Les derniers chiffres officiels disponibles fin 2021 font état de 107 personnes détenues (99 hommes et huit femmes) condamnées à la peine capitale au Japon. Près de la moitié d’entre elles (47 hommes et deux femmes) étaient incarcérées au centre de détention de Tokyo.
D’après l’enquête du Center for Prisoners’ Rights (CPR), les détenu·es condamné·es à mort du centre de détention de Tokyo sont maintenu·es à l’isolement dans des cellules de 5,4 mètres carrés, équipées 24 heures sur 24 de caméras de vidéosurveillance ou télévision en circuit fermé (TCF) installées au plafond. Il n’y a pas d’obstacle devant les caméras, par conséquent tout est enregistré, y compris lorsque les détenu·es enlèvent leurs vêtements et sous-vêtements et vont aux toilettes.
Des entretiens menés en mai 2022 par le Center for Prisoners’ Rights (CPR) auprès de cinq personnes condamnées à mort dans le centre de détention de Tokyo révèlent que quatre d’entre elles ont été placées en cellules d’isolement pendant des périodes allant de trois ans à près de 15 ans. Un cinquième prisonnier a été placé dans une cellule sans caméra de vidéosurveillance après plus de 14 ans de détention, à la suite d’un ordre de transfert datant du 1er mars 2022. Au moment de cette déclaration, les quatre autres prisonnier·es sont toujours dans des cellules équipées de caméras TCF. Des femmes incarcérées dans les couloirs de la mort du centre de détention de Tokyo sont également placées à l’isolement dans des cellules équipées de caméras TCF contrôlées par des agent·es hommes et femmes.
Le recours à l’isolement prolongé et à la vidéosurveillance permanente des personnes détenues condamnées à mort est incompatible avec les traités internationaux en matière de droits humains auxquels le Japon est partie, notamment le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) et la Convention contre la torture et autre peine ou traitement cruel, inhumain ou dégradant.
La détention prolongée en cellule d’isolement, ainsi que l’a définie l’ensemble des règles minima des Nations unies pour le traitement des détenus (« Règles Nelson Mandela »), [1] n’est pas compatible avec les articles 2 et 16 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, qui imposent au gouvernement japonais l’obligation de prévenir les actes de torture et autres peines et traitements cruels, inhumains ou dégradants. Par ailleurs, le Comité onusien contre la torture soutient de longue date que l’isolement peut être assimilé à un acte de torture ou à un traitement inhumain et devrait, à ce titre, être prohibé pour les personnes détenues dans les couloirs de la mort. [2]. L’isolement prolongé est également incompatible avec les articles 7 et 10 du PIDCP. L’article 7 stipule que nul ne devrait être soumis à des actes de torture ou à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Dans son Observation générale n° 20, le Comité des droits de l’homme des Nations unies (CCPR) souligne que l’isolement prolongé des personnes détenues ou incarcérées peut être considéré comme un acte interdit, en vertu de l’article 7 du PIDCP. [3] De plus, d’article 10 du PIDCP stipule que « toute personne privée de sa liberté est traitée avec humanité et avec le respect de la dignité inhérente à la personne humaine. »
Quant à la vidéosurveillance 24 heures sur 24 des personnes détenues condamnées à la peine capitale, cette pratique est incompatible avec les articles 10 et 17 du PIDCP. Dans son Observation générale n° 21, le CCPR établit que le respect de la dignité des personnes privées de liberté « doit être garanti […] de la même manière qu’aux personnes libres » et que ces personnes jouissent de tous les droits énoncés dans le Pacte, sous réserve des restrictions inhérentes à un milieu fermé. [4]] L’article 17 interdit toute immixtion « arbitraire ou illégale » dans la vie privée d’un·e individu·e. Les critères d’illégalité et d’arbitraire sont précisés par le Comité des droits de l’homme dans son Observation générale n° 16, qui établit que les immixtions autorisées par les États ne peuvent avoir lieu qu’en vertu d’une loi, [5] et que même prévues par la loi, elles « doivent être, dans tous les cas, raisonnables eu égard aux circonstances particulières ». [6]
La vidéosurveillance des personnes incarcérées condamnées à la peine capitale n’étant pas prévue par la loi au Japon, il semble que l’instauration d’une telle mesure soit arbitraire. La loi relative aux établissements pénitentiaires et au traitement des prisonnier·es et des détenu·es (loi sur les prisons de 2005) stipule que les personnes incarcérées condamnées à mort doivent être placées à l’isolement pour interdire tout contact avec les autres prisonnier·es. Cependant, cette loi ne réglemente pas l’utilisation de la vidéosurveillance TCF dans les cellules. Chaque établissement pénitentiaire établit donc ses propres Règles détaillées sur le traitement des prisonnier·es faisant l’objet d’une attention particulière (Règles détaillées). Ces règles désignent les personnes incarcérées condamnées à mort comme des « détenu·es faisant l’objet d’une attention particulière » qui doivent être surveillé·es par des caméras TCF « lorsque la mise en place d’une surveillance particulièrement stricte se révèle nécessaire ».
D’après l’enquête du Comité des droits de l’homme, la plupart des établissements pénitentiaires au Japon ont établi leurs propres règles détaillées. Par exemple, les règles détaillées du centre de détention de Tokyo, du centre de détention de Fukuoka, et de la prison de Tokushima prévoient expressément que les personnes qui ont été condamnées à la peine capitale et dont le jugement est porté en appel puissent être incarcérées dans des cellules équipées de vidéosurveillance. D’autres établissements pénitentiaires ayant expurgé une partie des critères établissant quel·les détenu·es devaient faire l’objet d’une attention particulière, il est difficile de déterminer si les personnes condamnées à mort dans ces établissements doivent être soumises à ce traitement.
D’après les Règles détaillées du centre de détention de Tokyo, les personnes détenues condamnées à mort et dont le jugement est porté en appel peuvent être incarcérées à l’isolement dans des cellules équipées de caméras de surveillance uniquement « lorsque la mise en place d’une surveillance particulièrement stricte est nécessaire ». Cependant, les personnes condamnées à mort interviewées par le Centre pour les droits des prisonniers du centre de détention de Tokyo n’ont pas fait de tentative de suicide ni de fuite, par conséquent aucune circonstance particulière ne semble justifier qu’ils fassent l’objet d’une stricte surveillance, ce qui prouve le caractère arbitraire de cette mesure.
La mise sous vidéosurveillance des femmes prisonnières peut constituer une violation supplémentaire de leur droit à la vie privée, chaque fois que les caméras de TCF dans leur cellule sont commandées par des agents hommes, comme le laissent entendre les Règles des Nations unies concernant le traitement des femmes détenues et les mesures non privatives de liberté pour les femmes délinquantes (« Règles de Bangkok ») et l’Observation générale du Comité des droits de l’homme n° 16. [7].
La FIDH et le CPR appellent le gouvernement japonais à mettre fin à l’isolement des personnes condamnées à mort et à leur mise sous vidéosurveillance dans tous les établissements pénitentiaires du Japon dans les meilleurs délais. Les deux organisations réclament également que les personnes condamnées à mort incarcérées dans des cellules équipées de vidéosurveillance soient immédiatement transférées dans d’autres cellules sans caméra TCF.