Un an après le début des violences, les organisations de la société civile sont vivement préoccupées par la situation des droits de l’homme et humanitaire des Rohingyas

24/06/2013
Communiqué
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Les Rohingyas, une minorité apatride de Birmanie, ont enduré des décennies de violences, de persécutions et de discriminations. Il y a un an, le 3 juin 2012, le massacre de dix musulmans voyageant dans l’État d’Arakan, à la suite du viol et du meurtre d’une jeune femme bouddhiste, a marqué le début d’une série de pogroms contre les Rohingyas et d’autres communautés musulmanes. Les violences qui ont eu lieu en juin et octobre 2012 ont donné lieu à d’innombrables morts, à la destruction de biens, à des déplacements internes de population à grande échelle et à une politique de ségrégation dans l’État d’Arakan. En conséquence, des milliers de Rohingyas ont fui au Bangladesh, en Thaïlande, en Malaisie et ailleurs.

Un an après le début des violences, les causes profondes du conflit et les préoccupations concernant les droits humanitaires et les droits de l’homme restent largement sans réponse. Si les deux communautés ont participé aux actes violents, les Rohingyas en ont été les premières victimes, pris pour cibles notamment par les forces de sécurité. En outre, les lois et pratiques discriminatoires contre les Rohingyas, étayées par le déni de leur citoyenneté, et les mauvais traitements dont ils sont victimes dans les pays tiers demeurent des sujets de préoccupations.

Malgré de lourdes restrictions et des difficultés à accéder aux communautés affectées et déplacées, et les menaces (intimidations et arrestations arbitraires) pesant sur les travailleurs humanitaires et les défenseurs des droits de l’homme, les acteurs de la société civile ont observé et documenté la situation, fourni une aide humanitaire aux victimes des violences, publié des déclarations et des rapports, informé la communauté internationale et soulevé à maintes reprises les inquiétudes croissantes suscitées par la dégradation de la situation dans l’État d’Arakan et pour les communautés musulmanes à travers le pays.

Les principales préoccupations exprimées par les acteurs de la société civile au cours de l’année écoulée concernent :

· L’incitation à la violence et les discours haineux du gouvernement – Les actes de violence contre les Rohingyas ont été initiés et soutenus par des discours virulents et des campagnes anti-Rohingyas d’incitation à la haine menées par des responsables gouvernementaux et des dirigeants locaux. Ces derniers ont à plusieurs reprises caractérisé les Rohingyas comme étant des immigrés clandestins. Ils n’hésitent pas non plus à qualifier de « traitres » les non-musulmans ayant des relations commerciales ou aidant les Rohingyas et encouragent les campagnes contre les travailleurs humanitaires opérant auprès des Rohingyas déplacés. Cela a inévitablement créé un environnement dans lequel la violence aiguë contre ce groupe vulnérable est devenue acceptable et même souhaitable.

· La violence et l’impunité - Des images satellites montrant des districts entiers détruits, des photographies de maisons en feu, des séquences vidéo d’attaques et de cadavres gisant dans les rues, des témoignages du personnel de sécurité ayant ouvert le feu sur les villages et avouant avoir commis des agressions sexuelles collectives contre des femmes Rohingyas sont autant de preuves de l’ampleur des violences. Le caractère arbitraire des arrestations et poursuites judiciaires contre les Rohingyas est le reflet de l’impunité avec laquelle les actes de violence ont été commis et des préjugés au sein du système de justice pénale. Il est également évident que cette impunité a contribué à une escalade de la violence anti-musulmane à travers le pays.

· L’implication de représentants du gouvernement et des forces de sécurité - Le gouvernement birman a non seulement échoué à prévenir cette violence, mais a aussi encouragé les personnes responsables à travers des communiqués incendiaires contre les Rohingyas. L’implication directe des représentants de l’Etat dans les violences a aussi été largement documentée. Ces derniers auraient notamment participé en toute impunité à des attaques, des extorsions, des arrestations arbitraires et détentions visant des Rohingyas, ainsi qu’à la limitation de leur liberté de mouvement et de la distribution de l’aide humanitaire. Dans ce contexte, la publication d’une enquête qui recommande principalement le renforcement de la présence sécuritaire de l’Etat dans les zones touchées est un véritable sujet de préoccupation.

