Visite du Président pakistanais Musharraf au Président de la République, Jacques Chirac : Les droits de l’Homme sont-ils à l’ordre du jour ?

07/12/2004
Communiqué
en fr

À l’occasion de la venue en France du Président pakistanais, le Général Pervez Musharraf, le 8 décembre 2004, la FIDH attire l’attention sur le triste bilan de la situation des droits de l’Homme au Pakistan.

Le Général Musharraf a certes pris plusieurs mesures positives en matière de droits de l’Homme : un système commun d’électorat pour les minorités a été mis en place, la loi sur la liberté de l’information a été adoptée et des sièges ont été attribués aux femmes au sein de l’Assemblée nationale. Malheureusement, ces quelques avancées ne reflètent pas une réelle volonté politique de promouvoir les droits de l’Homme.

La FIDH rappelle que Musharraf a pris le pouvoir en 1999 par un coup d’état militaire et a adopté un décret constitutionnel provisoire en 1999, (« Provisional Constitutional Order ») qui a suspendu la Constitution ; il a par ailleurs déclaré que les décrets présidentiels prévaudraient sur toute législation, et que le gouvernement militaire ne pourrait être poursuivi en justice. Un référendum tenu en 2002, marqué par des fraudes et des manoeuvres coercitives a prolongé son mandat présidentiel de 5 ans. Les élections législatives d’octobre 2002 ont été très généralement considérées comme inéquitables et falsifiées. Musharraf a aussi sérieusement affaibli l’indépendance du pouvoir judiciaire, notamment par l’adoption du Legal Framework Order en 2002 (Décret sur l’ordre juridique), qui donne au Président le pouvoir de nommer les juges de la Cour Suprême.

Malgré cette violation flagrante des principes démocratiques et les violations massives des droits de l’Homme au Pakistan depuis le 11 septembre 2001, Musharraf bénéficie du soutien complet de la communauté internationale.
Depuis le 11 septembre 2001, Musharraf a abandonné la politique pakistanaise traditionnelle de soutien aux Talibans en Afghanistan, a pris des mesures plus sévères contre les organisations extrémistes étrangères sur le sol pakistanais et a banni de nombreux groupes de militants du Djihad du Cachemire, basés au Pakistan. Néanmoins, le régime n’a pris aucune mesure contre les groupes extrémistes pakistanais et n’a pas appliqué la loi de réglementation des Madrasas. Malgré ses engagements, Musharraf n’a pas abrogé ni amendé la loi sur le blasphème, les « Hudood laws » ni les ordonnances Qisas et Dyat, qui ont été adoptées sous la pression des groupes religieux militants et violent les droits des minorités, ainsi que les droits des femmes.

Cette ambiguïté, ou politique de double jeu, est aussi appliquée envers les médias, les ONG et les syndicats. Dans le domaine de la liberté d’expression, Musharraf utilise une vaste panoplie de moyens pour réduire au silence les journalistes, les universitaires et les ONG : une législation très répressive, des tactiques violentes de la part de la police, de l’armée et des services de renseignement pour intimider, voire tuer les journalistes qui s’expriment sur des questions sensibles, la quasi impunité accordée aux groupes religieux qui intimident de leur côté les journalistes, et les pressions économiques ne sont que quelques unes des méthodes pratiquées. Il en résulte une énorme autocensure de la part des médias.

Le cas de Khawar Mehdi démontre cette répression. Celui-ci travaillait avec deux journalistes français en décembre 2003 sur des opérations supposées des Talibans dans les zones tribales du Pakistan. Il a été arrêté quelques jours plus tard, torturé et relâché sous caution en mars 2004. Il a été inculpé en vertu de la loi anti-terroriste, son procès est pendant. La FIDH a de sérieuses craintes qu’il ne bénéficie pas d’un procès équitable. Ce cas est tout à fait significatif de l’attitude du gouvernement envers les individus perçus comme « outrepassant la ligne » de ce qui est acceptable pour la presse.
Le gouvernement s’efforce de contrôler les ONG de défense des droits de l’Homme, et de les discréditer à travers les médias gouvernementaux. Ces organisations se heurtent à une hostilité croissante du gouvernement, qui les accuse régulièrement d’être « non patriotiques », ou « non islamiques », ce qui ouvre la voie aux attaques des groupes intégristes et ultra nationalistes. « Le gouvernement tente de contrôler les ONG par différents moyens - le discrédit, une législation très répressive sur la liberté d’association, des restrictions en matière de financement. Les ONG œuvrant dans le domaine des droits des femmes sont particulièrement vulnérables, notamment dans la "New West Frontier Province", dont le gouvernement local a adopté la "Sharia Act" en 2002 » déclare Sidiki Kaba, Président de la FIDH.
Les Zones Tribales du Pakistan, les "Federally Administered Tribal Areas," FATA, situées dans le nord-est du pays, sont administrées dans le cadre du "Frontier Crimes Regulation", inchangé depuis 1901. Ce régime juridique prive les habitants de ces zones des protections liées aux droits de l’Homme, y compris les institutions fondamentales de la démocratie (séparation des pouvoirs, recours devant les tribunaux). En outre la législation prévoit la responsabilité collective, ce qui signifie que le village entier d’un fugitif, ou sa famille entière peuvent être arrêtés tant qu’il ne s’est pas rendu, ou tant qu’il n’a pas été puni par sa propre tribu. La législation permet même la destruction de leurs maisons. Les étrangers et les journalistes n’ont pas le droit d’entrer dans les FATA, en particulier dans les zones où se déroulent des opérations militaires, ce qui restreint sérieusement la diffusion d’informations sur cette région.
Les minorités religieuses (Chrétiens, Hindous et Ahmadis) sont de plus en plus la cible des autorités locales et provinciales, et aussi des groupes intégristes, qui jouissent d’une totale impunité. En outre la loi sur le blasphème est massivement et systématiquement invoquée pour limiter leur liberté d’expression et d’association.

« En prenant le parti des Etats-Unis dans la "guerre contre le terrorisme" et en laissant en même temps le champ libre aux groupes ultra religieux dont les objectifs vont dans le sens contraire, Musharraf a réussi à tirer un bénéfice maximum du 11 septembre » conclut Anne-Christine Habbard, de la FIDH.

Au mois d’août dernier la FIDH a mandaté une mission internationale d’enquête au Pakistan sur les libertés d’expression, d’association et d’assemblée. Le rapport complet de la mission sera publié le 30 novembre. Il sera disponible sur www.fidh.org et www.hrcp-web.org

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