dont elle entend mettre en œuvre la recommandation de la médiatrice.

L’avis de la médiatrice pourrait avoir une incidence notable sur l’usage des EIDH au-delà des négociations avec le Vietnam, et notamment recevoir échos dans le cadre des négociations en cours avec les États-Unis, la Chine, la Birmanie ou la Jordanie par exemple.

Pour davantage d’information sur la pratique des études d’impacts pratiquées par l’Union européenne, voyez le document de position de la FIDH « Building Trade’s Consistency With Human Rights - 15 Recommendations to the EU on Impact Assessments »

Contact Presse :
Gaelle Dusepulchre, FIDH, (français, anglais) – Tél. : +32 479 49 19 59 (Bruxelles) – gdusepulchre@fidh.org
Penelope Faulkner, VCHR (anglais, français, vietnamien) – Tél. : + 33 1 45 98 30 85 (Paris) penelope.faulkner@gmail.com
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