"IN MALA FIDE" : Libertés d’expression, d’association et de réunion au PAKISTAN

17/01/2005
Rapport
en fr

Le rapport rendu public aujourd’hui par la FIDH est le résultat de deux missions internationales d’enquête menées respectivement en août et en novembre 2004 au Pakistan. A travers une étude approfondie de la situation des journalistes, des syndicats, des ONG, des minorités religieuses et des partis politiques d’opposition, le rapport dresse un état des lieux de la situation des droits de l’Homme dans le pays.

Le rapport montre que le gouvernement de Musharraf a adroitement utilisé le besoin soudain du Pakistan en tant qu’allié stratégique dans la « guerre contre le terrorisme » depuis 2001 pour jouer un jeu de dupes : prétendre respecter les droits de l’Homme, présenter une façade démocratique, et respecter la liberté d’expression... en vue de bénéficier d’une légitimité sur les plans national et international, alors que les autorités mettent en réalité toute leur énergie pour se maintenir au pouvoir. Le régime fonctionne sur le mode de l’opportunisme politique à court terme, comme le démontre la décision de Musharraf de renoncer à son engagement de se retirer en tant que responsable des Armées fin décembre 2004. Cette érosion de l’Etat de droit depuis septembre 2001 a été aggravée par une diminution croissante de l’indépendance du pouvoir judiciaire, qui est de fait sous le contrôle politique presque total de l’Exécutif.

" Musharraf mène un double jeu : ses gestes en faveur des droits de l’Homme et de la démocratie ont un impact très limité ; il adopte simultanément des mesures qui violent gravement les droits fondamentaux et il fragilise l’Etat de droit en organisant l’impunité de ses amis et alliés. Ceci est vrai non seulement de la lutte contre les groupes extrémistes religieux, mais aussi dans le domaine des droits des femmes et des minorités ou des libertés d’expression et d’association ", a dit le Pr Christine Habbard, auteur du rapport.

De manière plus générale, "la mauvaise foi de Musharraf dans sa façon d’exercer le pouvoir a eu des conséquences directes sur les libertés individuelles au Pakistan, et en particulier sur les libertés d’expression, d’association et de réunion. Cela signifie que les journalistes, défenseurs des droits de l’Homme, avocats engagés, syndicalistes... ont vu leur marge de manoeuvre progressivement réduite aux cours des dernières années. Ils sont de plus en plus victimes de harcèlement judiciaire, de pressions économiques et sociales voire d’intimidations brutales. Nous sommes loin de la "vraie démocratie" promise par Musharraf", a ajouté le Pr Christine Habbard.

Malheureusement, en dépit de ces violations flagrantes des principes démocratiques et des droits de l’Homme, Musharraf bénéficie du soutien complet de la communauté internationale depuis le 11 septembre 2001. « Dans sa "guerre contre le terrorisme", la communauté internationale a adopté une vision étroite et à court terme en décidant de garder le silence face aux violations des droits de l’Homme perpétrées au Pakistan - allié stratégique. Elle n’a pas réalisé qu’à long terme, une telle politique consolide ses ennemis au lieu de les affaiblir, et marginalise les groupes et partis modérés et démocratiques", conclut Sidiki Kaba, Président de la FIDH..


« IN MALE FIDE » - Résumé Exécutif

Libertés d’expression, d’association et de réunion au PAKISTAN

Libertés d’expression et d’information

En dépit de quelques mesures positives, le régime utilise une vaste panoplie de moyens pour limiter la liberté d’expression au Pakistan :

1. Une législation sévère - qu’elle soit générale ou vise spécifiquement les médias - visant à restreindre la liberté d’expression dans le pays. En effet, Musharraf n’a pas hésité à adopter par ordonnances (c’est-à-dire sans contrôle parlementaire) cinq législations répressives relatives aux médias.

2. L’interdiction pure et simple de publications trop critiques à l’égard du régime. Le gouvernement a également bloqué des sites internet pour raisons politiques.

3. Les agissements brutaux de la police, l’armée et les services secrets en vue d’intimider les journalistes considérés comme ayant été "trop loin". Il faut noter que les journalistes étrangers sont souvent limités dans leurs déplacements dans le pays, et qu’il est interdit à tous les journalistes de rendre compte de ce qu’il se passe dans certaines parties des zones tribales, notamment le Waziristan.

La pression est aggravée par la tradition du secret dans la politique pakistanaise, et une interprétation très large de la notion d’ "intérêt national", ce qui rend particulièrement difficile d’enquêter et/ou diffuser des informations sur ces questions sensibles. Les limites posées par la loi sur la liberté de l’information de 2002 sont troublantes à cet égard, vu le lien intrinsèque et spécifique entre les libertés d’expression et d’information au Pakistan.

4. Une pression plus subtile, mais indubitablement systématique, pour contraindre les journalistes à adopter des vues conformes à celles des autorités, comme les empêcher d’assister à des conférences de presse. Il n’y a pas de doute que l’indépendance de la presse n’est pas considérée comme un élément positif par les autorités, qui attendent des journalistes qu’ils soient un instrument aux mains du gouvernement. Le gouvernement n’hésite pas à exercer une pression très importante sur les rédacteurs en chef et/ou les journalistes pour les contraindre à publier ses positions, ou pour empêcher la publication d’opinions divergentes.

5. La vulnérabilité structurelle des groupes de presse, en particulier les plus petits, qui les rend plus susceptibles de céder sous la pression de l’Exécutif car leur viabilité financière dépend largement des publicités gouvernementales. Le gouvernement n’a par conséquent pas hésité à utiliser ce levier financier contre les médias critiquant sa politique, en interdisant les publicités officielles dans les journaux.

