L’Iran Rush des entreprises françaises, Vigilance !

Cette tribune a été écrite par Karim Lahidji, Président de la FIDH, et Pierre-Samuel Guedj, Président de la Commission RSE du CIAN. Elle a été publiée sur le site de La Tribune le 2 février 2016.

La levée des sanctions économiques contre l’Iran, conditionnée au respect strict de l’accord sur la démilitarisation de son programme nucléaire, fait naître un Iran Rush risqué.

Bridée par dix ans d’embargo, l’économie iranienne devrait connaître une croissance de 4 à 5 % par an jusqu’en 2020. Besoins en infrastructures, technologies, financement, biens et services de grande consommation, autant d’opportunités pour les entreprises françaises, autant de risques.

Les violations des droits liées à l’activité économique et le commerce en Iran sont nombreuses : l’absence de législation pour protéger les travailleurs d’abus, de discrimination ou de harcèlement ; les syndicalistes qui sont systématiquement menacés et emprisonnés, voir même condamnés à mort ; des politiques et lois, comme la Loi Gozinesh, qui interdisent l’accès à certaines professions pour les femmes, les minorités religieuses ou ethniques, et les dissidents politiques ; le recours au travail des enfants ; les expropriations illégales et les expulsions forcées en raison de projets de développement. Tout cela dans un contexte où la justice n’est pas indépendante, et où les lois sont appliquées de façon aléatoire selon le bon vouloir du régime. Faire des affaires en Iran c’est s’exposer aux violations quotidiennes des normes universelles de l’OIT et des droits humains. Sans compter sa 136ème place dans le classement 2014 de Transparency International sur la corruption en 2014…

Les entreprises françaises ont la responsabilité de respecter les droits humains dans l’ensemble de leurs activités, y compris en vertu de leurs relations d’affaires. La France doit également s’assurer que les entreprises sous sa juridiction ne contribuent pas à des violations des droits humains à l’étranger. Ces principes ont été internationalement reconnus, notamment par l’OCDE et l’ONU. 

Faute de respecter leurs responsabilités en matière de droits humains, les entreprises françaises s’exposent à des risques juridiques, sociétaux et réputationnels. Les français et les européens ne veulent plus que les produits qu’ils achètent soient réalisés par des enfants, ni que leur croissance soit le fruit d’un encouragement de la peine de mort par lapidation.

Rappelons que les manquements allégués aux codes de conduite peuvent mener une entreprise au tribunal . Auchan, sur le dossier Rana Plaza, et Samsung, sur les conditions de travail en Chine, sont aujourd’hui l’objet de procédures en France pour pratique commerciale trompeuse. Rappelons aussi que l’éloignement des pratiques répréhensibles n’empêche pas la justice française de se saisir. Des entreprises françaises ayant vendu du matériel de surveillance à des régimes autoritaires comme la Syrie et la Libye font en ce moment l’objet de poursuites devant les juridictions françaises pour complicité présumée d’actes de torture. Vinci en fait aussi les frais en étant l’objet d’une enquête préliminaire pour esclavage moderne dans un pays à gouvernance perfectible similaire, le Qatar. Dommage collatéral des grands marchés obtenus pour la préparation du mondial 2022.

N’oublions pas non plus que cette levée des sanctions est progressive et conditionnée. L’épée de Damoclès qui a mené, sur des enjeux de corruption et de financement du terrorisme, au démembrement d’Alstom et au paiement d’amendes sans précédent pour la BNP Paribas est toujours mobilisable par les autorités américaines... Le flou juridique entretenu par les Etats-Unis sur de telles poursuites extraterritoriales a conduit très récemment Yves-Thibault de Silguy, Vice-Président du Medef international, à s’exprimer publiquement pour prôner la plus grande prudence.

Face aux acteurs asiatiques et états-uniens, les entreprises européennes et en particulier françaises s’exposeraient à un risque juridique et réputationnel important si elles n’exercent pas leur responsabilité de diligence raisonnable en matière de droits humains avant toute relation commerciale en Iran. Elles devront faire part de leurs exigences auprès de leurs partenaires commerciaux iraniens et en premier lieu les autorités publiques.

La société civile et l’opinion publique seront particulièrement attentives à la manière dont les entreprises françaises respecteront leurs responsabilités et engagements en matière de droits humains dans leurs opérations en Iran. Leurs collaborateurs et consommateurs aussi …

Tandis qu’en 2015 on finalise un accord menant à une ouverture économique attendue en Iran, le pays commet plus d’exécutions annuelles (qu’on estime à près de 1000 personnes) qu’au cours des 25 dernières années. Les entreprises françaises sont-elles prêtes à faire des affaires dans un tel contexte ?

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