· Les déplacements et besoins humanitaires - La population déplacée dans l’État d’Arakan est estimées à plus de 140 000 personnes, l’écrasante majorité étant des Rohingyas. Plusieurs questions très préoccupantes ayant un impact direct sur le bien-être et les chances de survie des personnes déplacées peuvent être soulevées, notamment : le manque d’abris, de nourriture et d’eau potable, d’accès à la santé et à l’éducation, de latrines et d’assainissement, de moyens de subsistance pour les populations concernées, des difficultés aiguës rencontrées par les organisations humanitaires pour atteindre ceux qui en ont besoin - en particulier les personnes non enregistrées vivant dans des camps de fortune – les détournements présumés de l’aide humanitaire, et l’absence d’abris adéquats pour la saison de la mousson.

· L’apatridie et l’identité – Le refus de reconnaître les droits des Rohingyas à la citoyenneté en vertu de la Loi 1982 sur la citoyenneté est considérée comme un facteur majeur de la situation actuelle des droits de l’homme et de la crise humanitaire. En outre, le déni de leur identité ethnique et les témoignages indiquant que des Rohingyas sont obligés de se faire enregistrer comme « bengali » ont des conséquences immédiates et à long terme pour les communautés Rohingyas.

· La ségrégation et le droit à la propriété - les autorités ont imposé une politique de ségrégation, les Rohingyas étant circonscrits dans des zones séparées, en grande partie en dehors des centres économiques et commerciaux. Aung Mingalar, le dernier quartier musulman restant à Sittwe, est menacé et coupé de la ville. La probabilité que ce dispositif de ségrégation devienne une réalité à long terme est élevée, en particulier si les autorités ne respectent pas leurs obligations d’assurer la sécurité des populations à risque et d’œuvrer à la coexistence de communautés, à leur réintégration et à leur retour volontaire en toute sécurité. En plus des préoccupations évidentes liées à ces restrictions, des questions demeurent sans réponse sur les droits à la propriété des Rohingyas déplacés qui ne sont pas autorisés à accéder aux terres qu’ils ont fuies.

· Les restrictions discriminatoires sur la vie familiale - Les discriminations subies par les Rohingyas depuis des décennies ont été largement documentées. Les restrictions sur le mariage, les sanctions en cas de mariage non autorisé et de non-enregistrement des enfants nés de ces mariages sont parmi les pratiques les plus restrictives qui perdurent à ce jour. Si le Président Thein Sein a affirmé que son administration assurerait la protection des droits de l’homme des musulmans dans l’Etat d’Arakan, le gouvernement continue de mettre en place des politiques discriminatoires contre les Rohingyas, notamment l’interdiction faite aux Rohingyas musulmans d’avoir plus de deux enfants. La mise en œuvre de cette politique s’inscrit dans le cadre plus large de la persécution des Rohingyas

· La liberté de circulation – Les déplacements des Rohingyas sont sévèrement restreints depuis des décennies au Nord de l’Etat d’Arakan. Depuis le début des violences, leur liberté de mouvement est encore plus limitée et les Rohingyas vivant dans le centre de l’Etat d’Arakan sont piégés dans des camps et contraints à être dépendants à l’aide humanitaire.

· Les crimes contre l’humanité - En vertu du droit international, les crimes contre l’humanité sont des crimes commis dans le cadre d’une attaque généralisée ou systématique contre une population civile, dans la poursuite de la politique d’un Etat ou d’une organisation ayant pour but une telle attaque. Les crimes contre l’humanité tels que les expulsions forcées, le transfert forcé de population et les persécutions ont été largement documentés dans l’État d’Arakan depuis juin 2012, et beaucoup de ces abus ont été commis depuis des décennies contre la population Rohingya.