6. L’insécurité économique des journalistes, à la merci de leur hiérarchie et donc victimes de pressions diverses, limite leur capacité à exprimer des opinions divergentes.

7. L’impunité dont bénéficient de fait les groupes religieux qui font eux-mêmes pression ou intimident les journalistes.

8. L’indépendance de plus en plus réduite du judiciaire (encore restreinte sous Musharraf) n’a pas permis de contre-balancer les restrictions à la liberté d’expression au Pakistan, des recours judiciaires effectifs n’étant pas accessibles aux journalistes de bonne foi.

9. Une pression similaire est le fait des autorités locales et provinciales. Les pratiques oppressives utilisées par le gouvernement fédéral contre les médias, combinées à son alliance politique avec le MMA aboutit à octroyer une impunité presque totale aux autorités locales et provinciales quand elles décident également d’imposer des restrictions en fait ou en droit à l’encontre des médias.

10. La combinaison des mesures et restrictions précitées a mené à une auto-censure de la part des médias et des journalistes. Les questions sensibles à ne pas aborder sont :

(i) Mettre en cause les militaires, en particulier s’agissant de la corruption

(ii) Les zones de conflit et d’opérations militaires dans les FATA

(iii) La présence de groupes terroristes sur le sol pakistanais et la lutte contre Al-Qaeda

(iv) Mettre en cause l’Islam.

De telles limitations à la liberté d’expression sont également valables pour les universitaires et les ONG. Les ONG de défense des droits de l’Homme, en particulier celles engagées dans le domaine des droits des femmes, ont été soumises à des restrictions croissantes au cours des dernières années.

Libertés d’association et de réunion pacifique

Malheureusement, le régime de Musharraf a imposé des restrictions semblables aux libertés d’association et de réunion que dans le domaine de la liberté d’expression : adoption de législations répressives, utilisation de tactiques oppressives pour harceler de manière violente ou intimider les groupes ou les individus qui défendent ou exercent ces libertés. Les acteurs non-étatiques, en particulier les groupes fondamentalistes, ont également eu le champ libre pour faire pression et intimider les défenseurs des droits de l’Homme.

Le gouvernement utilise sans modération l’article 144 du Code de procédure pénale, qui conditionne toute réunion de plus de quatre personnes à une autorisation préalable de la police, de façon à limiter la liberté de réunion.. Ceci est particulièrement vrai des militants de l’opposition, qui sont systématiquement visés, ce qui affaiblit la démocratie pakistanaise déjà fragile.

Le rapport aborde la situation des syndicats, qui sont confrontés à une situation très difficile. Les politiques gouvernementales d’interférence dans la politique des syndicats, de cooptation des représentants syndicaux, d’établissement de syndicats rivaux ("yellow unions") pour affaiblir les syndicats plus indépendants, l’exclusion de ces derniers de tout processus de consultation, les influences exercées au cours des élections syndicales et l’esprit réactionnaire et la lenteur des juridictions du travail ont affaibli et divisé les syndicats au Pakistan. L’Odonnance sur les relations industrielles adoptée en 2002, qui affecte les syndicats, constitue probablement une des atteintes les plus graves à la liberté syndicale au Pakistan.

Droits des minorités religieuses

On ne peut que se réjouir du fait que Musharraf a mis en place l’électorat conjoint pour les minorités. Leur situation reste toutefois précaire, en particulier en ce qui concerne les Ahmadis. En pratique, les minorités religieuses (Chrétiens, Hindous et Ahmadis) sont visées de manière croissante par les autorités locales et provinciales ainsi que par les groupes fondamentalistes, en totale impunité. De plus, Musharraf n’a pas pris d’initiative en vue de réformer ou abolir la loi sur le blasphème, qui a été condamnée de manière répétée par les observateurs nationaux et internationaux comme violant gravement les libertés d’opinion, d’expression et de religion. Cette loi est régulièrement utilisée contre les personnes appartenant à des minorités, et ce de manière souvent arbitraire.

Les zones tribales du Pakistan

Enfin, le rapport dénonce la situation dans les zones tribales du Pakistan (Federally Administered Tribal Areas - FATA). Ces zones sont soumises à un statut de semi-autonomie et sont régies par une législation spécifique, le "Frontier Crimes Regulation" (FCR), inchangée depuis 1901. Cette région est ainsi privée des éléments à la base de toute démocratie que sont un gouvernement élu, la séparation des pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire, le contrôle judiciaire et les garanties dans le domaine des droits de l’Homme. Bien que faisant partie du territoire pakistanais, les habitants des FATA sont privés des garanties incluses dans la Constitution du Pakistan - en fait, tous les citoyens ne sont pas égaux au Pakistan. Le FCR viole de manière flagrante de nombreuses dispositions de la Déclaration universelle des droits de l’Homme. Il prévoit en particulier la responsabilité pénale collective, ce qui signifie que le village entier d’un fugitif, ou sa famille entière peuvent être arrêtés tant qu’il ne s’est pas rendu, ou tant qu’il n’a pas été puni par sa propre tribu. Les étrangers et les journalistes n’ont pas le droit d’entrer dans les FATA, en particulier dans les zones où se déroulent des opérations militaires, ce qui restreint sérieusement la diffusion d’informations sur cette région.

Le rapport comporte des recommandations à l’intention des autorités pakistanaises et de la communauté internationale.

Voir en ligne : "IN MALA FIDE" : Freedoms of expression, association and assembly in PAKISTAN - only in english
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