Parallèlement à la situation dans l’État d’Arakan, au cours de la dernière année, les Rohingyas qui ont fui les persécutions en Birmanie, ont continué à faire face à un manque de protection, ainsi qu’à des difficultés et à l’exclusion lorsqu’ils fuient la Birmanie. En juin 2012, le Bangladesh, en violation du principe de non-refoulement, a repoussé en mer les demandeurs d’asile Rohingyas. Les autorités d’immigration du Bangladesh, de Malaisie, de Thaïlande, d’Indonésie, du Sri Lanka et d’autres pays ont répondu à l’exode de réfugiés en arrêtant ceux qui demandaient leur protection.

Les obligations légales internationales de tous les pays concernés les obligent à protéger toutes les personnes soumises à leur juridiction, indépendamment du fait qu’ils soient citoyens, apatrides, demandeurs d’asile ou réfugiés. Dans son traitement des Rohingyas, la Birmanie a violé le droit à la vie, le droit à une nourriture suffisante, le droit de jouir du meilleur état de santé possible, le droit à un logement convenable, le droit à l’accès à l’eau potable et à l’assainissement, la garantie contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, et la garantie contre toute arrestation ou détention arbitraire. La Birmanie doit également répondre à des allégations de crimes contre l’humanité perpétrés par des acteurs étatiques contre les Rohingyas. Les pays d’accueil des réfugiés, notamment le Bangladesh, la Malaisie, la Thaïlande, l’Indonésie et le Sri Lanka ont également agi en violation du droit à chercher asile et de bénéficier de l’asile, et du droit à la liberté et à la protection contre les arrestations et les détentions arbitraires, et dans certains cas, l’obligation de non-refoulement.

Les organisations de la société civile signataires expriment leur vive préoccupation à l’égard des violations des droits de l’homme et humanitaires qui continuent d’affecter de manière disproportionnée les Rohingyas, et s’expriment conjointement au nom de toutes les victimes de violences et d’abus, de déplacements et de refus de l’aide humanitaire dans l’État d’Arakan - qu’ils soient Rohingyas, Rakhine ou de toute autre identité ethnique ou religieuse, et un an après le début des violences, appellent à la fin des violences, des discriminations et des abus.

Au gouvernement birman, nous demandons instamment que des mesures immédiates soient prises pour :

 Faciliter un accès humanitaire sans entrave à toutes les personnes touchées par le conflit indépendamment de leur statut d’enregistrement, et prendre des mesures efficaces contre les individus qui intimident les agences humanitaires.
 Mettre en œuvre un plan de réconciliation, cesser les restrictions de mouvement, et assurer le retour volontaire des déplacés en toute sécurité.
 Fournir une protection à toutes les personnes vivant dans l’État d’Arakan, faire cesser l’impunité et poursuivre les auteurs des violences et autres exactions à travers un système judiciaire équitable, organiser la libération immédiate de ceux qui ont été détenus arbitrairement et fournir une réparation adéquate à toutes les victimes des violences et de l’injustice .
 Inviter le Haut-Commissaire aux droits de l’homme à installer un bureau dans le pays.
 Réviser la Loi sur la citoyenneté de 1982 et toutes les autres lois et pratiques discriminatoires afin de s’assurer que toutes les personnes aient des droits égaux et un accès égal à la citoyenneté et ne soient pas discriminées en raison de leur origine ethnique.

Au gouvernement des pays d’accueil des réfugiés, nous demandons instamment que des mesures immédiates soient prises pour :

 Protéger tous les réfugiés et demandeurs d’asile originaires de Birmanie - et prendre en compte les besoins importants et spécifiques liés à la protection des Rohingyas apatrides.
 S’abstenir de détenir arbitrairement des réfugiés Rohingyas et des demandeurs d’asile et de tenter de les rapatrier en Birmanie en violation du principe de non-refoulement.

A la communauté internationale, nous demandons instamment que des mesures immédiates soient prises pour :

 Insister sur la protection des droits des minorités, y compris le droit à la citoyenneté, en tant que condition préalable à des relations bilatérales normalisées.
 Faire pression sur le gouvernement birman pour qu’il présente sa stratégie pour promouvoir la réconciliation, mettre fin aux restrictions de circulation et permettre le retour volontaire et sécurisé des populations dans l’État d’Arakan.
 Faire pression sur le gouvernement birman pour donner suite aux recommandations ci-dessus, y compris la lutte contre l’impunité et assurer une plus grande responsabilité et justice.

Organisations signataires :

1. Africa and Middle East Refugee Assistance (Egypt)
2. ALTSEAN - Burma
3. Arab Council Supporting Fair Trials and Human Rights
4. Asia Pacific Refugee Rights Network
5. Association INFO BIRMANIE
6. Association pour la Lutte contre la Pauvreté et le sous Développement (Mauritania)
7. Association Suisse-Birmanie (Switzerland)
8. Benjamin N. Cardozo School of Law, Human Rights and Genocide Clinic (USA)
9. Black Pink Triangle Izmir (Turkey)
10. Burma Campaign Australia
11. Burma Campaign UK
12. Burma Partnership
13. Burmese Rohingya Association of Japan
14. Burmese Rohingya Association of North America
15. Burmese Rohingya Association of Thailand
16. Burmese Rohingya Community in Australia
17. Burmese Rohingya Community in Denmark
18. Burmese Rohingya Organisation UK
19. Center for Informative and Legal Aid – Zvornik (Bosnia and Herzegovina)
20. Christian Solidarity Worldwide
21. Civic Bangladesh
22. Detention Action (UK)
23. Fahamu Refugee Programme
24. Federation of Women Lawyers( Kenya)
25. Fortify Rights International
26. Forum for Women, Law and Development (Nepal)
27. Foundation for Rural Development (Pakistan)
28. Free Burma Campaign (South Africa)
29. Freedom House
30. Frontiers Ruwad Association (Lebanon)
31. Gonggam Human Rights Law Foundation (Republic of Korea)
32. Health Equity Initiatives (Malaysia)
33. Human Rights Education Institute of Burma (Thailand)
34. Human Rights Organisation of Nepal
35. Human Rights Watch
36. Humanitarian Aid Relief Trust
37. Initiative for Development and Empowerment Axis (Pakistan)
38. Institute for Asian Democracy
39. International Detention Coalition
40. International Observatory on Statelessness
41. Japan Association for Refugees
42. Jesuit Refugee Service
43. Journalists for Human Rights (Sudan)
44. Lawyers for Human Rights (South Africa)
45. Lawyers for Liberty (Malaysia)
46. Lawyers Group for Burmese Asylum Seekers in Japan
47. Loyola College Chennai, Department of Social Work (India)
48. Minority Rights Group International
49. Odhikar (Bangladesh)
50. Organization for Defending Victims of Violence (Islamic Republic of Iran)
51. Partners Relief & Development (Norway)
52. Physicians for Human Rights (USA)
53. Praxis (Serbia)
54. Project Maje (USA)
55. Protect The Rohingya (South Africa)
56. Refugee Council of Australia
57. Refugees International
58. Restless Beings (UK)
59. Rohingya Association in Canada
60. Rohingya Community in Norway
61. Rohingya Society of Malaysia
62. Society for Threatened Peoples (Germany)
63. Society for Threatened Peoples (Switzerland)
64. Solidarity for Asian Peoples’ Advocacy Working Group on ASEAN
65. South East Asian Committee for Advocacy
66. Stateless Network (Japan)
67. Swedish Burma Committee
68. Taiwan Association for Human Rights
69. Tenaganita (Malaysia)
70. Thai Committee for Refugees Foundation (Thailand)
71. The Arakan Project
72. The Cordoba Foundation
73. The Equal Rights Trust
74. The European Rohingya Council
75. U.S. Campaign for Burma
76. Yayasan Lembaga Bantuan Hukum (Indonesia)

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